
Portland, le jeudi 29 mai 2008 – Il porte un bouc savamment taillé, une très fine moustache, le cheveu court. Son torse est plat, sa musculature qu’un débardeur laisse deviner semble importante et son jean est sans doute très tendance chez les jeunes hommes américains. Pourtant, ce n’est certainement pas ce que le regard remarque en premier : cet homme arbore un ventre rond, qui n’est pas le signe d’un embonpoint, mais d’une future naissance. Thomas Beatie, un homme si l’on en croit ses papiers d’identité, l’état civil de l’état de l’Oregon et sa pilosité apparente, attend un bébé.
Une petite fille pour le 3 juillet
L’histoire défraie la chronique aux Etats-Unis et semble défier l’entendement si elle n’est pas accompagnée de plus complètes explications données cette semaine par le Nouvel Observateur. Thomas Beatie s’est appelée Tracy LaGondino pendant toute son enfance. Malgré un physique très avenant, la jeune fille se sent mal dans sa peau : elle désire ardemment devenir l’homme qu’elle a toujours eu le sentiment d’être. A l’âge de 24 ans, elle décide de franchir le pas. Elle choisit de subir une ablation complète des deux seins et de suivre un traitement hormonal : bientôt la pilosité et la musculature de Tracy sont celle d’un homme. L’intéressé(e) a même indiqué que son « clitoris » pouvait même désormais faire office de « petit pénis ». Pour que sa transformation soit reconnue légalement par l’état de l’Oregon où elle vit désormais, Tracy n’a pas besoin de subir d’hystérectomie. Aussi s’épargne-t-elle ce sacrifice, nourrissant toujours secrètement le désir d’avoir un enfant ; un rêve qui ne l’empêche pas de devenir aux yeux de la loi Thomas Beatie. Ce dernier file bientôt le parfait amour avec Nancy : il l’épouse non pas grâce à la législation autorisant le mariage homosexuel dans l’Oregon, mais parce qu’il est un homme qui épouse une femme. Mais Nancy, déjà mère de deux enfants et atteinte d’une endométriose sévère ne peut pas donner au couple l’enfant tant désiré. Après une longue réflexion, Thomas décide d’interrompre son traitement hormonal pour pouvoir donner naissance au bébé qu’ils espèrent si ardemment. Alors qu’il n’a pas eu de cycle hormonal depuis huit ans, Thomas retrouve en quelques mois un cycle régulier. Constater le retour si facile de cette mécanique est un soulagement pour le couple déjà confronté au rejet d’un grand nombre de médecins et de leurs familles. Après avoir consulté huit médecins ouvertement hostiles à leur projet (à l’instar de l’ensemble des comités d’éthique), Thomas et Nancy rencontrent enfin le docteur Kimberly James qui accepte de les aider et notamment de leur ouvrir les portes d’une banque de sperme. Thomas, dont le « taux de testostérone est aujourd’hui celui d’une femme » explique le médecin n’a besoin de suivre aucun traitement hormonal pour accroître sa fertilité. La première insémination artificielle aboutit cependant à une grossesse extra-utérine, échec que le frère de Thomas qualifiera de « bonne nouvelle ». La deuxième tentative sera la bonne : Thomas est aujourd’hui enceint(e) d’une petite fille qu’il devrait mettre au monde le 3 juillet.
Naturel ?
Thomas n’est pas le premier transsexuel non opéré à avoir arrêté son traitement hormonal pour pouvoir donner naissance à un enfant : Matt Rice avait accouché en 1999 d’un petit garçon. La différence entre la situation de Thomas Beatie et celle de Matt Rice est liée d’une part au fait que ce dernier n’a jamais été considéré légalement comme un homme et d’autre part à la médiatisation donnée à cette affaire par le couple Beatie. La lettre écrite par le futur papa au très sérieux journal dédié à la communauté homosexuelle « The Advocate » et l’interview accordée par toute la famille à la célèbre Oprah Winfrey ont placé sur le devant de la scène cette incroyable histoire. Cette émission aura été l’occasion pour Thomas Beatie d’expliquer combien il est « incroyable » d’être et de rester un homme (il en donnera comme exemple l’absence d’envie pendant sa grossesse de se raser les jambes !) et d’attendre un enfant. Après que les soupçons de « canular » aient été écartés (grâce notamment au témoignage du docteur Kimberly James) la stupéfaction a laissé la place à la consternation. Au-delà des commentaires attendus de certains tenants de la « morale », plusieurs représentants de la communauté homosexuelle ont eux-mêmes fait part de leur désapprobation, notamment face à la médiatisation de leur histoire par le couple Beatie. D’autres ont voulu s’interroger sur le caractère médical de cette situation, tel l’éditorialiste du Boston Globe qui a diagnostiqué que « Beatie souffre apparemment d’un trouble atypique de l’identité sexuelle, syndrome 302 85 dans le « Manuel de statistique et de diagnostic » de l’Association des psychiatres américains ». Enfin, la revue Nature elle-même y est allée de son commentaire, soulignant que loin des réactions épidermiques, cette histoire invitait à s’interroger sur le sens du mot « naturel ». Dans un éditorial du mois d’avril, la revue rappelle que « l’envie d’avoir un bébé est un désir profondément humain, que les futurs parents soient masculins, féminins ou transgenres ». Elle a également souligné que « Les biologistes ont découvert que l’effacement des frontières entre sexes et le passage d’un sexe à l’autre ne sont pas du tout rares dans le monde « naturel ». En tout état de cause, l’affaire montre combien la reconnaissance légale et la réalité biologique aspirent à être des champs séparés.
Des parents dévoués et responsables
Reste à savoir quelle sera la vie de la future petite Beatie. Le
Docteur James assure qu’il « s’agit d’un couple dévoué et
responsable » et affirme que les changements définitifs chez
Thomas, comme la pilosité et le timbre de voix, « ne sont pas
dangereux pour le bébé ». Le docteur Masterson insiste cependant
sur le fait que Thomas doit absolument éviter de prendre des
dérivés de la testostérone pendant sa grossesse. En tout état
de cause, il devrait être difficile pour ce dernier d’allaiter son
enfant, dont il souhaite être « le père », quand sa femme Nancy, en
sera la mère.
M.P.