La couleur de la victoire

Paris, le samedi 22 octobre 2016 - Elle ne sait pas. Elle sent bien que sa course n’a rien de comparable avec celle manquée quelques jours plus tôt. Mais impossible de dire quelle place elle aura sur le podium. Elle n’a pas pu voir ses adversaires. Alors, un peu interdite, elle se dirige vers le côté de la piste, elle attend que quelqu’un lui donne des informations précises. Et enfin, elle comprend. Elle a gagné.

Compétition

Les courses des athlètes aveugles aux Jeux Paralympiques ne sont que rarement immédiatement suivies d’explosions de joie ou de cris de rage. Il y a un petit délai. Un espace de silence avant que chacun apprenne avec précision son rang. Ce jour là pour Nantenin Keita, c’était la première place du 400 mètres dans la catégorie T13. Pour la jeune femme de 31 ans, déjà auréolée d’un solide palmarès, c’est un soulagement. Quelques jours plus tôt, elle n’avait pas caché sa colère d’être passée à côté de son 100 mètres. Derrière sa bonne humeur communicative, l’esprit de compétition est ancré chez la sportive. A tel point, qu’elle a préféré dissuader sa famille de l’accompagner à Rio, par peur de se déconcentrer et de la décevoir.

D’une enfance l’autre

L’admiration est centrale dans son lien avec ses proches. Notamment avec son père, le célèbre chanteur malien Salif Keita. Avec lui, elle partage un goût commun pour la musique (même si Nantenin s’avoue incapable de chanter), et surtout le même handicap. Nantenin est comme son père albinos. Enfant, Salif avait connu toutes les brimades. Son père issu de la famille fondatrice de l’empire du Mali décide d’abord de renvoyer le bébé et sa mère quand il découvre la peau blanche du nourrisson. Mais le chef du village, évoquant des pouvoirs mystérieux, l’en dissuade. Ce retour dans le giron paternel n’empêchera pas Salif d’être constamment l’objet de brimades et de coups de la part des autres enfants. C’est en souvenir de cette période de solitude que devenu père à son tour, le chanteur décide d’envoyer sa petite fille, âgée de deux ans, vivre en France.

La découverte de sa différence

A deux ans, Nantenin gagne ainsi Montreuil. Elle échappera ainsi au pire : en Afrique les albinos demeurent encore fréquemment l’objet de tentative de meurtres, sous le poids de légendes attribuant à certains des pouvoirs spécifiques. Les femmes, quant à elles, sont parfois violées en raison de la croyance selon laquelle un rapport sexuel avec une albinos permet de guérir le Sida. Cet exil n’empêchera cependant pas la petite fille d’être l’objet de railleries. Les enfants lui assurent qu’elle a dû être adoptée en raison de la couleur de sa peau, la traitent de sorcière, lui demandent encore si elle peut manger tout ce qu’elle veut. « J'ai plus souffert d'être albinos que déficiente visuelle. Quand j'étais petite, je ne comprenais pas pourquoi les enfants ne voulaient pas jouer avec moi, pourquoi ils me fuyaient. C'est en discutant avec mon père que j'ai compris que je n'étais pas comme les autres et que je ne voyais pas comme les autres », explique la championne paralympique.

Un combat supplémentaire

Grâce au soutien de son père, Nantenin ne flanche pas. Elle affronte les moqueurs. Et elle se lance à corps perdu dans le sport, comme son père a trouvé dans la musique son salut. Ici, c’est sa déficience visuelle qui représente son premier handicap. « Courir bien nécessite des gestes très techniques, mais comment les reproduire quand on a du mal à les voir ? C'est aussi une difficulté supplémentaire » explique-t-elle. Mais, battante, elle vient à bout de cet obstacle. « L’un de ses combats : être considérée comme une sportive, une performeuse, avant d’être perçue comme une handicapée » expliquent ses proches. Son autre combat est d’améliorer la condition des albinos au Mali et plus largement en Afrique. Aussi, quand elle ne court pas et qu’elle ne travaille pas (au sein du groupe Malakoff Médéric), elle multiplie les collectes, notamment de crèmes solaires, au bénéfice des albinos brimés de son continent natal. Etre la fille de Salif Keita est dans cette quête tout à la fois un atout et une entrave. La célébrité de son nom lui permet en effet d’ouvrir de nombreuses portes, mais la richesse de son père dissuade parfois les donateurs. Un énième obstacle que la jeune femme affronte comme tous les autres avec sourire et détermination.

Aurélie Haroche

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