Fin de vie : les incertitudes de François Braun

Paris, le mardi 11 avril 2023 – Alors qu’Emmanuel Macron a promis un projet de loi légalisant l’aide active à mourir en 2023, le ministre de la Santé François Braun ne cache pas ses incertitudes sur la question.

Peut-on porter un projet de loi auquel on n’est pas véritablement favorable ? C’est peut-être la question que devra se poser dans les prochains mois François Braun. Ces derniers jours, la France a pris, peut être irrémédiablement, le chemin vers la légalisation de l’aide active à mourir : la convention citoyenne sur la fin de vie, qui a achevé ses travaux le 2 avril, s’est exprimée en faveur de la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie et le Président de la République Emmanuel Macron a annoncé qu’un projet de loi en ce sens serait élaboré d’ici la fin de l’été. Mais dans un entretien accordé au journal Le Monde ce samedi, François Braun, qui devra sans doute porter ce projet de loi devant le Parlement, ne cache pas ses interrogations sur ce sujet hautement complexe et philosophique.

Comme sans doute beaucoup de Français, le ministre a bien du mal à avoir un avis tranché sur la question, pris entre la volonté de respecter la liberté des patients en fin de vie et celle de vouloir privilégier la vie sur la mort. D’un côté, il considère qu’il « ne peut pas accepter, en tant que ministre de la Santé, que des Français doivent aller dans un autre pays pour mettre fin à leur vie » et estime que l’aide active à mourir pourrait être légalisée « dans des cas très précis rigoureusement encadrés ». De l’autre, il estime que « l’euthanasie est une solution extrême » que la légalisation de l’aide active à mourir « changerait profondément notre société et notre rapport à la mort ».

« Je me souviens de chaque enfant pour lequel j’ai arrêté une réanimation »

Ces incertitudes, qu’ils partagent avec de nombreux médecins, qui sont confrontés à la mort parfois quotidiennement dans leur travail (rappelons que la société française de soins palliatifs est farouchement opposée à la légalisation du suicide assistée), il les puise dans son expérience d’urgentiste. « J’ai vu et accompagné, comme médecin urgentiste, des morts brutales ou non, des personnes âgées, des adultes mais aussi des enfants, des nourrissons, je me souviens de chaque enfant pour lequel j’ai arrêté une réanimation, c’est une expérience toujours très dure et ce n’est jamais la même histoire qui se répète » partage le ministre. « En tant qu’urgentiste, j’ai eu très souvent à réanimer des personnes après une tentative de suicide ; dans un nouveau cadre légal, s’il devait y en avoir un, il faudrait pouvoir continuer de le faire » insiste l’ancien urgentiste.

Les récents débats sur la fin de vie ont, au-delà de la question de l’aide active à mourir, mis le doigt sur les insuffisances de l’offre en soins palliatifs en France. Comme de nombreux médecins, François Braun considère donc que « la priorité doit être donnée au renforcement de l’existant ». « Par une plus grande appropriation des directives anticipées, par des professionnels de santé mieux formés, par un meilleur recours à la sédation profonde et continue jusqu’au décès : ce sont des outils que nous renforcerons en soutenant les soins palliatifs » promet le ministre de la Santé. « Je reste persuadé que si nous y arrivons, il y aura alors beaucoup moins de demande d’aide à mourir » espère-t-il.

François Braun l’« invisible »

Alors que la convention citoyenne sur la fin de vie (dont le ministre salue le « travail remarquable ») a rendu son rapport et que le chef de l’Etat semble avoir définitivement (?) pris position sur le sujet, François Braun espère encore que la question n’est pas réglée et qu’il pourra faire entendre son avis nuancé dans le débat ces prochains mois. « Le débat sur l’aide active à mourir est encore ouvert, sur un sujet aussi clivant que la fin de vie, il serait inacceptable pour les Français qu’on n’aboutisse pas à un débat serein au Parlement » commente le ministre. Il assure notamment qu’il fera tout pour défendre une sorte de clause de conscience pour les médecins : « je veux dire aux soignants que je ne veux pas, si la société souhaitait aller vers l’aide active à mourir, qu’elle puisse s’imposer comme une obligation aux médecins ».

Le doute exprimé par le ministre de la Santé face à ce changement éthique et philosophique majeur aura-t-il un poids dans le débat public ? Rien n’est moins sûr. François Braun reconnait lui-même qu’il fait partie des « invisibles », ces ministres qui font le travail mais dont la voix ne porte pas dans l’opinion publique.

Nicolas Barbet

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions (9)

  • Tentation faustienne

    Le 11 avril 2023

    Le risque plus général est que les lois sociétales qui se multiplient pour faire prévaloir la culture, ou ce qui en tient lieu, et la technique sur la nature, soient destructrices de notre humanité. Elles participent d’un esprit de démesure par lequel l’homme se veut demiurge, capable de recréer sa propre nature, de la transformer radicalement. C’est une nouvelle forme de la tentation faustienne. Mais chacun sait qu’il est dangereux de souper avec le diable, même avec une longue cuillère. Parce que la nature ne peut pas être exclue sans craindre que l’homme en pâtisse ainsi qu’Héraclite l’énonçait déjà (fragment 94) à sa manière elliptique : « Le soleil n’outrepassera pas ses bornes, sinon les Erinyes, gardiennes de la justice, sauront le retrouver ».
    JP Delsol

  • Fidèle à sa spécialité

    Le 11 avril 2023

    Comme les réanimateurs ont toujours été ambivalents face à la poursuite ou non de certains soins. Comme tous les réanimateurs, j'ai eu à trancher, jamais facilement.
    La carrière de Braun ne plaide pas pour qu'il défende cette loi. Je ne l'envie pas
    Pr émérite André Muller

  • Tout à son honneur

    Le 11 avril 2023

    C'est tout à l'honneur du ministre de la Santé, qui est médecin, de ne pas foncer tête baissée vers ce changement de civilisation que serait le droit de tuer qualifié pudiquement "d'aide active à mourir".
    La clause de conscience des médecins est évidemment un minimum, mais la légalisation de l'euthanasie ou de l'aide au suicide enverrai un très mauvais message sur la dignité des personnes en fin de vie.
    Dr M. De Guibert

Voir toutes les réactions (9)

Réagir à cet article