Débattre c’est bien, être efficace c’est encore mieux !

Paris, le samedi 28 mars 2015 – Dans leur grande majorité, les médecins bloggeurs aspirent à "changer la médecine". Ils refusent de reproduire les rapports médecin/malade d’antan (dont certains ont la nostalgie) au cours des quels les praticiens imposaient leur savoir, sans s’abîmer en explication et où ils oscillaient entre paternalisme et autoritarisme, tandis que les patients le plus souvent respectueux et admiratifs se laissaient délivrer conseils, prescriptions et admonestations sans broncher (ou presque !). Les malades ont aujourd’hui bien changé.

Parfois (souvent ?) moins respectueux, ils se montrent surtout plus curieux de comprendre les mécanismes de leur maladie et des médicaments qui leur sont prescrits  et refusent de se laisser soigner passivement. Internet, on l’a dit mille fois, a très largement contribué à cette évolution, en donnant accès à des informations jusque là impossibles à compiler pour le commun des mortels. Face à ces attitudes nouvelles, les praticiens ne pouvaient qu’eux aussi transformer leur pratique. Cette évolution s’est faite le plus souvent de bonne grâce (mais sans doute pas toujours)… et parfois de façon militante. Il est des médecins qui mettent un point d’honneur à ce que leurs discours, leur accompagnement, donnent une place centrale aux patients, à leurs choix et à leurs aspirations. Cependant, quotidiennement, ces médecins constatent les difficultés d’un tel engagement, voire les limites.

Explique toujours, tu m’intéresses !

Tout d’abord, d’un point de vue purement pragmatique, faire le choix d’expliquer les tenants et aboutissants de chaque geste et prescription nécessite du temps… temps parfois employé en vain, quand les arguments mille fois répétés ne sont pas entendus. C’est ce qu’illustre une note récente du blog "docteur du 16". Dans son "Histoire de consultation 180 ", il raconte comment un couple lui a récemment une nouvelle fois demandé la prescription d’un dosage du PSA. « Moi : "Vous voulez que je recommence à vous dire pourquoi le dosage du PSA en général et en particulier chez un homme de votre âge dont l'espérance de vie (…) est d'environ une quinzaine d'années, ne présente pas un intérêt évident quand on analyse le rapport bénéfices / risques ?" Ils attendent que je refasse complètement le boulot. J'explique, je réexplique, et je m'ennuie comme quelqu'un qui répète presque toujours la même chose et qui finit par se demander si l'autoritarisme, le paternalisme, l'avis d'expert, l'autorité de la chose jugée, le mieux disant médical et tout ce que vous pouvez imaginer, ne seraient pas mieux que les valeurs et préférences des patients... Je refais donc le boulot (…). J'ai convaincu Monsieur qui reformule qu'il n'a pas envie des complications, du suivi, de l'attente des résultats, dans le désordre. Un PSA prescrit par un collègue était à 1,25 (pour une normale inférieure à 4) il y a environ deux ans. Mais Madame A :"Je préfèrerais que vous le prescriviez et nous ne tiendrons pas compte du résultat" ». Cette anecdote suggère la lassitude pouvant s’installer chez les médecins s’étant donnés pour âpre mission d’offrir aux patients les meilleures armes pour faire leur choix face au refus d’entendre de certains. Elle évoque les limites d’une attitude basée sur la rationalité absolue et la transparence (même si ces limites n’invalident nullement la pertinence de cette attitude)… notamment parce que les nouveaux comportements des patients les poussent plus fréquemment à la défiance ou au recueil d’informations auprès d’autorités pas toujours incontestées (mais qu’ils écoutent pour leur part sans ciller).

Explique toujours, tu m’angoisses !

Au-delà de ces inévitables "échecs", d’autres s’interrogent sur les éventuelles conséquences délétères du "recul du paternalisme" ou plus certainement des nouveaux rapports qui se sont instaurés entre les patients et les praticiens. Dans une note ancienne, mais dont la réflexion est toujours d’actualité, intitulée "Le paternalisme en médecine, à éviter", l’auteur de "toubib92"  évoquait ainsi le risque de créer la confusion, voire de faire naître l’angoisse chez certains patients. Ce praticien le signale lui-même, il fait partie de  « ces médecins qui luttent quotidiennement pour ne pas (ou ne plus) être doctes,  péremptoires, affirmatifs. Au contraire je tente d’informer, d’échanger, de rappeler les controverses, de souligner les alternatives, de lister les complications possibles, de m’adapter au cas par cas…écouter, échanger, m’adapter… c’est mon crédo ». Néanmoins, cette ligne remarque-t-il n’est pas sans revers. « Nous provoquons parfois  l’anxiété. Nous informons, nous donnons de nombreuses alternatives, nous laissons le choix final au patient… mais parfois la viscosité mentale s’installe chez notre patient, "trop d’information tue l’information ", le patient n’a pas le temps de tout ingérer, intégrer, certains mots que nous avons utilisés sont peut être mal compris, mal interprétés, sources d’une angoisse que nous ne pouvions soupçonner, et le reste de notre discours médical ou de notre écrit n’est plus compris, ou n’est plus enregistré…Que faire ? Revenir en arrière ? Redevenir autoritaire, fermer la porte à toute discussion, pour préserver le patient d’une angoisse incontrôlable ? Heureux les simples d’esprit ? La politique de l’autruche ? A mon avis il faut continuer à lutter contre ce paternalisme mais il faut s’adapter au cas par cas, ne pas faire flamber une angoisse qui peut être destructrice et contre productive, et surtout, quand c’est possible, dire ce que nous ferions pour nous même ou pour notre famille, même si le vécu de chacun est différent. Souvent cette proposition soulage, guide humainement le patient » estimait-il, proposant une solution que tous sans doute ne reconnaîtront pas comme la meilleure. Certains remarqueront par ailleurs que le défaut d’informations est plus fréquemment source d’angoisse que leur profusion.

