Critique de la raison impure

Dr Alain Fisch
Paris, le samedi 14 juin 2014 – Nos sociétés occidentales ont tôt fait de donner des leçons à celles qu’ils taxent « d’obscurantistes » en raison de l’existence de pratiques, qui il est vrai, feraient honte aux philosophes des lumières. Pourtant, bien que maitrisant les plus technologies les plus pointues, bien que brandissant le dogme du rationalisme à la moindre occasion, nos pauvres mondes ne sont pas toujours si éloignés des rivages de l’obscurantisme.  Se parer d’argumentaires pseudo-scientifiques, s’appuyer sur des chiffres et tenter des déductions apparemment logiques n’y changent guère. Comme l’évoque ici Alain Fisch, spécialiste des maladies infectieuses et tropicales au Centre hospitalier Villeneuve Saint-Georges,  il n’est qu’à entendre les élucubrations des ligues anti-vaccins pour constater que les croyances du Moyen Age ne sont pas loin et que les leçons de John Stuart Mill ou d’Austin Bradford Hill sont loin d’avoir été apprises.

Par le docteur Alain Fisch *

En ce temps-là, les gens étaient crédules et superstitieux. Que deux évènements surviennent au même moment, ils ne manquaient pas de penser que l’un était la cause de l’autre.
Et bien, cela dure encore, comme si l’humain était condamné à n’avoir de seul critère de causalité que la co-incidence temporelle.

Les exemples de ce déficit d’analyse sont multiples : citons l’un d’entre eux, particulièrement amusant, ou plutôt affligeant. Le 16 juillet 1969 est lancée par la Nasa la fusée lunaire Saturn 5, programme Apollo 11. Neil Armstrong sera le premier humain à poser son pied sur la Lune. La médiatisation est gigantesque. Dans le même temps survient une importante épidémie de conjonctivite aiguë virale hémorragique en Afrique de l’Ouest liée à l’Enterovirus EV70. Les populations font immédiatement le lien entre ces deux évènements et en accuse le responsable : Apollo 11. A tel point que l’Enterovirus finira par porter le nom de virus Apollo. La relation de cause à effet ne fait effectivement aucun doute !

Bien loin de John Stuart Mill et Austin Bradford Hill

Dans l’histoire, de nombreux philosophes et penseurs (comme John Stuart Mill, 1843) et scientifiques ont tenté de mettre un terme à cette pensée primitive, sans grand succès puisqu’elle perdure. Plus récemment, en 1965, Austin Bradford Hill proposa sept critères de causalité nécessaires avant d’incriminer n’importe quoi, n’importe qui, désormais universellement reconnus.

1.    Relation temporelle : certes, mais aussi…
2.    Force de l’association (exemple historique : il y a une forte association entre le tabagisme et le cancer bronchique).
3.    Relation dose effet (même exemple : plus le tabagisme est important, plus le risque cancéreux l’est aussi).
4.    Temporalité de l’association : la cause suspectée doit impérativement précéder l’apparition de la maladie étudiée ; de la même manière, si disparaît la cause suspectée, la morbidité qui lui est imputée doit décroître proportionnellement.
5.    Spécificité de l’association : une cause suspectée ne doit conduire qu’à la seule conséquence suspectée.
6.    Reproductibilité : si une seule équipe de chercheurs trouve l’association entre la cause suspectée et la conséquence, la probabilité de lien causal est très faible ou nulle. Plus le nombre d’équipes est élevé qui retrouvent le lien, plus le lien est fort.
7.    Plausibilité biologique de l’association. Plus l’association entre l’agent causal et la maladie est compatible avec les données de la science, plus fort sera ce critère ; et inversement.

Après les vaccins ROR, hépatite B… le vaccin Gardasil® contre les papillomavirus responsables des cancers du col utérin est aujourd’hui attaqué par des ligues anti-vaccins. Attaqué par des gens qui n’ont pour seul critère de causalité que celui de la cohérence chronologique - soit un critère sur sept ! Le Moyen-âge et ses superstitions sont toujours là.

Sur les délires et ravages de ceux qui ne respectent pas ces critères de bon sens, aux USA : voir http://www.contrepoints.org/2014/04/16/163023-les-vaccins-oppression-etatique

Reproduit avec l'aimable autorisation du site Santé-Voyages.com

*Centre hospitalier Villeneuve Saint-Georges.


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Vos réactions (5)

  • Raison impure et mauvaises intentions

    Le 14 juin 2014

    Voilà qui est sage d'être rappelé. Personnellement impliqué car jeune étudiant j'ai été l'un des 200 premiers vaccinés volontaires par le programme d'étude du premier vaccin anti-hépatite B, j'ai forcément été intéressé par les développements des campagnes accusatrices. Une fois installé, voilà donc que l'un de mes patients, abonné de "L'Impatient", porte plainte pour la SEP qu'il déclarait 1 mois après sa troisième injection de GenHévac B dans un cadre professionnel.
    Son cas sera donc porté parmi les 6 plaignants du premier procès médiatisé ad hoc par cette Association vindicative.
    Exactement dans le même temps, je lui demandais les examens biologiques nécessaires et le TDM orienté sur la selle turcique, qui confirmaient plus que mon diagnostic: un incroyable kyste sur adénome hypophysaire d'une évolution suffisamment ancienne pour ne pas l'avoir rendu aveugle, mais bien responsable de ses troubles réels, une hyperthyroïdie centrale. Traitement chirurgical avec succès. Mais aucun effet sur sa paranoïa et l'enfer qu'il faisait vivre à son entourage et surtout son voisinage, usant la patience même des gendarmes de la localité...
    La justice ne retiendra donc plus son cas, et moi non plus, l'éjection de mon cabinet se faisant avec pertes et fracas au bout de ma patience, copie complète de son dossier mise en sûreté au Conseil de l'Ordre sous scellé... Paranoïa pour paranoïa...
    Ce contre exemple pourtant ne doit pas décourager les initiatives de recherches à partir de l'un des seuls critère énoncés à l'établissement d'un lien de causalité: jamais Pasteur ne se serait fait connaître...
    Cependant, tel un commissaire Maigret, le scientifique ne saurait se lier aux relations passives des faits, tel l'enchaînement de faits plus "minéraux", et ne devrait pas oublier l'intentionnalité.
    A la limite du sophisme, reprenons Pasteur: quel danger pour l'homme aurait le virus de la rage, si ce pauvre animal n'avait envie de mordre à cet instant même? Quel danger pour l'homme qu'un requin bulldog si l'on ne fait pas de surf ou de baignade à l'endroit précis et connu de sa zone de chasse? A-t-on supprimé les poids lourds car se faire renverser par un camion était mortel?
    De même, la dose est proportionnellement délétère: hors incendies, le cyanure ne bouleverse presque personne, mais l'intoxication volontaire est radicale (souvenons-nous du Zyklon B). On constate in fine que la dose était mortelle. Mais qui a fait la dose?
    Le chercheur est donc aussi un enquêteur: voir à qui profite le crime biologique... Voilà donc une fameuse constante variable...
    Dr Dominique Alberti

  • Raisons impures et bonnes intentions

    Le 14 juin 2014

    Excellent article et tout aussi excellent commentaire : à lire et méditer !

    Dr R. Masseyeff

  • Excellent article

    Le 14 juin 2014

    Il faudrait le faire connaître à tout le personnel de santé.

    E Vasquez (Mexico)

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