Le cancer colo rectal (CCR) est le troisième cancer
diagnostiqué chez l’homme et le second chez la femme. Son étiologie
est multifactorielle, associant facteurs génétiques et
environnementaux. Parmi eux, certains sont modifiables, tel le mode
de vie, un excès d’adiposité, une alimentation de qualité médiocre,
l’inactivité physique, qui jouent un rôle important dans la
survenue et la progression des CCR.
Plusieurs revues systématiques intégrant des méta-analyses d’études
observationnelles prospectives ont confirmé une association entre
facteurs diététiques (aliments et/ou groupe d’aliments, boissons,
alcool, macro et micro nutriments) et incidence du CCR. Mais, à ce
jour, manque encore une synthèse effective de la valeur, de la
précision et de la qualité des preuves fournies. Le recours à une
revue de type « ombrelle » permet un résumé structuré et
critique des preuves apportées, dont la valeur peut être appréciée
selon plusieurs critères spécifiques comme la taille de
l’échantillon, la force et la précision de l’association, la
présence éventuelle de biais…Une telle revue a été conduite par le
World Cancer Research Fund, en partenariat avec
l’American Institute for Cancer Research qui a permis d’
établir un résumé actualisé et unifié des différentes données
épidémiologiques sur l’association entre régime alimentaire et
incidence du CCR. Dans ce but, une recherche bibliographique a été
effectuée dans MEDLINE, Embase et Cochrane Library, depuis leur
création jusqu’ à Septembre 2019. Les publications sélectionnées
devaient remplir les critères suivants : être des méta-analyses
d’études observationnelles prospectives de population d’adultes et
comporter une analyse de l’association entre facteurs diététiques
et incidence du CCR. Ces facteurs pouvaient être un aliment
particulier ou un groupe d’aliments, différentes boissons (dont des
boissons alcoolisées), des macro nutriments (hydrates de carbone,
graisses, protéines) ou des micro nutriments (vitamines, minéraux,
anti oxydants, polyphénols…). Des critères précis permettaient de
classer les preuves obtenues en convaincantes, hautement probables,
probables, faibles ou non significatives.
Quarante-cinq méta-analyses sous l’ombrelle
Sur un total de 9 954 publications, 222 en version intégrale (2,2
%) ont été examinées en vue de leur éligibilité ; 45 méta-analyses
(20,8 %) ont été retenues, permettant l’analyse, dans une revue «
ombrelle », de 109 associations possibles entre facteurs
alimentaires et incidence du CCR. Le nombre médian (IIQ) d’études
par méta analyse était de 6 (3-9), avec un suivi de 10,2 (9,3-
12,9) ans. La taille médiane de l’échantillon par méta-analyse
s’élevait à 598 744 (229 046- 991 470). Enfin, le nombre moyen de
CCR diagnostiqués était de 5 076 (2 673- 9 355), plus de 1 000 cas
étant signalés dans 90,8 % des associations testées. Suivant la
méthodologie AMSTAR-2, 2 méta-analyses seulement (4,4 %) ont été
considérées de bonne qualité, 15 (33,3 %) de qualité moyenne, 20
(44,4 %) de qualité médiocre et 8 restantes (17,8 %) en dessous du
niveau de qualification. Les associations portaient entre incidence
du CCR et divers types de régime alimentaire dans 13 cas, avec
différents types d’aliments dans 23, avec des boissons, dont
certaines alcoolisées dans 12, avec des macro nutriments dans 18 et
des micro nutriments dans 43.
Des régimes protecteurs et d’autres pas
Trente-cinq des 109 associations testées (32,1 %) se sont
révélés statistiquement significatives. Vingt-quatre (68,6 %) ont
fait seulement état d’un effet protecteur potentiel avec moindre
risque de CCR lié à une alimentation équilibrée, à un régime
méditerranéen, à une diète pesco-végétarienne (sans viande mais
avec poissons permis) ou semi-végétarienne, à des apports
conséquents en fibres alimentaires, graisses entières, légumes,
produits laitiers, légumineuses et micro nutriments, (dont apport
de calcium, zinc, magnésium, vitamines A, B6, D, E et acide
folique).
