
Paris, le samedi 18 juillet 2020 – Eric Caumes, Gilbert Deray, Bruno Mégabarne et d’autres sont devenus en quelques semaines des stars (presque) malgré eux du petit écran. Patiemment, ils ont expliqué la transmission du virus, l’épidémie, l’importance des fameuses mesures barrières. Ils ont pris position, ils ont également sermonné les Français et les pouvoirs publics. Ils peuvent connaître quelques divergences entre eux, assumer quelques erreurs d’interprétation. Cependant, ils ont adopté, pour la plupart, un ton grave et prudent. Ils ont notamment le plus souvent commenté les étapes du déconfinement avec inquiétude ; sauf peut-être la réouverture de l’école qui a suscité plus de débats.
Guerre picrocholine et invisible
Certaines voix se détachent. Elles ont préféré la distance. Elles ont voulu mettre en garde contre le catastrophisme. Il ne s’agit pas ici d’évoquer le professeur Raoult et ses épigones qui ne se sont pas toujours illustrés par le respect de la rationalité scientifique et de la nuance. Cependant, entre une certaine forme de catastrophisme teintée d’infantilisation et une défiance accusatrice et péremptoire, des voix intermédiaires ont tenté de se faire entendre, comme celles du professeur François Bricaire ou Jean-François Toussaint. Ils ont incité à se concentrer sur les chiffres pour évaluer avec plus de tempérance la réelle gravité de l’épidémie. Sur Twitter, ceux qui préfèrent un autre discours ne sont pas tendres avec eux ; les accusant notamment de positions dangereuses voire inconscientes. Mais François Bricaire et Jean-François Toussaint qui, probablement, ne fréquentent guerre Twitter sont sans doute indifférents à ces attaques.
Le pire n’est jamais sûr
Yonathan Freund l’est probablement également, bien que pour sa part il soit une star du réseau social. C’est d’ailleurs sur ce portail qu’il s’est fait remarquer par les journalistes en commentant régulièrement l’évolution de l’épidémie et les mesures adoptées. Toujours mesuré, il ne prend jamais de position farouchement hostile au confinement. Mais il se veut un rempart contre le catastrophisme. « Il existe une part d’incertitude concernant le Covid-19. La plupart de ceux qui s’en saisissent la prennent du mauvais côté : "Si ça se trouve, ce sera pire que prévu, etc." Pourquoi ne pas la prendre dans l’autre sens ? Pourquoi ne pas rassurer ? Même si je me plante, ce n’est pas grave, on a tous les indicateurs qu’il faut pour faire face » constate le jeune professeur de médecine d’urgence à Libération, qui lui a consacré un portrait cette semaine ; soit une « consécration » pour ce « bobo » qui s’assume.
Pas un oracle
La consécration est en réalité un peu antérieure, quand il fait sur Twitter une longue analyse le 21 mai qui débute par ces mots qui résume sa méthode : « Pourquoi je pense qu’il n’y aura pas de deuxième vague ou en tout cas que l’épidémie actuelle est terminée (…). C’est ma conviction, mais si elle ne vous plaît pas rien ne vous oblige à lire ou à commenter ». Chiffres à l’appui, il démonte les arguments des Cassandre qui s’inquiètent à chaque pique-nique géant sur les quais de Seine où après chaque journée où le R0 semble connaître un infime regain. Il plaide pour une réouverture franche des écoles et invite à faire confiance aux indicateurs mis en place. Le succès est important et le praticien ne cache pas qu’il s’en délecte. « C’était la veille de mes 40 ans. Toutes les télés et les radios m’ont appelé. Je n’ai jamais dit : "Ne croyez pas ce qu’on vous dit", mais je voulais rassurer les gens en leur donnant des raisons d’être optimistes. J’espère pour tout le monde que je n’aurai pas tort, mais je ne suis pas un oracle » raconte-t-il dans Libération. Aujourd’hui encore, il se fait le porte-parole d’une approche raisonnée, qui refuse de s’ériger en pythie, mais qui prend ses distances avec les injonctions intempestives.
Aimer la vie, même dans l’urgence
Ses messages suggèrent également clairement que Yonathan Freund est impatient de retrouver le monde d’avant, celui notamment des concerts de rock qu’il affectionne tant. Car dans un monde où la dépréciation est souvent plébiscitée, il n’hésite pas à affirmer qu’il « adore » sa vie. Il faut dire que les succès n’ont pas attendu le miroir aux alouettes de Twitter. Ce brillant étudiant en physique, entré à Normale, a décidé, en une après-midi, raconte-t-il probablement un brin pour la légende, de changer de voie et de devenir médecin après avoir visité une unité de recherche. Celui qui est devenu professeur à 38 ans est cependant loin de préférer les éprouvettes aux patients : ayant choisi la médecine d’urgence pour sa diversité et son adrénaline, il se félicite de voir à la Pitié Salpêtrière une trentaine de malades par jour. Mais il ne néglige pas les honneurs, les symboles et sa carrière universitaire, se flattant de son influence et de ses nombreuses publications.
Sans militantisme mais avec éthique
Clairement séduit par le jeu médiatique, il ne sera néanmoins probablement pas un militant syndical. Il ne fait en effet pas partie des différents collectifs qui se sont créés autour de la défense de l’hôpital, ne semblant notamment pas partager les revendications concernant le statut et la rémunération des praticiens hospitaliers. Mais on pourrait peut-être le voir comme un défenseur de l’éthique. « En plus d’être brillantissime, atypique dans sa formation et reconnu comme chercheur à l’étranger, Yonathan a une éthique » constate en effet dans Libération, l’ancien chef des urgences de la Pitié Salpêtrière, Bruno Riou. C’est en vertu de cette éthique que Yonathan Freund a refusé d’appliquer pendant l’épidémie les consignes empêchant les proches de se rendre au chevet de leurs parents mourant.
A.H.