Ebola : une guérison en trompe l'œil

A droite : oeil gauche atteint d'uvéite

Rares sont les patients qui ont eu deux fois l'honneur d'être le sujet d'une publication scientifique internationale. C'est le cas de Ian Crozier, un médecin américain de 43 ans qui se serait pourtant vraisemblablement passé de cette notoriété.

Tout débute pour lui en septembre 2014, alors qu'il travaille au centre Kenema de prise en charge des patients atteints d'Ebola en Sierra Leone. Devant l'apparition de signes évocateurs de la maladie, le diagnostic d'Ebola est confirmé le 6 septembre et une évacuation aérienne vers les Etats-Unis est organisée dans des conditions de sécurité exceptionnelles. Le malade est alors admis à l'hôpital Emory d'Atlanta. Là, outre une réanimation non spécifique incluant une ventilation assistée durant 12 jours et 24 jours d'hémodialyse, le patient bénéficie d'un traitement expérimental par TKM-100802 (il s'agit d'un ARN interférent développé par une firme canadienne). Cet essai thérapeutique lui "vaudra" une première publication dans Clinical Infectious Diseases en avril 2015.

Sorti d'affaire ?

Grâce à ce séjour prolongé en réanimation (et peut-être à ce traitement expérimental), l'état clinique de Ian Crozier s'améliore progressivement, la recherche de virus se négative dans le sang et les urines et il peut regagner son domicile au 44ème jour de sa maladie. Il persiste cependant une fatigabilité extrême et sur le plan neurologique un manque du mot. Avant sa sortie la recherche du virus dans le sperme revient positive (celle-ci a été demandée car des contaminations prolongées du sperme ont été décrites lors d'une épidémie précédente en Afrique centrale). Il est demandé au patient de s'abstenir de relation sexuelle non protégée durant les 3 mois à venir.

Dix semaines après le début de la maladie, alors que la fatigue s'amende, apparaissent des lombalgies, une inflammation des tendons d'Achille, des paresthésies des membre inférieurs ainsi que des symptômes ophtalmologiques à type de sensation de corps étranger, de brûlure oculaire et de photophobie qui vont aller en s'aggravant.

L'œil n'était pas dans la tombe

Un premier examen ophtalmologique complet conduit à porter le diagnostic d'uvéite postérieure séquellaire. Cependant, à la quatorzième semaine la situation ophtalmologique s'aggrave encore avec un œil gauche rouge et douloureux, une hypertension oculaire gauche, un changement de couleur de l'iris qui de bleu vire au vert et une acuité visuelle initialement conservée (voir photo). Un diagnostic d'uvéite antérieure est posé.

Devant l'aggravation des signes malgré un traitement par collyres corticoïdes et agents hypotenseurs oculaires (per os et locaux), une ponction de la chambre antérieure de l'œil est décidée. Son examen microbiologique élimine une cause bactérienne tandis que la RT-PCR retrouve l'ARN du virus Ebola. Les cultures pratiquées au laboratoire du CDC tout proche  confirmeront la présence d'un virus vivant dans ce liquide biologique. Parallèlement, les RT-PCR faites sur le sang, les larmes et les prélèvements conjonctivaux se révéleront négatifs, ce qui semble éliminer tout risque de transmission.

Après une phase d'aggravation de l'uvéite antérieure malgré le traitement, celle-ci s'est progressivement améliorée tandis que des signes d'uvéite intermédiaire et postérieure dominaient le tableau clinique avec une baisse de l'acuité visuelle de l'œil gauche à 20/400. A l'heure où la publication était soumise au New England Journal of Medicine, l'atteinte du vitrée était en voie d'amélioration et l'acuité visuelle se normalisait.

Après négativation de la PCR sanguine, ce patient a donc été atteint d'une pan-uvéite qui semble directement liée à la réplication du virus Ebola dans l'œil bien que l'on ne puisse pas éliminer une participation immunologique dans ces manifestations ophtalmologiques. 

Quelles conséquences épidémiologiques ?

Cette observation privilégiée est à rapprocher d'une part de cas d'uvéites postérieures diagnostiquées lors d'une épidémie précédente en Afrique centrale plusieurs semaines après le début des symptômes et bien après la disparition du virus du sang et d'autre part d'une étude récente conduite en Sierra Leone auprès de 85 survivants de l'épidémie actuelle faisant état de symptômes ophtalmologiques séquellaires (sans autre précision).

Il semble donc qu'après négativation de la virémie et guérison apparente, le virus Ebola puisse survivre dans certains sites immunologiquement "privilégiés" comme les gonades, l'œil (et en tout état de cause sa chambre antérieure) et peut-être le cartilage articulaire et le liquide céphalo-rachidien.

Au delà des conséquences cliniques de cette observation qui invite à une surveillance ophtalmologique des patients ayant survécu à une infection à Ebola, il reste à évaluer les éventuelles conséquences épidémiologiques de cette persistance possible du virus dans l'œil (avec des risques de transmission limitées en première analyse) mais aussi dans le sperme ce qui est plus inquiétant.

Dr Anastasia Roublev

Référence
Varkey JB et coll. Persistence of Ebola virus in ocular fluid during convalescence. N Engl J Med 2015. Publication avancée en ligne le 7 mai 2015 (DOI: 10.1056/NEJMoa1500306)

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