
Voici une publication qui va encore faire grincer des dents, du côté des psychiatres « classiques », préférant, pour leurs thérapies, l’assistance éprouvée d’un canapé d’inspiration freudienne ou lacanienne à celle d’une connexion Internet, quel que soit l’excellence du rapport débit/coût ! Cette étude « avant-gardiste » émane de l’Université de Melbourne, en Australie, mais ses 1 326 participants pouvaient résider aussi dans d’autres pays anglophones (Canada, États-Unis, Irlande, Royaume Uni, Nouvelle-Zélande).
Recrutés par des « publicités sur Internet » (notamment sur Facebook ou des forums), ils étaient âgés d’au moins 18 ans et présentaient une symptomatologie « sous le seuil de la dépression », définie par la présence « quotidienne, pendant au moins 2 semaines, de 2 à 4 symptômes (à l’échelle PHQ-9) [1] « affectant la vie au travail et au domicile, ou le fonctionnement social. » À titre de comparaison, quand il existe au moins 5 symptômes sur cette échelle PHQ-9, la notion de dépression « infraliminaire » (subthreshold depression) laisse place alors à celle de « dépression majeure. »
Propre à susciter des cris d’orfraie chez certains psychiatres « traditionnels », attachés à l’exclusivité de l’intervention humaine en psychothérapie, l’objectif de cette étude consistait à « tester l’efficacité d’une campagne d’e-mails » (courriels, pour les puristes de la francophonie) visant à promouvoir, quand une dépression se profile, des « attitudes de soutien personnel » (self-help behaviours), dans un esprit plus proche –on l’aura deviné– des techniques cognitivo-comportementalistes que de la psychanalyse de nos chaumières ou de nos cabinets cosy ! Ce qui revient en définitive à réactualiser, sur fond de behaviourisme triomphant et d’innovation technologique, le célèbre dicton « Aide-toi, et le Ciel t’aidera. »
Pour les auteurs, ces « e-mails de promotion des stratégies d’auto-assistance » se sont révélés globalement « bénéfiques. » Indiquée selon ses promoteurs comme approche préventive (contre l’aggravation d’une dépression infraliminaire), cette « e-psychiatrie »[2] (si l’on peut dire, sans offenser les mânes de Freud et de Lacan) offrirait l’intérêt d’apporter une aide « à faible coût, facilement délivrée partout, et hautement automatisée. » Mais c’est précisément là que le bât blesse : avec l’effacement du thérapeute humain, peut-on encore parler réellement de « prise en charge », ou simplement de démarche cognitivo-comportementaliste assistée par courriels ?
[1] (Patient Health Questionnaire Depression
Scale, échelle de la dépression du questionnaire de santé soumis au
patient)
[2] Aperçu sur le site d’« informations et
conseils pour améliorer votre humeur » conçu par Amy J.
Morgan
Dr Alain Cohen