Zika et microcéphalie: la preuve est presque parfaite

Poco Fundo, état de Pernambuco (Brésil) 2015

Il y a quelques semaines, les autorités sanitaires brésiliennes rapportaient une multiplication par 20 du nombre de cas de microcéphalies diagnostiquées chez les nouveau-nés dans le Nord-Est du pays avec plus de 3 000 cas dénombrés le 5 janvier. Cette flambée très inquiétante de microcéphalies était concomitante d'une épidémie d'allure explosive d'infections à virus Zika, flavivirus jusqu'ici absent dans cette partie du monde. Cette association épidémiologique temporelle était cependant insuffisante pour démontrer formellement le rôle direct du virus dans ces malformations gravissimes.

Deux cas brésiliens et une observation slovène

Mais deux observations très récentes confortent la suspicion d'une relation causale.

D'une part la mise en évidence par PCR par une  équipe brésilienne du virus dans le liquide amniotique chez deux femmes enceintes porteuses d'un fœtus microcéphale publiée en ligne le 5 janvier 2016 dans une revue d'échographie obstétricale (Ultrasound Obstet Gynecol) (1).

Et d'autre part la publication en ligne le 10 février 2016 dans une revue à plus fort Impact factor, le New England Journal of Medicine, d'une démonstration par la microscopie électronique et la génétique moléculaire du rôle très probable du virus dans la genèse de la malformation (2).

Cette dernière observation rapportée par une équipe de Lubiana (Slovénie) concerne une jeune femme de 25 ans. Celle-ci, qui avait débuté une grossesse fin février 2015, avait travaillé dans la région de Natal au Brésil lors du début de l'épidémie de Zika. A la treizième semaine de gestation, elle avait présenté un tableau clinique compatible avec un Zika symptomatique. Des échographies fœtales pratiquées à la 14e et à la 20e semaine de grossesse ont été considérées comme normales, mais un nouvel examen réalisé au retour en Europe, à la 29e semaine, a détecté des anomalies qui ont conduit à l'adresser au département de périnatologie du CHU de Lubiana.

Une nouvelle échographie pratiquée à la 32e semaine a mis en évidence une microcéphalie majeure avec calcifications cérébrales. Une interruption thérapeutique de grossesse a été alors pratiquée à la 32e semaine étant donné le très mauvais pronostic de cette malformation.

L'autopsie a confirmé les anomalies cérébrales avec notamment un cerveau de 84 g pour un poids fœtal total de 1 470 g, une absence de circonvolutions cérébrales, une dilatation des ventricules latéraux, des calcifications disséminées, une hypoplasie du tronc cérébral...

Les autres organes étaient macroscopiquement et histologiquement indemnes.

Une charge virale élevée dans le cerveau du fœtus

En microscopie électronique, des particules d'allure virale de 42 à 54 nm de diamètre compatibles avec un flavivirus ont été mises en évidence dans le tissu cérébral avec un aspect évoquant une réplication virale active. 

Surtout la RT-PCR a permis de détecter 6,5 X 107 copies d'ARN du virus Zika par milligramme de tissu cérébral. Ce virus n'a pas été mis en évidence dans d'autres organes, ce qui traduit son fort neurotropisme. Le séquençage complet de cet ARN de 10 808 nucléotides a montré une quasi identité (à 99,7 %) avec des virus isolés en Polynésie Française en 2013 et au Brésil en 2015 (avec toutefois 2 substitutions de nucléotides portant sur des protéines non structurantes).

Dans le même temps, les nombreuses recherches d'autres virus pratiquées sur ces prélèvements se sont toutes révélées négatives. Parallèlement, une consultation génétique ne permettait pas de suspecter une affection d'origine génétique pouvant être à l'origine de la microcéphalie et le caryotype se révélait normal. 

Une quasi certitude de l'implication de Zika

L'éditorialiste du New England Journal of Medicine (3) qui salue la qualité et la rapidité de ces investigations souligne qu'en théorie, tous les critères formulés par Robert Koch en 1890 pour pouvoir affirmer une relation causale entre une infection et une pathologie ne sont pas réunis puisqu'il manque la possibilité de déclencher la maladie par l'inoculation de l'agent pathogène suspecté (impossible dans ce cas en l'absence de modèle animal) et la reproductibilité de la mise en évidence du virus dans d'autres cas de microcéphalie.

