SEP et vaccins : au delà du phantasme *

Depuis plus d'une décennie, en France tout particulièrement, des observations de scléroses en plaques (SEP) ou d'autres affections démyelinisantes (ADM) survenues après une vaccination contre l'hépatite B (HB), ont fait suspecter une relation causale entre l'administration de ce  vaccin et l'apparition de maladies démyélinisantes. Cette possibilité s'appuyait sur une hypothèse physiopathologique : la parenté antigénique entre certains constituants du vaccin et la myéline.

Pour confirmer ou infirmer cet effet secondaire, plusieurs études épidémiologiques ont été diligentées dans le monde.  La plupart d'entre elles ont conclu à une coïncidence temporelle et non à un lien de causalité tandis que deux études retrouvaient une discrète augmentation du risque. D'autres vaccins, en particulier les plus récents ont également été soupçonnés d'augmenter le risque d'ADM. Il en est ainsi d'un vaccin contre certains papillomavirus humains (HPV) pour le quel des observations isolées d'ADM à début brutal ont été rapportées deux à 4 semaines après l'injection.

Une étude cas-témoins sur un cinquième de la population de Californie du Sud

Annette Langer-Gould et coll. ont remis l'ouvrage sur le métier en s'appuyant sur les bases de données du système d'assurance santé Kaiser Permanente qui couvre environ 20 % de la population de Californie du Sud. Pour cette étude cas témoins, 780 cas d'ADM ont été rassemblés (dont 427 SEP et d'autres pathologies auto-immunes neurologiques comme des encéphalomyelites aiguës disséminées, des myélites transverses idiopathiques, des névrites optiques ou des syndromes cliniques isolés). Ces "cas" ont été comparés à 3 885 contrôles appariés par l'âge, le sexe, l'origine ethnique et le code postal (marqueur du niveau socio-économique). Pour tous ces sujets, les antécédents (datés) de vaccination dans les 3 ans étaient connus et ce pour tous les vaccins sans que l'on puisse toutefois distinguer primo-vaccination et rappel. 

RAS pour le vaccin hépatite B

Pour le vaccin contre l'HB aucune association significative n'a été trouvée entre cette vaccination et l'apparition d'une ADM dans les 3 ans (que l'on utilise un modèle ajusté ou non ajusté). Ces résultats confirment donc ceux de la majorité des études épidémiologiques conduites sur le sujet depuis 15 ans. Il faut cependant peut-être souligner que le pourcentage de sujets vaccinés dans les 3 ans dans cette population était réduit (4 % pour les cas) ce qui a limité la puissance statistique de l'étude et qu'il y avait très peu de vaccinations chez des nourrissons.  

HPV : pas de conclusion

Pour le vaccin HPV seules les femmes de 9 à 26 ans ont été étudiées. Quatre- vingt-douze cas ont été identifiés. Une tendance à l'augmentation de fréquence de la SEP a été constatée dans les 3 mois qui suivaient la vaccination par le vaccin quadrivalent. Mais il faut noter, que le nombre de cas était très limité au 3ème mois (n = 6), que cette tendance n'atteignait pas le seuil de significativité statistique, qu'elle n'a pas été constatée au delà de 3 mois et ne concernait ni les syndromes cliniques isolés ni les encéphalomyelites aiguës disséminées généralement considérés comme des précurseurs de SEP. Tout ceci explique que les auteurs eux-mêmes estiment que cette partie de leur travail est "non conclusive".

Une tendance à l'augmentation du risque dans les 30 jours qui suivent toute vaccination

Le travail de l'équipe américaine a également été élargi au risque d'ADM après n'importe quelle vaccination. Il est apparu que dans les 3 ans qui suivent une vaccination, la fréquence des ADM n'est pas modifiée (Odds ratio [OR] : 1,03 avec un intervalle de confiance à 95 % [IC95] entre 0,86 et 1,22 ; NS). Cependant, quand on se limite aux sujets de moins de 50 ans et aux 30 jours qui suivent une vaccination quelle qu'elle soit, on constate une tendance à l'augmentation du risque d'ADM (OR : 1,57, IC95 entre 0,96 et 2,58). Mais il faut ajouter que cette tendance n'est plus constatée au delà de 30 jours après une vaccination et que parmi les 11 sujets ayant développé une SEP dans le mois suivant une vaccination on notait dans 3 cas l'existence d'un autre facteur de risque de SEP. Tous ces cas de SEP post vaccinale précoce ont régressé complètement après cette première poussée.