Explique toujours, tu ne me forces pas ! 

Comme l’indique le blog "toubib92" , l’une des conséquences d’une attitude "anti paternaliste" est de redonner au patient le pouvoir de décision, qui lui a souvent été confisqué. Mais là encore, une telle "doctrine" n’est pas sans comporter quelques effets secondaires. C’est la blogueuse Jaddo qui le constate dans une récente note. Elle observe combien de « la décision partagée » idéale, prenant en compte l’ensemble des incertitudes et arguments médicaux vers une décision univoquement adoptée par le patient reposant principalement sur des considérations non médicales, la frontière est imperceptible. Jugeant (sans doute trop) sévèrement sa propre pratique, elle explique son attitude, qu’elle décrit majoritairement en utilisant le terme de « gentillesse », d’une part par sa propension à « vouloir être aimée » et d’autre part « par réaction » contre les « médecins autoritaires et paternalistes » dont elle est « entourée ». Cependant, à la faveur du cas d’un patient qu’elle n’a pas voulu « forcer » à être hospitalisé et qui lors d’une admission en urgence a frôlé l’amputation, mettant en évidence le fait qu’une hospitalisation plus précoce aurait été salutaire, elle fait son introspection. « Je me ré-entends. Avec mes "quand même"  et mes "peut-être" , avec mes conditionnels, avec mon ton de voix qui dit de toutes ses forces : " Non mais c’est vous qui décidez, personne peut décider à votre place, dites-moi (…)." J’aurais du taper du poing sur la table. J’aurais pu dire " Non mais là on n’a plus le choix, sinon peut-être on vous coupe le pied ". (…) J’ai pas voulu l’embêter, et j’ai pas voulu le déranger, et j’ai pensé à sa mère dont personne ne s’occuperait. J’ai dit "Bon ok, on va essayer les mêmes antibiotiques que la dernière fois. " Et bien sûr Voltaire et la médecine me donnent raison. Y a neuf fois sur dix où il se trouve que le patient a guéri tout seul, ou un peu avec moi, où ça s’est pas fini si mal que ça. Mais mon boulot, (…) c’est d’être sûre. De peut-être hospitaliser neuf types qui en ont pas besoin (…) pour un type à qui ça va sauver la vie. Et je le fais pas. Je m’endors sur les statistiques, je me love dans la couette de la vie qui continue malgré moi. Pour qu’on m’aime. Pour qu’on trouve que j’ai été gentille. (…) Parce que j’ai une idéologie un peu idiote et surtout lâche en définitive, je me mets tout à l’autre bout de la balançoire, comme si ça allait changer les médecins autoritaires. Sur l’autel de mon militantisme, je sacrifie des patients que j’aurais dû secouer davantage. (…) Je milite pour le choix du patient, et je les laisse faire des bêtises au lieu de taper du poing. Un jour, sur Twitter, quelqu’un avait dit qu’il y avait pire que les médecins méchants : les médecins gentils et incompétents. Que c’était les plus dangereux » résume-t-elle.

Ces réflexions témoignent de la difficulté (l'intrinsèque impossibilité iront-même jusqu'à dire certains) d'assumer son rôle et sa responsabilité de médecin sans user d'une once d'autoritarisme.

Il est très probable que cette note ne soit qu’une réaction à brûle pourpoint lors de la découverte de la situation de son patient et que Jaddo est loin de renier vraiment la pertinence de son "idéologie" .

Néanmoins, ces quelques bloggeurs et d’autres mettent ici en évidence l’incommensurable fossé entre les grandes idées théoriques et l’épreuve de la pratique. Il n’est malheureusement pas que la lutte contre le "paternalisme" médical qui vérifie cette observation.

