
Interview du
Dr Benoît Jammot, urgentiste, clinique Esquirol Saint Hilaire à
Agen (ELSAN)
Les logiciels d’aide au diagnostic reposant sur des
systèmes d’intelligence artificielle et de machine learning se sont
largement développés en médecine. D’innombrables études ont
démontré l’intérêt ces outils pour aider le clinicien dans son
diagnostic et lui permettre notamment de repérer certains éléments
qui auraient pu lui échapper. Comment ces dispositifs
s’inscrivent-ils dans la pratique quotidienne d’un médecin
urgentiste ? Le Dr Benoît Jammot, est urgentiste au sein de la
clinique
Esquirol Saint Hilaire du groupe ELSAN, groupe engagé dans une
démarche d’open Innovation via son living lab Innolab. L’impact de
l’intelligence artificielle pour les radiologues et centre
d’imagerie constitue un des sujets actuels d’étude par Innolab. Le
Dr Benoît Jammot expérimente depuis quelques mois le logiciel de
lecture de radiographies traumatiques de Gleamer (logiciel
BoneView) distribué par Incepto. Il revient pour nous sur les
avantages de ce système, notamment pour améliorer la qualité de
prise en charge, mais rappelle que ces types d’outils demeurent des
aides et ne peuvent ni ne doivent remplacer le sens clinique du
praticien, qui se doit de conserver son libre arbitre face à la
machine.
JIM.fr - Pouvez-vous nous présenter le logiciel utilisé
dans votre service d’urgences pour repérer les fractures sur les
images radiologiques ? Quels ont été les résultats des études
d’évaluation de ce logiciel ?
Dr Benoît Jammot - Nous utilisons le logiciel de
lecture de radiographies traumatiques de Gleamer (logiciel
BoneView), distribué par Incepto. Ce système d’intelligence
artificielle contribue à la détection des fractures de membres et
dans une moindre mesure du bassin, mais ne permet pas celle des
autres fractures (crâniennes ou du thorax notamment) ou des
luxations par exemple.
L’intérêt est plus manifeste encore dans les prises en charge nocturne
JIM.fr : Dans quels cas le recours au logiciel est-il indiqué ? Pour quel type de fracture (fracture de fatigue, fracture en bois vert, fracture-tassement vertébral…) ? Quand intervient la relecture du radiologue ?Dr Benoît Jammot - Quand une radiologie est réalisée
pour un de nos patients à notre demande, les clichés nous sont
transmis informatiquement du service de radiologie avec et sans
l’interprétation de Gleamer. La grille de lecture du dispositif est
très simple : en vert, les radiologies où aucune fracture n’est
détectée, en marron, celles où existe un doute et en rouge, celles
où on retrouve une fracture évidente (la localisation est par
ailleurs signalée). Pour les derniers cas, les fractures évidentes,
le logiciel a moins d’intérêt : notre expérience d’urgentistes nous
permet en effet de les repérer facilement. Le système est par
contre plus intéressant en cas de doute. Notre conduite peut en
effet être modifiée en attendant la relecture du radiologue. Nous
pouvons en effet décider d’une immobilisation, permettant d’éviter
que le patient ne marche sur un foyer de fracture, qui sans Gleamer
n’aurait pas été suspecté. L’intérêt est plus manifeste encore dans
les prises en charge nocturne où vingt-quatre heures voire plus
peuvent être nécessaires avant la relecture du radiologue. C’est
donc une véritable amélioration de la qualité des
soins.
La relecture du radiologue, le
docteur Châ-Banus, est systématique même pour les patients
considérés comme sans fracture. En effet, en l’absence de fracture,
le patient peut souffrir d’une luxation ou d’un traumatisme non
détecté par le logiciel. Il faut en effet bien avoir à l’esprit des
limites du logiciel.
Dr Benoît Jammot - Bien sûr, les algorithmes du logiciel sont sans cesse améliorés. Dans un avenir proche, il devrait ainsi pouvoir détecter les fractures thoraciques et les fractures des zones où il est encore muet. Surtout, les ingénieurs travaillent actuellement sur le logiciel afin qu’il puisse repérer les luxations.