Des statistiques qui ne calmeront sans doute pas la polémique

Cette nouvelle étude donnera probablement lieu à des interprétations divergentes.  Si un lien causal entre vaccin HB et ADM est infirmé une fois de plus, certains verront aussi très probablement  dans ce travail une nouvelle raison de douter de l'innocuité à court terme des vaccins en général et de la vaccination contre l'HPV en particulier. Cependant pour les auteurs, la tendance constatée à une augmentation du risque d'ADM dans le mois qui suit une vaccination HPV ou dans les 3 mois qui suivent n'importe qu'elle vaccination doit être interprétée avec prudence. D'une part, car elle disparaît avec le temps, d'autre part, car elle ne concerne pas les syndromes généralement considérés comme des précurseurs de SEP, ce qui rend l'hypothèse d'une association fortuite plus vraisemblable, enfin parce que les effectifs pour ce qui concerne l'HPV sont très réduits. 

Pour Annette Langer-Gould et coll. cette tendance limitée dans le temps, si elle était confirmée par des études ayant une plus grande puissance statistique, serait à rapprocher de la majoration du risque de poussées de SEP constatée après des infections respiratoires hautes. Cette augmentation provisoire du risque pourrait répondre aux mêmes mécanismes immunologiques non spécifiques et être liée à un effet pro-inflammatoire transitoire des vaccins. 

Il n'est peut-être pas inutile de rappeler pour finir que depuis les premières vaccinations de Jenner au XVIIIe siècle, l'apparition de chaque nouveau vaccin suscite immanquablement la polémique sur ses effets secondaires. Et la contestation semble d'autant plus intense que le vaccin (sans être obligatoire) est recommandé à de larges pans de la population et que l'affection qu'il doit prévenir n'est susceptible de se manifester que dans de longues années.

Gageons que cet article entraînera lui aussi un grand nombre de réactions négatives sur JIM ou que seules les données chiffrées en faveur d'une facilitation transitoire possible de l'émergence clinique d'une SEP après vaccination seront mises en exergue par les ligues anti-vaccinales... 

 

*C'est délibérément que nous avons adopté l'orthographe phantasme et non fantasme. Phantasme (admis par le Robert) est plus proche de l’étymologie grecque, plus ancien... et rappelle le vocabulaire psychanalytique...

 

Dr Céline Dupin

Référence
Langer-Gould A et coll.: Vaccines and the risk of multiple sclerosis and other central nervous system demyelinating diseases. JAMA Neurol 2014; publication avancée en ligne le 20 octobre 2014 (doi.10.1001/jamaneurol.2014.2633).

Copyright © http://www.jim.fr

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Vos réactions (30)

  • Une etude de plus

    Le 27 octobre 2014

    Une étude de plus qui n'apporte pas beaucoup de réponses mais pose beaucoup de questions. La SEP reste une affection extrêmement difficile à traiter efficacement et est à l'origine de cas de handicap important faisant peser un lourd tribut aux patients et aux dépenses publiques, les derniers traitement en dates comme le natalizumab n'apporte pas une solution durable, sans compter les risques de LEMP souvent fatales. A ce titre je suis circonspect sur l’intérêt de certains vaccins pour certains pans de la population, l'HVB est une infection dont on connait bien les mécanismes de transmission et dont le pronostic dépend en l'absence de traitement véritablement efficace, essentiellement du passage a la chronicité et toutes les suites que cela comporte (cirrhose, cancer hépato-cellulaire). Néanmoins y a t-il lieu de vacciner des populations à faible risque ? Quand aux infections HPV, il a été supputé que la plupart des individus puissent se débarrasser sans problème du virus alors pourquoi vouloir imposer une couverture vaccinale maximale ? Etant donné la diversité des souches virales, l'efficacité hasardeuse du vaccin sur les différentes souches pourquoi ne pas promouvoir le dépistage par frottis régulier, qui reste simple et terriblement efficace pour dépister des dysplasies du col et réserver le vaccin aux immunodéprimé, séropositif VIH et autres sujets à risques ? Réponse : probablement parce que ce n'est pas un grand labo français qui y gagnerait. Que les vaccins soit directement ou indirectement impliqué dans le déclenchement de la SEP il n'y a probablement pas lieu de prendre le risque de déclencher un emballement immunitaire conduisant à la catastrophe alors qu'il existe des solutions alternatives qui mettent ici en lumière la faiblesse des actions de prévention alternative au vaccin en matière de santé publique en France.
    Un étudiant

  • Indemnisation !

    Le 27 octobre 2014

    Et dire que certains tribunaux ont "indemnisé" des "victimes" !

    Dr Patrick Cadot

  • Cours Forest, cours...

    Le 27 octobre 2014

    Il est permis de douter, mais croire n'est pas savoir ... ceux qui sont proches de 60 ans se souviennent des copains polios en cours de récré (environ 1%), que les plus jeunes n'ont jamais connus ...grace à la vaccination.
    Cours Forest, cours ... te faire vacciner?

    Hervé Chappelle

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