Extrême prématurité : quelles limites à la viabilité ?

Les chances de survie, et de survie sans séquelles, des prématurés, chutent rapidement lorsque le terme descend en dessous de 25 semaines, jusqu’à s’annuler, ou presque, à 22 semaines. Cependant, pour décider de réanimer ou pas les extrêmes prématurés (EP), il faut, peut-être, ne pas s’arrêter à l’âge gestationnel (AG).

L’étude d’observation, multicentrique et prospective, de JE Tyson et coll. a dégagé 4 facteurs cliniques susceptibles d’améliorer le pronostic des EP : un poids de naissance (PN) élevé, le sexe féminin, une grossesse unique, et une corticothérapie anténatale.

Les 4 446 participants ont été recrutés de 1998 à 2003, dans 19 centres américains, sur des critères d’AG (22 à 25 sem), et de PN (400 à 1000 g).

La décision de réanimer-en pratique, de ventiler l’enfant- était prise à la naissance, « au cas par cas ».
Une ventilation mécanique a été mise en oeuvre chez 5 EP sur 6. Tous les EP non ventilés (n=744) sont décédés rapidement. (A vrai dire, quelques uns ont survécu sans ventilation et sont exclus de l’étude). Par rapport à eux, les EP ventilés (n=3 702) étaient moins immatures (AG=24,2 sem. vs 22,7 sem.) et plus lourds (PN=670 g. vs 536 g.), leurs mères avaient plus souvent reçu des corticoïdes (80 % vs 28 %) et été césarisées (48 % vs 9 %).

Le pronostic vital et neuro-développemental a été apprécié à 18-22 mois, sur 4 192 enfants.
Globalement, les EP avaient des taux de décès de 49 %, de décès/handicaps profonds de 61 %, et de décès/ handicaps divers de 73 %. Ces taux étaient très sensibles à l’AG : à 25 semaines, ils étaient, respectivement, de 25 %, 38 % et 54 %, alors qu’ils approchaient de 100 % à 22 semaines.

Chez les enfants ventilés, d’après des analyses multivariées, un PN plus élevé (par tranches de 100g), un sexe féminin, une grossesse unique, et l’injection de corticoïdes fluorés à la mère (≤ 7 J avant la naissance), réduisaient les risques d’issue défavorable, indépendamment de l’AG. Pour chaque facteur, la réduction de risque équivalait à celle procurée par une semaine de terme supplémentaire. Par exemple, la réduction de risque de décès était de 36 % chez une fille par rapport à un garçon (OR=0,64 ; IC 95 %=0,55-0,75), alors qu’elle était de 38 % chez un EP de 25 sem. par rapport à un EP de 24 sem. (OR=0,62, IC 95 %=0,53-0,74).
Il y avait quelques différences d’un centre à l’autre, mais l’ethnie n’avait aucune influence.
Un modèle tenant compte des 4 facteurs, en plus de l’AG, prédisait le devenir de tous les EP avec plus de précision qu’un modèle basé sur l’AG seul (p < 0, 001).

L’extension des soins de réanimation à tous les enfants de 22-23 sem, se serait soldée par au moins 1 749 journées d’hospitalisation supplémentaires, avec en contrepartie 0 à 9 survivants de plus par 100 enfants traités, donc beaucoup de souffrance, de consommation de ressources, et de dépenses, pour un gain de survivants minime.

Aux limites de la viabilité, les auteurs préfèrent une position plus nuancée que l’alternative entre « la réanimation systématique à partir de 22 semaines » et « l’abstention jusqu’à 25 semaines ». Leur travail contribue à rendre plus objective la difficile décision de réanimer ou pas un EP, en rajoutant quatre facteurs de risque à l’AG : le PN, le sexe, le nombre de fœtus, et la corticothérapie anténatale. Un petit programme en ligne donne la probabilité de toutes les issues possibles, en fonction de ces 5 paramètres cliniques, selon que l’enfant est ventilé ou pas (http://www.nichd.nih.gov/neonatalestimates). Ainsi, un garçon singleton de 23 sem. et de 500 g., dont la mère n’a pas reçu de corticoïdes et qui est ventilé, a 4% de chances de survivre sans séquelles …
Hormis sa nature même, cette grande étude d’observation a peu de faiblesses. L’imprécision possible sur les AG est limitée par le « filtre » mis sur les PN, et le taux des « perdus de vue » n’est que de 6%.
Elle apporte une aide précieuse à la décision, mais elle laisse en suspens la question cruciale. A partir de quelle probabilité de survie sans séquelles est-il raisonnable de mettre en route des soins de réanimation chez un nouveau-né de moins de 25 semaines ?

Dr Jean-Marc Retbi

Références
Tyson JE et coll. : Intensive care for extreme prematurity. Moving beyond gestational age. N Engl J Med 2008 ; 358 : 1672-1681

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