
Paris, le lundi 14 novembre 2016 - Non considéré comme un organe
vital, l’utérus n’en passe pas moins pour la matrice, le centre du
monde. Et jusqu’à une date récente, les femmes nées sans utérus
(une agénésie congénitale rencontrée dans le syndrome de
Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser[1]) ou ayant perdu cet organe pour
un motif pathologique ou accidentel n’avaient d’autre choix que
l’adoption ou le recours à une gestation pour autrui [2] (à
condition de s’expatrier, car cette pratique est prohibée en
France, mais possible dans certains pays). Un documentaire télévisé
diffusé cet été a présenté une nouvelle technique, promise à se
développer : la greffe d’utérus, réalisée d’abord avec succès à
l’Université de Göteborg en Suède (et ayant abouti à la naissance
d’un premier enfant en septembre 2014), puis expérimentée en France
dans deux centres-pilotes dans ce domaine (l’équipe de Tristan
Gauthier et Pascal Piver à Limoges, et celle de Jean-Marc Ayoubi et
René Frydman à Suresnes) [3]. Mais cette « prouesse
médicale » ne va pas sans susciter des implications éthiques
inattendues, puisque des transexuels ou des homosexuels « y
voient une opportunité de vivre une grossesse. » Et au nom
d’un « égalitarisme » qui pourra paraître délirant à
certains mais tout à fait logique à d’autres, des hommes (même non
homosexuels) envisagent de se faire greffer un utérus, avec
l’accord tacite de la société suédoise voyant là « un moyen
pour le couple d’être enfin à égalité, mari et femme pouvant l’un
comme l’autre porter un enfant » à tour de rôle. Nous n’en
sommes pas encore là, mais cette greffe chez l’homme ne pose en
principe aucun obstacle techniquement insurmontable (il faudrait
toutefois envisager une fistule cutanée pour faire déboucher
l’utérus à la peau, comme pour une stomie digestive ou urinaire).
Et deux perspectives encore plus étonnantes se dessinent déjà :
d’une part la possibilité de faire pousser en culture cellulaire
(sans doute grâce à une imprimante 3D) un utérus biologique,
histologiquement compatible pour une greffe (ce qui résoudrait
l’épineux problème des donneuses, vivantes ou décédées) ; et enfin
des recherches sur « un utérus totalement artificiel, capable
de concevoir un bébé hors du ventre. » Cela sera possible,
explique ce documentaire, quand deux techniques se rapprocheront
(probablement vers le quatrième ou cinquième mois de la vie fœtale)
: la prolongation du développement ectogénétique (c’est-à-dire hors
du corps maternel) de l’embryon le plus longtemps possible, et la
possibilité de traiter avec succès la très grande prématurité, dans
une couveuse qui « raccourcit le temps du ventre »
maternel. À l’Université Juntendō, au Japon, l’équipe de Yoshinori
Kuwabara a obtenu le premier développement d’une chèvre très
prématurée dans une machine préfigurant un utérus artificiel
(comprenant le maintien de l’embryon dans un liquide amniotique de
synthèse et une sorte de placenta artificiel assurant nutrition et
épuration des déchets) : « quand sera comblé l’écart
entre le début in vitro de la gestation et la fin de la grossesse
en couveuse, quand les deux extrémités de la chaîne se
rencontreront, plus besoin de ventre, on se rendra compte que
l’utérus articiel[6] a été inventé. » Bien entendu, les
implications psychologiques pour l’humanité sont considérables,
l’aphorisme biblique « Tu enfanteras dans la souffrance » laissant
alors place à un nouvel impératif : « Tu enfanteras dans la
technique ! ».
[1]
https://fr.wikipedia.org/wiki/Syndrome_de_Rokitansky-K%C3%BCster-Hauser
[2]
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gestation_pour_autrui#France
[3]
http://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2015/06/Transpl-uterus-C.pdf
[4]
https://pulse.edf.com/fr/une-imprimante-3d-realise-des-tissus-vivants
[5]
http://motherboard.vice.com/read/artificial-wombs-are-coming-and-the-controversys-already-here
[6] https://www.youtube.com/watch?v=5VhgAY7hSF0
Dr Alain Cohen