Cependant, ces critères (surtout le premier) étant difficiles à respecter en l'espèce, pour Eric Rubin et coll. il faut considérer, avec les données biologiques et épidémiologiques disponibles, comme très probable, le lien causal entre transmission verticale du virus Zika et survenue d'une microcéphalie.

Complication nouvelle ou ignorée jusqu'ici

Pour comprendre ce phénomène inquiétant, et donc pouvoir y faire face, il reste beaucoup à faire:

- Déterminer quelle est la période de la grossesse où l'infection est le plus à risque de malformation.
- Savoir si les infections asymptomatiques ont le même pouvoir tératogène que les formes symptomatiques et s'il existe des formes moins graves d'atteinte cérébrale fœtale lors de l'infection de femmes enceintes.
- Evaluer l'amplitude du risque, en d'autres termes le pourcentage de fœtus touchés en cas d'infection maternelle. 
- Mettre au point un test diagnostique rapide plus longtemps positif que la PCR pour permettre un diagnostic rétrospectif devant une microcéphalie à la naissance.
- Comprendre les causes de l'émergence récente (tout au moins en apparence) de cette complication. S'agit-il d'une mutation du virus s'adaptant à un nouvel environnement ? De la conjonction entre des facteurs liés au virus et des particularités génétiques des populations nouvellement touchées, jusqu'ici "naïves" ? Ou, comme l'estiment certains, d'une complication passée inaperçue dans l'environnement pathologique très riche des régions où le Zika sévissait jusqu'ici (ce qui semble discutable).

La mondialisation aux deux visages

Quelles que soient les réponses à ces questions, en attendant un hypothétique antiviral et un vaccin, il faut se concentrer sur des mesures de santé publique: lutte contre les moustiques, protection individuelle des femmes enceintes, surveillance renforcée des grossesses...Sans oublier dans de nombreux pays touchés aujourd'hui en Amérique latine, un meilleur accès à la contraception et une réouverture du débat sur les indications médicales de l'interruption de grossesse.

L’histoire de l'épidémie de Zika est en train d'être écrite sous nos yeux.

Elle est la démonstration des risques sanitaires liés à la mondialisation mais aussi des progrès fulgurants accomplis grâce à cette même mondialisation. Celle-ci a en effet permis en quelques semaines à des épidémiologistes, des cliniciens, des micro-biologistes, des spécialistes de génétique moléculaire de continents différents de s'informer mutuellement et instantanément et de mettre en évidence ce nouveau risque.

Dr Anastasia Roublev

Références
1) Oliviera Melo AS et coll.: Zika virus intrauterine infection causes fetal brain abnormality and microcephaly: tip of the iceberg ? Ultrasound Obstet Gynecol 2016; 47:6-7; publication avancée en ligne le 5 janvier.
2) Mlakar J et coll.: Zika virus associated with microcephaly. N Engl J Med 2016; publication avancée en ligne le 10 février.
3) Rubin E et coll. : Zika virus and microcephaly. N Engl J Med 2016; publication avancée en ligne le 10 février.

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Vos réactions (9)

  • Rôle d'un insecticide ?

    Le 15 février 2016

    Et si le virus Zika n'avait vraiment rien à voir avec la multiplication des cas de microcéphalie en Amérique du sud ? Des chercheurs brésiliens et argentins mettent plutôt en cause un insecticide destiné à lutter contre la dengue. Pourquoi la Colombie, second pays le plus touché par le virus Zika, n'a encore enregistré aucun cas de microcéphalie ? Qu'en penser ?

    Dr Frédérick Evellin

  • La preuve n'est pas si parfaite qu'il y paraît

    Le 15 février 2016

    Il semble que le Zika ne soit pas seul en cause, comme le montre une étude qui pointe en direction de la responsabilité du pyroxyphène, un pesticide largement répandu au Brésil dans la lutte contre le vecteur de la dengue. Il ne semble pas y avoir d'anomalies de ce type dans les zones infestées par le Zika mais d'où ce pesticide est absent… la preuve n'est donc pas si parfaite qu'il y paraît !

    Dr François Thioly

  • Pyriproxifène

    Le 15 février 2016

    Ce n'est pas une revue médicale, mais elle relate des travaux de chercheurs, la journaliste n'a jamais publié sans preuve, la piste n'est pas à négliger...
    http://www.parismatch.com/Actu/International/Des-medecins-suspectent-un-produit-chimique-de-Monsanto-912875

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