Antidépresseurs : la France en flagrant délit d’abus médicamenteux

Paris, le mardi 26 août 2008 – Depuis près d’une décennie désormais, la très forte consommation d’antidépresseurs en France, championne du monde en la matière, est un argument diversement utilisé pour dénoncer qui le mauvais moral de nos compatriotes, qui une dérive des prescripteurs : en tout état de cause une tendance franco-française qu’il est urgent de refreiner. Face à ce haro généralisé, les quelques voix qui tentaient de souligner que la dépression apparaît plutôt mal prise en charge dans notre pays et que de nombreux patients sont privés d’un traitement qui leur serait bénéfique étaient immédiatement taxées d’aveuglement, voire de complaisance à l’égard de l’industrie pharmaceutique.

Paradoxe

En juin 2006, un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé (OPEPS) coordonné par Hélène Verdoux et Bernard Bégaud, chercheurs à l’INSERM confirmait pourtant la schizophrénie française en matière de prescriptions et de consommations d’antidépresseurs. Il montrait en effet que la vente d’antidépresseurs a été multipliée par dix entre 1980 et 2001 en France, pour atteindre cinquante millions de boîtes par an. Il soulignait cependant que parallèlement à cette progression, moins d’un tiers des personnes souffrant d’une réelle dépression reçoit un traitement approprié. A l’occasion du lancement d’une campagne à destination du grand public sur la dépression, en octobre dernier, Hélène Verdoux était revenue dans le quotidien le Monde sur ce paradoxe : « Actuellement, le mot dépression est utilisé à tort et à travers. Il existe en France une surprescription d'antidépresseurs pour des personnes qui n'ont pas de pathologie dépressive, au sens médical du terme. Ils ont une plainte de mal-être face à laquelle la réponse médicamenteuse n'est pas forcément adéquate. (…) Ces personnes ont davantage besoin d'écoute, de psychothérapie, de soutien ». Elle remarquait cependant dans le même temps : « Dans la plupart des pays développés, la dépression est sous-diagnostiquée ».

Un message difficile à faire passer ?

C’est dans une perspective apparemment similaire que quatorze psychiatres, souvent fortement médiatisés et un médecin généraliste ont choisi de signer dans la revue Psychologie Magazine un appel destiné à alerter l’opinion publique et les autorités médicales quant à la « surconsommation » d’antidépresseurs en France. Le texte précise bien que « l’objectif n’est pas de remettre en question l’aide majeure apportée par ces molécules ». Cependant, les signataires souhaitent mettre en garde la société face « aux dangers de cette surmédicalisation du mal être ». En effet, ils observent que « Des centaines de milliers de personnes, dans des périodes de vie difficiles mais ne souffrant d’aucun trouble psychiatrique, se voient prescrire ces médicaments sur de longues durées ». Ils prônent le recours aux « techniques ayant fait leurs preuves pour soulager la douleur psychique non pathologique ». L’un des auteurs de l’appel, Boris Cyrulnik, complète pour sa part sa pensée dans le Journal du Dimanche en pointant du doigt le fait que dans nos sociétés modernes « La recherche du bonheur (…) provoque paradoxalement beaucoup de malheur ». Espérons cependant que la subtilité de cet appel ne sera pas uniquement entendue par les patients souffrant de dépression qui retardent leur demande de soins et pour lesquels la prise d’antidépresseur apparaît pourtant fortement salutaire.

A.H.

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Vos réactions (1)

  • Antidépresseurs

    Le 26 août 2008

    La réponse est toute simple : si les antidépresseurs sont presrits à tort et à travers, c'est parce que le diagnostic de dépression est actuellement entièrement dénué de sens. Si, comme l'écrit Pascal à propos du pouvoir prochain, j'avais du crédit en France, je ferais publier à son de trompe : "Celui qui pose un diagnostic de dépression n'a pas fait de diagnostic" et par conséquent n'est pas en droit de prescrire un traitement.

    Jean François Foncin

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