Le diagnostic demeure celui du médecin
JIM.fr - Depuis combien de temps ce dispositif est-il
utilisé au sein de votre service ? Quelle est votre estimation du
temps gagné pour les patients et les équipes soignantes grâce à ce
système ?
Dr Benoît Jammot - Le dispositif a été mis en place en
juin 2020. C’est plus certainement amélioration de la qualité de la
prise en charge du patient qu’un réel gain de temps structurel.
Cependant, parce qu’une immobilisation peut parfois être décidée en
amont de la relecture du radiologue, c’est dans ce sens un gain de
temps qualitatif pour le patient. C’est en tout en état de cause,
une réelle aide, notamment la nuit. Le dispositif peut également
être un soutien précieux dans les très petits établissements où il
n’y a pas ou quasiment pas de radiologues sur place. Dans un tel
contexte, les clichés obtenus sont adressés à un radiologue
extérieur, dont la relecture se concentrera plus certainement sur
les scanners, ce qui rend d’autant plus pertinent le recours à un
logiciel tel que Gleamer. Cependant, il faut encore une fois
préciser que le diagnostic demeure celui du médecin et non du
système d’intelligence artificielle. Ces dispositifs peuvent nous
aider à éviter des erreurs, mais il faut bien conserver à l’esprit
les limites de chacun de ces logiciels. Par exemple Gleamer est un
logiciel qui repère les fractures mais pas les luxations. Aussi, il
semble essentiel de d’abord lire les radios soi-même et ensuite de
prendre connaissance de l’interprétation de Gleamer et d’éviter de
faire l’inverse. L’intelligence artificielle est une aide mais pas
une fin en soi. Il faut garder son libre arbitre et son recul pour
l’interprétation.
Dr Benoît Jammot - Nous ne signalons pas le recours à
ce logiciel d’aide au diagnostic aux patients, mais c’est un
élément d’information intéressant pour les éclairer sur la démarche
que nous utilisons. Le logiciel a été acheté par la clinique et
n’entraîne évidemment aucun surcoût pour les patients.
JIM.fr - La clinique Esquirol Saint Hilaire est en pointe
pour l’utilisation de l’intelligence artificielle médicale. Quel
autre logiciel de ce type pourrait être déployé aux urgences
?
Dr Benoît Jammot - La même société Incepto propose
plusieurs autres logiciels d’intelligence artificielle qui nous
semblent pertinents. Le logiciel qER est un système d’intelligence
artificielle de lecture des scanners, en vue de l’interprétation et
du classement des lésions cérébrales à destination des urgentistes,
qui couvre les AVC, les traumatismes crâniens, les factures du
crâne, les hémorragies en distinguant les différents critères de
gravité. Un autre logiciel notable est par ailleurs en cours de
développement qui concerne les occlusions intestinales (Smart Cop),
mais le dispositif n’est pas encore opérationnel. Enfin, dernier
programme à venir : qXR, système d’aide pour la lecture de
radiographie de thorax, afin de repérer les pneumothorax, les
épanchements pleuraux, les différents foyers de condensation
(pneumopathies, tumeurs…) ou encore les hypertrophies
cardiaques.
Ces différents logiciels sont des logiciels d’aide, non de
diagnostic, qui représentent cependant un véritable soutien pour
repérer certains éléments qui auraient pu passer inaperçus.
Probablement, dans l’avenir, l’intelligence artificielle ira encore
plus loin : on pourra renseigner un certain nombre de données
relevées par l’examen clinique, ce qui nous permettra d’obtenir une
orientation diagnostique proposée par le logiciel en s’appuyant sur
différents algorithmes. Cependant, il me semble peu probable que la
dimension humaine disparaisse de la relation médecin / malade, y
compris pour l’établissement du diagnostic.
JIM.fr - Au-delà des systèmes d’intelligence artificielle,
quelles sont les organisations particulières mises en place dans
votre service d’urgence pour réduire le temps d’attente des
patients ?
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Propos recueillis par Aurélie Haroche