En revanche 31,4 % des associations évaluées suggèrent une
augmentation du risque en rapport avec un régime alimentaire
déséquilibré, de type occidental, avec la consommation accrue
d’alcool, de viandes rouges ou transformées, de porc, d’œufs et de
fer héminique. Toutefois, il importe de mentionner que pout 15,6 %
de ces associations, l’hétérogénéité est notable avec, dans 26,6 %,
une taille d’effet significative.
Cinq associations sur 109 (4,6%) étaient étayées par des
preuves fortes, indiscutables : deux portent sur l’impact délétère
de la consommation importante de viande rouge, vs un apport moindre
et sur la prise de 4 verres ou plus d’alcool par jour, vs une
consommation plus réduite. Les 3 autres, à l’inverse, suggèrent
l’effet protecteur net lié à une consommation accrue de fibres
alimentaires, à une consommation de calcium ou de yaourts, avec
diminution, alors, de l’incidence des CCR.
Des preuves suggestives ont été retenues entre une incidence
moindre et la prise de produits laitiers (lait, fromages…). A
l’opposé, une alcoolisation modérée (de 1 à 3 verres quotidiens) a
été associée à une hausse de l’incidence, en comparaison avec une
consommation nulle ou très occasionnelle de boissons alcoolisées.
Huit études ont suggéré, sans preuves formelles, le rôle bénéfique
du régime méditerranéen et d’une alimentation saine, du régime
pesco-végétarien ou semi-végétarien, de la prise de graines
entières, de lait non fermenté ou d’une supplémentation calcique.
Ultérieurement, plusieurs analyses de sensibilité, comportant
notamment l’exclusion des études de taille réduite, n’ont pas
modifié les résultats globaux.
Viande rouge et alcool, décidément délétères
Après exclusion des travaux de qualité limite et de ceux
n’ayant pas inclus un nombre considérable de facteurs confondants
potentiels, seules restent, avec un bon niveau de preuves, les
associations entre consommation de viande rouge et d’alcool et
risque accru de CCR.
Ainsi, sur 45 méta-analyses étudiées, peu réunirent un niveau
de preuves fortes et indiscutables. Parmi elles, une consommation
accrue de viande rouge et d’alcool majore, de façon certaine, le
risque de CCR et, à l’inverse, une alimentation riche en fibres
diététiques, en calcium et en yogourts le minore indiscutablement.
Des preuves moins fortes mais toutefois plutôt convaincantes ont
été retrouvées avec les régimes de type méditerranéen,
pesco-végétarien, riche en graisses complètes, en produits lactés
ou en calcium. On reste toutefois, aux termes de ce travail, dans
l’ignorance des facteurs biologiques précis sous tendant ces
associations positives ou négatives. A titre d’exemple, l’action
bénéfique des produits riches en calcium et des yogourts pourrait
passer par une baisse des acides biliaires non conjugués et des
acides gras libres au niveau de la lumière colique, minimisant
ainsi leurs effets toxiques propres. Les yogourts pourraient aussi
agir par la présence de bactéries productrices d’acide lactique,
tendant à réduire le taux de divers carcinogènes et à moduler le
microbiome digestif. Ce travail prête toutefois à quelques
réserves. Il n’a pas inclus d’études dose-réponse. Les études
randomisées ont été peu nombreuses, contrairement aux études
observationnelles, avec risque supplémentaire de biais. La taille
réduite de certains échantillons a pu jouer. Enfin, il n’a pas été
réalisé d’analyse de sous-groupes, fonction, par exemple, de l’âge,
du sexe ou de la localisation colique ou rectale du cancer.
En conclusion, les recommandations concernant l’alimentation dans
un but de prévention du CCR mettent en avant l’effet bénéfique de
la prise de fibres alimentaires, de l’apport en calcium et yogourts
et, à l’inverse, le rôle néfaste d’une consommation de viande rouge
et d’alcool. Des travaux à venir devront porter sur certains
aliments particuliers, dont les produits laitiers, les graisses
complètes, les viandes transformées…
Ici encore, il est très documenté depuis une décennie que le lien entre l'alimentation et la maladie passe par le microbiote. Le métagénome fécal est une source de biomarqueurs du risque de CCR et de son évolutivité. En outre, il existe des dysbioses coliques caractéristiques qui pourraient être susceptibles d'être traitées, impliquant quelques espèces particulièrement oncogéniques (F nucleatum, certains E coli, S gallolyticus, etc.) et leurs métabolites. Voici quelques échos de la littérature la plus récente.