Ebola : est-il déjà trop tard ?

Neuf mois après l'apparition des premiers cas d'Ebola en Guinée dans le district de Guéckédou, l'équipe de l'OMS en charge de l'épidémie en Afrique de l'Ouest fait le point dans le New England Journalof Medicine sur l'état actuel de la transmission de la maladie et surtout sur ses perspectives d'évolution à court et moyen terme.

Au 14 septembre 2014, on dénombrait 4 507 cas probables ou confirmés et 2 296 morts se répartissant essentiellement en Guinée, Sierra Leone et Libéria, le Nigéria ne comptant à cette date que très peu de cas et le Sénégal un seul. Ces statistiques, basées sur les infections notifiées aux autorités des différents pays et centralisées par l'OMS, ne sont naturellement pas exhaustives puisque l'on sait que de nombreux patients ne sont pas identifiés, soit parce qu'ils ne sont pas hospitalisés soit parce qu'ils décèdent loin de tout centre de traitement.   

995 patients pour 610 lits

L'étude épidémiologique détaillée de l'équipe de l'OMS a été fondée sur 3 343 cas confirmés et 667 cas probables. Sur cette base, de nombreuses données déjà connues depuis les précédentes épidémies d'Afrique centrale ont pu être confirmées ou précisées :

- Les manifestations cliniques "classiques"  (fièvre, asthénie, anorexie, vomissements, diarrhée, céphalées) ont concerné plus de la moitié des patients tandis que les symptômes hémorragiques sont plus rares.
- Le taux de mortalité pour les patients dont on connait l'évolution s'établit à 70,8 % pour l'ensemble des malades et à 64,3 % pour les malades hospitalisés.
- Les facteurs de risque de décès sont assez attendus : âge supérieur à 45 ans, nombre de symptômes présents, signes hémorragiques.
- La période d'incubation moyenne est de 11,4 jours et est inférieure à 21 jours pour 95 % des patients ce qui justifie la durée recommandée de suivi des sujets contacts fixée à 21 jours. 
- La durée des symptômes avant hospitalisation, c'est à dire la période où les patients sont susceptibles de transmettre le virus dans la population est en moyenne de 5 jours.
- L'intervalle sériel, défini comme le délai entre le début de la maladie pour un cas index et l'apparition des symptômes chez un sujet contaminé par ce patient est en moyenne de 15,3 jours.
- La durée moyenne d'hospitalisation avant le décès est de 4,2 jours tandis que dans les cas favorables, le patient quitte le centre de traitement après 11,8 jours en moyenne. Ces deux chiffres sont particulièrement importants pour prévoir les besoins en lits d'hôpital en fonction du nombre estimé de nouveaux cas. A cet égard on estime que 995 patients justifiaient une hospitalisation dans les 3 pays la semaine du 8 au 14 septembre et que ces états ne disposaient à cette date que de 610 lits ! 

Un temps de doublement entre 15 et 30 jours

Au delà de ces données statiques, le travail des experts de l'OMS permet de mieux comprendre l'évolution actuelle de l'épidémie et de prévoir, avec toutes les restrictions que l'on imagine, son devenir proche.

Il a été ainsi possible de suivre, dans les 3 pays l'évolution du taux de reproduction sériel R0 de la maladie, ce taux correspondant en théorie au nombre moyen de cas secondaires lorsqu'un patient index est introduit dans une population non infectée. Lorsque R0 est plus grand que 1 la maladie peut se propager dans la population à une vitesse augmentant avec les valeurs de R0.  Ce taux de reproduction sériel est actuellement de 1,81 en Guinée, de 1,51 au Libéria et de 1,38 en Sierra Leone. Il est à noter que ce taux R0  varie au cours de l'épidémie en fonction notamment du succès ou de l'échec des mesures de prévention et qu'il était ainsi autour de 1 en Guinée entre mars et juillet, époque où l'on estimait que l'épidémie était en passe d'être jugulée, alors qu'il est remonté à 1,81 début septembre.

