L’ECT, un choc salutaire en cas de haut risque suicidaire

Chez les patients dépressifs, le risque suicidaire reste élevé après une hospitalisation en psychiatrie, notamment dans les 3 mois suivant la sortie de l’hôpital. La prise en charge par électroconvulsivothérapie (ECT) semble alors efficace. Elle est recommandée par l’American Psychiatric Association en cas de dépressions sévères, y compris celles avec psychose, catatonie et/ ou risque suicidaire notable. Toutefois, peu de travaux ont évalué l’intérêt exact des ECT, avec des conclusions souvent divergentes.

Un travail a donc été entrepris par I. Rönnqvist et collaborateurs afin de préciser si le recours à l’ECT était associé à un moindre risque suicidaire en cas de syndrome dépressif unipolaire majeur. La cohorte utilisée est issue des divers registres nationaux suédois, regroupant les malades hospitalisés en psychiatrie pour dépression, y compris psychotiques, entre le 1er Janvier 2012 et le 31 Octobre 2018 et, plus particulièrement, ceux traités par ECT durant leur séjour hospitalier. Un appariement 1 :1 par score de propension en fonction des facteurs de risque suicidaire a été effectué entre patients traités ou non par ECT durant leur hospitalisation en milieu psychiatrique. La donnée essentielle analysée a été le nombre de suicides survenus dans les 3 à 12 mois suivant l’admission, après ajustement des facteurs confondants. Etaient exclus les patients présentant une dépression moyenne ou non spécifique, ceux avec des troubles maniaques, bipolaires, schizophréniques ou schizoïdes, avec manifestations délirantes, les sujets de moins de 18 ans ou enfin ceux ayant déjà reçu des ECT. Plusieurs covariables précédemment identifiées ont été prises en compte dans l’analyse : un âge avancé, le sexe masculin, une plus grande sévérité de la dépression, une histoire familiale, des antécédents de suicide ou d’automutilation, différentes comorbidités majeures, le niveau d’éducation ou encore des traitements antérieurs par lithium ou antidépresseurs. En cas d’indication thérapeutique, les ECT étaient, en règle générale, administrés 3 fois par semaine, par électrode unilatérale dans 86,5 % des cas, bilatérale dans 9,8 %, les données étant manquantes pour les 3,7 % restants.

Moins de suicides après 3 et 12 mois dans le groupe des patients traités par ECT

La cohorte d’étude comprend 28 557 patients. L’âge moyen est de 55,9 ans (18,4) dans le bras ECT et de 45,2 (19,2) dans l’autre ; 55,5 % (n = 15 856) sont des femmes ; 5 525 patients ont été appariés. Soixante-deux patients (1,1 %) se sont suicidés dans les 12 mois dans le groupe ECT, contre 90 (1,6 %) dans l’autre groupe, soit un Hazard Ratio (HR) calculé à 0,72 (intervalle de confiance à 95 % IC : 0,52- 0,99). Dans un délai plus précoce de 3 mois suivant l’hospitalisation, on compte 22/ 5 525 suicides (0,4 %) après ECT contre 45/ 5525 (0,7 %), la différence n’étant toutefois pas significative : HR à 0,66 (IC : 0,40- 1,11). Sur l’ensemble de la cohorte, le nombre total, toutes causes confondues, de suicides à 3 mois est, en moyenne, de 0,7 %, respectivement 0,6 % sous ECT vs 0,8 % sans, soit un HR significatif à 0,58 (IC : 0,40- 0, 83), la différence restant stable après ajustement pour traitement par lithium ou anti dépresseurs : HR à 0,60 (IC : 0,42- 0,86). On constate une interaction significative entre taux de suicide, âge des malades et intensité de la dépression. L’ECT a été associé à un risque suicidaire moindre entre 45 et 65 ans (HR : 0,54 ; IC : 0,30- 0,99) et chez les plus de 65 ans (HR : 0,30 ; IC : 0,15- 0,59) en comparaison avec des déprimés plus jeunes. A l’inverse, aucune association ne peut être mise en évidence dans la population moins avancée en âge, entre 18 et 44 ans (HR : 1,22 ; IC : 0,68-2,16). En analyse stratifiée, il est mis en évidence un lien entre risque suicidaire et sévérité de la dépression ou psychose : HR à 0,20 ; IC : 0,08- 0,54 ; p = 0,001. Globalement, la mortalité, toutes causes confondues, est moindre en cas d’ECT, tant à 3 mois (HR : 0,43 ; IC : 0,30- 0,61) qu’à 12 mois (HR : 0,67 ; IC : 0,55- 0,81), soit respectivement 41 et 161 décès vs 96 et 237 (p < 0,001).

