
H. PILOQUET CHU de Nantes
Le lait et les produits laitiers constituent un aliment important dans l’histoire de la nutrition humaine. La domestication des bovidés (vache et bufflonne) et des ovidés (chèvres et brebis) a permis de procurer à l’homme de façon permanente une source alimentaire à haute valeur protéique et énergétique tout en épargnant la vie de l’animal. Aliment longtemps considéré comme bénéfique pour la santé, on assiste actuellement à une remise en cause de l’utilité du lait et de ses dérivés, ce qui peut aboutir chez les enfants à des situations à risque nutritionnel.
L’allaitement maternel : le modèle nutritionnel du petit enfant
Le modèle d’alimentation physiologique repose, selon l’OMS, sur
un allaitement prolongé de 18 à 24 mois. Les six premiers mois de
façon exclusive, puis de façon mixte : lait maternel et aliments
solides de 6 à 24 mois. Le modèle de l’allaitement maternel est
parfaitement adapté au nourrisson et présente des particularités
nutritionnelles uniques (apport énergétique lipidique majoritaire,
acides gras spécifiques, apports en cholestérol, en galactose par
le lactose, facteurs de croissance du microbiote humain). Ce modèle
d’alimentation humaine initial du petit enfant s’est modifié au
cours des siècles et a subi des évolutions importantes, notamment
dans les pays industrialisés. La réduction importante de la durée
d’allaitement dans de nombreux pays a nécessité le développement de
solutions de substitution adaptées. L’utilisation de lait de
mammifères modifié est apparue rapidement comme l’alternative
naturelle et logique.
Lait et croissance
De nombreuses sociétés savantes pédiatriques conseillent l’utilisation du lait dans l’alimentation des enfants. Les principaux avantages du lait sont sa teneur élevée en protéines animales à haute valeur biologique, mais également sa richesse en calcium. Le lait de vache, lait de substitution le plus fréquemment utilisé, n’est pas équivalent au lait maternel, il contient trois fois plus de protéines, avec des différences qualitatives, le lait de vache contenant plus de caséine que de protéines solubles (80/20) tandis que le lait humain contient plus de protéines solubles (60/40). Les préparations pour nourrissons (0-4 mois) et les préparations de suite (5-12 mois) nécessitent une adaptation pour correspondre à la physiologie, notamment rénale, du petit enfant (diminution du taux de protéines, modification du rapport caséine/protéines solubles). La composition de ces préparations lactées fait l’objet d’une législation française et européenne. Les protéines autorisées à la base de ces préparations sont le lait de vache et de chèvre, le soja et le riz. L’utilisation des jus végétaux non adaptés chez l’enfant de moins d’un an expose à des risques nutritionnels élevés pouvant entraîner des dénutritions majeures (hypoalbuminémie, oedèmes) avec arrêt de croissance ou des carences plus spécifiques (carence en fer, en calcium), comme rapporté dans une récente étude(1).
Les études observationnelles ont mis en évidence un avantage de
croissance staturale lié à la consommation de lait, en particulier
chez l’enfant d’âge préscolaire. Dans une vaste étude de cohorte (1
002 enfants âgés de 24 à 59 mois), A.S. Wiley a montré que les
enfants les plus consommateurs de lait bénéficiaient d’une taille
supérieure (+ 1,1 à 1,2 cm ; p < 0,02). Cet effet semblait
spécifique au lait puisque la consommation protéique totale n’avait
pas le même lien avec la taille(2). Cet effet particulier du lait
sur la croissance en taille a été retrouvé dans des études
conduites aussi bien dans les pays en voie de développement que
dans les pays industrialisés( 3). Le mécanisme d’action n’est pas
élucidé (figure) mais pourrait faire intervenir une augmentation de
l’IgF1 circulant associée au gain statural(4). Cette équipe a
également montré chez l’enfant prépubère l’effet de stimulation du
taux d’insuline par les protéines solubles, et de l’IgF-1 par la
caséine, sur une période courte de 7 jours(5).