 

Pour découvrir ces analyses in extenso, rendez-vous sur ces liens :
http://docteurdu16.blogspot.fr/2015/02/un-psa-venu-de-nulle-part-histoire-de.html
https://toubib92.wordpress.com/2013/01/14/le-paternalisme-en-medecine-a-eviter/
http://www.jaddo.fr/2015/03/20/pour-que-le-feu-reprenne-sic/

Aurélie Haroche

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Vos réactions (4)

  • Formation par des médecins coupés de la réalité

    Le 28 mars 2015

    Ces médecins semblent découvrir ce que les autres professionnels (infirmiers, kinésithérapeutes) vivent depuis le milieu des années 1980 ! La question posée implicite est celle de l'anticipation de cette situation. Et là, les réponses sont sur le terrain, mais surtout dans la formation initiale, faite des par des médecins bien coupés de la réalité et qui officient à l'hôpital, milieu protégé en raison de nombreux filtres. Quand le malade va voir un médecin, c'est de sa propre initiative, donc il est demandeur et l'écart entre la réponse médicale et son observance ne peut pas être mesuré à l'échelon individuel. Informer, oui ; retenir l'information : ouf... agir en conséquence...?

    Dr Larochelle

  • Le juste milieu

    Le 28 mars 2015

    Entre imposer sa décision et demander au patient de décider, il y a un juste milieu.
    Imposer sa décision pose souvent problème. D'abord, sommes-nous toujours si sûrs de ce que nous recommandons à nos patients ? Un domaine, au hasard, la diététique : les concepts changent au fil des ans, parfois radicalement. Certaines pratiques que nous conseillions il y a quelques années sont considérées aujourd'hui comme inutiles, voire délétères. Dès lors, avons-nous le droit de perturber la vie des gens sans y réfléchir avec eux plus avant ? En outre, cette attitude nuit à l'observance.

    Dans d'autres cas, le patient peut seul choisir : par exemple opter pour un traitement radical qui va allonger son espérance de vie mais au risque d'une impuissance, ou d'un AVC. Et les vaccins : nous autres médecins ne sommes déjà pas d'accord entre nous...

    Mais pour choisir, le patient doit avoir compris les enjeux. Or pour cela, il faut d'abord qu'il soit dans des dispositions émotionnelles qui lui permettent de suivre une démarche rationnelle.
    Le médecin doit savoir l'aider à gérer la charge émotionnelle que les enjeux pour sa santé suscitent en lui. Il doit savoir lui apporter l'information dont il a besoin de façon adaptée, ce qui ne consiste pas seulement à remplacer les termes techniques par des mots simples. Il doit enfin savoir faire entendre son propre point de vue et le marquer de l'autorité nécessaire.
    Quand nous-mêmes consultons un confrère dans un domaine que nous connaissons mal, ou encore un expert dans un domaine non médical (par exemple un juriste), nous sentons bien cela : nous avons bien sûr besoin de comprendre, d'exprimer notre point de vue, de faire valoir nos choix personnels. Mais nous voulons aussi que celui qui est en face de nous nous guide de façon ferme, nous évite de mauvais choix.
    Tout ceci n'est pas inné. Il faut l'apprendre. Or ça n'est pas enseigné - ou très peu, et pas partout - au cours de nos études. La plupart des aînés qui nous ont encadrés durant nos études et nos stages ne savaient pas le faire, ils bricolaient leur relationnel en fonction de leur propre personnalité et de leurs croyances, de façon empirique. Nous en sommes tous au départ plus ou moins réduits à faire comme ça.
    Mais il y a des gens qui ont acquis ce savoir faire, et beaucoup l'enseignent. Il repose non sur des a priori, mais sur de nombreuses études scientifiques. Il existe des livres, et on peut faire des stages (dans ce domaine, la pratique ne peut s'acquérir uniquement par de l'auto-formation et de la théorie). Seul, on peut voir les problèmes, mais on ne peut pas apprendre comment les résoudre. Ou mal, et on fait du bricolage, avec beaucoup d'erreurs.
    Le plus grave est que beaucoup de médecins n'en ont pas conscience, ils ne se remettent pas en question. Après plus de 25 ans d'étude et de travail dans ce domaine - la communication médecin-patient -, je suis toujours stupéfait quand j'anime des formations de voir à quel point beaucoup de collègues pensent leurs propres habitudes et les trucs et tuyaux qu'ils utilisent - qui sont souvent en fait ce que l'on appelle des impasses relationnelles - comme des pratiques d'expert, dont ils sont très fiers.

    Dr Jean-Paul Huisman

  • Une bonne dose de bon sens

    Le 29 mars 2015

    Explications plus ou moins longues, écoute, prise en compte de la personnalité du patient mais surtout une bonne dose de bon sens ! Et à la fin la question du patient: "J'ai bien entendu, mais docteur vous feriez quoi à ma place"? Est-ce que ce n'est pas là que le "vrai dialogue" commence ?

    Dr Françoise Pitrou

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