Efficacité plus marquée chez les patients plus âgés et avec une dépression profonde

Ainsi, de cette étude à grande échelle ayant pris en compte des facteurs confondants multiples et variés, il ressort que le recours à l’ECT en cas de dépression sévère est associé à un moindre risque suicidaire 3 et 12 mois après une hospitalisation en milieu psychiatrique. Ces résultats sont en opposition avec ceux d’autres auteurs, comme Jorgensen qui avait signalé une majoration du risque de suicide après recours à l’ECT mais la population cible était différente, incluant des patients avec dépression moyenne, hospitalisés ou non, et de type non précisé. Il en allait de même dans la publication de Munk-Olson, avec là encore, un risque noté plus élevé mais dans un délai très court d’une semaine, avec un effectif très réduit et sans ajustement sur des facteurs confondants essentiels tels que comorbidité psychiatrique, somatique ou histoire familiale. Il faut insister sur le fait que le risque suicidaire a été moindre après ECT chez les patients d’âge avancé alors même que l’âge est, en soi, un facteur de gravité. Il en va de même en cas de dépression sévère.

Des réserves doivent toutefois être émises. Les patients ayant bénéficié de l’ECT avaient une dépression plus grave et souffraient plus souvent de psychose. L’association ECT-risque de suicide a pu être sous-estimée lors de l’analyse des registres nationaux. D’autres facteurs confondants ont pu être méconnus. Surtout le groupe ECT comprenait des patients hospitalisés qui ont pu bénéficier de traitements plus intensifs. Des travaux restent donc à mener pour mieux préciser les caractéristiques des patients susceptibles de bénéficier de divers traitements susceptibles de prévenir la mort par suicide, notamment ECT, lithium ou anti-dépresseurs.

Pour conclure, le recours à l’ECT en cas de dépression est associé à un risque moindre de suicide dans les 3 et 12 mois suivant une hospitalisation en psychiatrie. Ceci vient conforter l’intérêt de cette prise en charge à titre préventif pour les malades hospitalisés souffrant d’une dépression profonde, notamment ceux d’âge avancé ou ayant une psychose associée.

Dr Pierre Margent

Référence
Rönnqvist I et coll. : Electroconvulsive Therapy and the Risk of Suicide in Hospitalized Patients with Major Depressive Disorders. JAMA Netw Open, 2021, 4 (7), e :211 65 89. doi: 10.1001/jamanetworkopen.2021.16589.

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Vos réactions (2)

  • ECT dans les dépressions sévères, résistantes (donc suicidogènes)

    Le 19 août 2021

    Sujet récurrent très bien documenté ayant sauvé nombre de vies.

    ECT, médications psychotropes bien pensées (et repensées), hospitalisations avec ou sans contrainte : autant de décisions thérapeutiques opérantes (et opératoires), très loin des "seules bonnes paroles", même si les " mots pour le dire ", accompagnent avec pédagogie la décision opératoire.

    Dr Frédéric Lascoutounax

  • Retour vers le futur (ou l'inverse)

    Le 20 août 2021

    Allez, encore un effort, inventons la mélancolie, forme spécifique de la dépression où, là bien plus qu'ailleurs, on se suicide, et on ne se rate pas. Inventorions les marqueurs cliniques fins qui la différencient, par exemple l'autoaccusation et l'autodépréciation volontiers délirantes, les délires de négation d'organe style Cotard (...).

    Dr Gilles Bouquerel

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