Le lait : principale source de calcium chez l’enfant
Le lait et les produits laitiers représentent la principale
source d’apport calcique pour l’enfant et l’adolescent. Les besoins
en calcium sont particulièrement importants dans une période de
construction du squelette. Le lait constitue un vecteur favorable à
l’absorption du calcium comparé à d’autres sources (absorption
favorisée par le lactose). Les apports recommandés en calcium sont
définis par l’ANAES (2001) et résumés dans le tableau. Le processus
de constitution du squelette fait néanmoins intervenir d’autres
facteurs comme la génétique, le statut en vitamine D (lui-même lié
à l’exposition solaire) et l’exercice physique (déminéralisation
liée au décubitus prolongé). Dans cet ensemble complexe, l’effet
isolé de l’apport calcique est difficile à étudier. Les études
d’intervention de supplémentation calcique ont permis d’améliorer
la minéralisation osseuse globale. Cet effet paraît plus nettement
chez les filles adolescentes ayant, au préalable, un apport
calcique faible(6). Il illustre la possibilité d’une minéralisation
osseuse maximale avec des apports calciques et un statut
vitaminique D adéquats. Dans ce sens, les apports recommandés en
calcium utilisent un nombre de portions de produits laitiers en
fonction de l’âge permettant d’assurer des rations calciques
suffisantes. Le régime sans lait expose l’enfant à des apports
calciques insuffisants. L’exemple des enfants allergiques aux
protéines de lait de vache permet de mesurer, à distance de la
maladie, la diminution des apports calciques en rapport avec la
diminution de consommation des produits laitiers même si
l’interprétation des résultats est difficile (effet de la maladie
ou du régime). Le suivi d’enfants végétariens (ovo-lacto
végétariens) ou végétaliens stricts (vegan) permet de montrer
l’équilibre nutritionnel satisfaisant du premier et les risques
importants de carence du deuxième (carences en protéines, énergie,
fer, calcium et zinc) particulièrement dangereux à l’âge
pédiatrique(7).
Conclusion
Le lait constitue un facteur d’équilibre alimentaire dans l’alimentation habituelle de l’enfant et de l’adolescent. Il participe largement à assurer les besoins en protéines et en énergie nécessaire à la croissance, et correspond à la principale source de calcium, élément indispensable à la constitution du squelette en construction. Les régimes sans lait exposent les enfants à des risques de carence d’autant plus importants que l’enfant est petit. Au-delà d’un effet de mode, ces régimes devraient se limiter aux indications médicales (allergie vraie aux protéines de lait de vache, maladies métaboliques) et doivent s’accompagner d’une surveillance nutritionnelle spécifique (pédiatres, médecins nutritionnistes, diététiciennes) afin de minimiser leurs conséquences sur l’équilibre alimentaire.
Références
1. Le Louer B et al. Severe nutritional deficiencies in young infants with inappropriate plant milk consumption. Arch Pediatr 2014 ; 21 : 483-8.
2. Wiley AS. Consumption of milk, but not other dairy products, is associated with height among US preschool children in NHANES 1999-2002. Ann Hum Biol 2009 ; 36 : 125-38.
3. Hoppe C, Molgaard C, Michaelsen KF. Cow’s milk and linear growth in industrialized and developing countries. Annu Rev Nutr 2006 ; 26 : 131-73.
4. Hoppe C et al. Differential effects of casein versus whey on fasting plasma levels of insulin, IGF-1 and IGF-1/IGFBP-3: results from a randomized 7-day supplementation study in prepubertal boys. Eur J Clin Nutr 2009 ; 63 : 1076-83.
5. Hoppe C et al. High intakes of skimmed milk, but not meat, increase serum IGF-I and IGFBP-3 in eight-year-old boys. Eur J Clin Nutr 2004 ; 58 : 1211-6.
6. Huncharek M, Muscat J, Kupelnick B. Impact of dairy products and dietary calcium on bone-mineral content in children: results of a meta-analysis. Bone 2008 ; 43 : 312-21.
7. Van Winckel M et al. Clinical practice: vegetarian infant and child nutrition. Eur J Pediatr 2011 ; 170 : 1489-94.
8. Hoppe C et al. The use of whey or skimmed milk powder in fortified blended foods for vulnerable groups. J Nutr 2008 ; 138 : 145S-61.
9. Esterle L et al. Milk, rather than other foods, is associated with vertebral bone mass and circulating IGF-1 in female adolescents. Osteoporos Int 2009 ; 20 : 567-75.