Sur ces bases épidémiologiques, on peut estimer le temps de doublement de l'épidémie. Il était au 14 septembre de 15,7 jours en Guinée, de 23,6 jours au Libéria et de 30,2 jours en Sierra Leone. 

20 000 cas début novembre et une transmission endémique

A partir de cette "photographie" de l'épidémie au 14 septembre, ces experts estiment que, si les moyens de lutte contre la maladie ne sont pas sensiblement accrus immédiatement, au 2 novembre on comptera plus de 20 000 cas en Afrique de l'Ouest (dont 5 740 en Guinée, 9 890 au Libéria et 5 000 en Sierra Leone). 

Pour les mois qui suivront, sauf réaction très énergique de la communauté internationale,  l'avenir apparaît très sombre et l'on peut craindre qu'Ebola devienne endémique pour une longue période en Afrique de l'Ouest avec le risque de propagation épidémique à d'autres pays africains et à d'autres continents.

Cette étude épidémiologique et l'éditorial qui l'accompagne reviennent également sur les causes de ce fiasco dénoncées depuis des mois par les organisations humanitaires : système de santé défaillant de longue date dans les 3 pays les plus touchés, absence de confiance dans les autorités nationales après des années de conflits armés, mobilité importante des populations concernées, densité de population élevée dans les grandes villes atteintes, réactions trop tardives et trop timorées des autorités sanitaires locales, institutions internationales et des pays développés qui n'étaient pas préparés à faire face à une telle catastrophe sanitaire.

Si tout espoir n'est pas perdu et que l'on peut envisager un sursaut international avec mise à disposition des pays atteints de moyens efficaces de lutte (y compris militaires) et qu'à moyen terme, le développement de traitements actifs et d'un vaccin pourraient permettre de juguler l'épidémie, on peut craindre à la lecture de cette publication et de son éditorial qu'il soit déjà trop tard pour une maîtrise rapide de la catastrophe sanitaire.

Dr Anastasia Roublev

Références
1) WHO Ebola Response Team: Ebola virus disease in west Africa-The first 9 months of the epidemic and forward projections. N Engl J Med 2014; publication avancée en ligne le 23 septembre 2014 (DOI:10.1056/NEJMoa1411100).
2) Farrar J et coll.: The Ebola emergency- Immediate action, ongoing strategy. . N Engl J Med 2014; publication avancée en ligne le 23 septembre 2014 (DOI:10.1056/NEJMoa1411471).

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Vos réactions (2)

  • Vive les projections statistiques

    Le 26 septembre 2014

    Nous n'avons toujours pas atteint, heureusement, le même ratio que celui de la grippe (plus de 3,6 % de la population atteint) nous en sommes guère qu'à 0,09 % de la population du pays, 0,022 % de la population d'Afrique de l'ouest...
    Mais le fait de la mise en quarantaine militaire de villes ou de régions induit selon OMS d'autres facteurs aggravant: dénutrition, autres épidémies, violence...
    Pourquoi alors, ne pas envisager d’isoler totalement les cas suspect, voire les supprimer (comme c’est déjà le cas dans certaines régions africaines, face à cette panique savamment entretenue) ?
    Arrêtons de stigmatiser cette épidémie au-delà de son existence réelle, soignons et accompagnons les humains comme le font les humanitaires au quotidien, et arrêtons de créer une panique mondiale sur des projections chiffrées rejoignant peut être le flop de la grippe aviaire...
    Restons humain face à des humains!
    Restons des Soignants face à des malades!

    Nicolette Chesnais

  • Ce ne sont pas des militaires qu'il leur faut

    Le 06 octobre 2014

    L'important est de tous s'unir pour envoyer au plus vite des doses utiles au traitement et pourquoi pas chaque pays dans la spécialité qu'il peut produire.
    Envoyez leur de quoi se soigner ce ne sont pas des militaires qu'il leur faut mais des traitements il faut le faire au plus vite et au mieux possible.

    Dr Jeanne Guilbaud

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