Quels risques de propagation d'Ebola par le trafic aérien ?

La question du risque de propagation de l'épidémie d'Ebola dans de nouveaux pays par le biais des liaisons aériennes commerciales est posée tant en Afrique que dans les pays occidentaux.

Diverses mesures ont été prises, en ordre dispersé, par les autorités sanitaires et aéronautiques et les compagnies aériennes des états potentiellement concernés, allant de l'interruption pure et simple des vols, au contrôle des passagers au départ et à l'arrivée des vols ou simplement à leur départ.

Dans leur choix, les autorités doivent faire la balance entre la réduction du risque de contamination pour les pays non encore touchés qui accompagnerait ipso facto la limitation voire l'interdiction des liaisons aériennes commerciales (hors raisons humanitaires) et les conséquences négatives prévisibles de ce type de blocus, même partiel, sur la santé publique et l'économie des états qui sont aujourd'hui victimes de l'épidémie.

Des données trop précises... pour être exactes

Pour trancher de façon dépassionnée, si cela est encore possible, les décideurs disposent de bien peu de données objectives.

Une publication en ligne sur le Lancet le 21 octobre 2014 apporte quelques éléments chiffrés sur la question qui pourraient être utilisés comme aide à la décision.

Isaac Bogoch et une équipe internationale regroupant des épidémiologistes canadiens, américains et britanniques ont tenté de modéliser le risque de dissémination d'Ebola à partir des vols commerciaux décollant des 3 pays touchés en Afrique de l'Ouest, la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone.

Les paramètres devant être entrés dans l'équation sont multiples (fréquence des cas dans la population des 3 pays de départ, durée de l'incubation de la maladie, taux de reproduction sériel de la maladie R0 [correspondant au nombre moyen de cas secondaires lorsqu'un patient index est introduit dans une population non infectée], nombre de passagers embarquant chaque mois à partir des aéroports internationaux des 3 pays concernés...). Il faut savoir qu'aucun de ces paramètres n'est fixe et n'est connu avec précision : l'incidence de la maladie est probablement sous estimée et en augmentation constante dans les 3 pays avec un temps de doublement des cas évalué entre 15 à 30 jours selon les pays en septembre dernier, le taux de reproduction sériel varie avec le temps et l'efficacité des mesures de lutte contre la maladie, le nombre de passagers partant ou arrivant dans les 3 pays est lui en forte baisse du fait même de l'épidémie (avec par exemple une diminution de 66 % prévue pour la Guinée au 3ème quadrimestre de 2014).

En dépit de ces incertitudes, Bogoch et coll. ont fait tourner leurs ordinateurs et ont "calculé" qu'avec les nombres de cas estimés et de passagers embarquant des 3 pays (41 750 par mois avant l'épidémie) et si l'on considère, pour les besoins de la démonstration, que les voyageurs aériens sont représentatifs de la population de ces pays (ce qui est probablement inexact) on peut calculer que 7,17 personnes infectées quitteront en moyenne l'un de ces 3 pays chaque mois (plus précisément 0,37 pour la Guinée, 1,72 pour la Sierra Leone et 5,08 pour le Liberia).

Moins d'un cas importé involontairement de Guinée en France en 8 mois 

Ces passagers infectés s'envoleront essentiellement vers des pays d'Afrique ayant souvent des structures sanitaires limitées ou fragiles (Ghana, Sénégal, Gambie, Maroc), la Grande Bretagne et la France venant derrière avec 11 000 passagers pour Londres et 8600 pour Paris. 

On le voit, si l'on se fie à ces chiffres, le risque d'importer en France un cas d'Ebola de Guinée est faible puisque avec la diminution actuelle de la circulation aérienne à partir de ce pays un seul cas devrait être exporté en 8 mois avec comme destination plutôt un pays d'Afrique que la France. Cependant, rappelons que ces calculs sont basés sur une épidémie n'évoluant pas (ce qui est tout sauf probable) et sur l'hypothèse (non vérifiée) que les passagers aériens sont représentatifs de la population (ce qui ne tient pas compte notamment des "humanitaires" à haut risque retournant en Europe). 

Mieux vaudrait contrôler au départ en théorie, mais mieux  vaut contrôler à l'arrivée en pratique ! 

Pour finir les auteurs comparent (sur le papier) deux méthodes de contrôles médicaux des passagers, au départ d'Afrique ou à l'arrivée. En théorie le contrôle au départ serait la mesure la plus pertinente (puisqu'elle éviterait le voyage de sujets malades et qu'elle résoudrait la question des vols avec escale) et un second contrôle à l'arrivée amènerait peu de sécurité supplémentaire compte tenu de la courte durée du vol par rapport à la période d'incubation. Cependant, dans les faits, le contrôle au départ semble ne pas pouvoir, sans aide internationale, être assuré de façon fiable ce qui rend le contrôle à l'arrivée souhaitable. C'est d'ailleurs la décision prise la semaine dernière par plusieurs pays occidentaux dont la France après quelques semaines d'hésitation.

Reste à savoir si, l'aggravation prévisible de l'épidémie en Afrique de l'Ouest, de nouveaux cas d'Ebola importés dans les pays occidentaux et/ou le refus des équipages de servir sur ces lignes ne conduiront pas rapidement à interrompre le trafic aérien commercial à partir de ces pays.

Dr Anastasia Roublev

Référence
Bogoch I et coll.: Assessment of the potential for international dissemination of Ebola virus via commercial air travel during the 2014 west African outbreak. Lancet 2014; publication avancée en ligne le 21 octobre 2014 (doi:10.1016/S0140-6736(14)61828-6).

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