
Paris le samedi 13 juin 2015 - Le 5 juin 2015, la Cour Européenne des Droits de l’Homme jugeait que la décision du Conseil d’Etat du 24 juin 2014, qui avait jugé fondée en droit la décision médicale d’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation artificielle de Vincent Lambert, était conforme à la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Pour en arriver à cette décision, le Conseil d’Etat avait étudié
méticuleusement le cas de Vincent Lambert, soumettant celui-ci à
une nouvelle expertise médicale dirigée par un collège de trois
médecins spécialistes en neurosciences et désignés sur proposition
des présidents de l’Académie nationale de médecine, du Comité
consultatif national d’éthique et du Conseil national de l’ordre
des médecins.
Après examens, les experts ont estimé que le patient était dans un
état pauci relationnel chronique, que celui-ci avait subi des
lésions graves et étendue dont la sévérité conduisait à estimer
qu’elles étaient irréversibles. C’est donc sur la base de cette
expertise, mais aussi de l’étude consciencieuse des témoignages de
l’épouse de Vincent Lambert et de ses frères, que le Conseil d’Etat
a validé la décision d’arrêt des soins.
Pourtant, le 10 juin 2015, alors que la Cour Européenne des Droits de L’Homme venait dire (avec toutefois l’avis divergeant de cinq des douze juges) que la décision du Conseil d’Etat ne portait pas atteinte au droit à la vie de l’article 2 de la Convention, une vidéo prise par un camarade de classe de Vincent Lambert venait semer le trouble dans l’opinion publique.
Cette vidéo nous montre un Vincent Lambert, dans son lit d'hôpital vêtu d'un tee-shirt noir et légèrement barbu, clignant des yeux à l’écoute d’un message vocal de sa mère. En voix off, son camarade de classe qui filme la scène condamne des décisions de justices prises par « des gens qui ne connaissent pas l’état » d’un Vincent Lambert « qui n’est pas en fin de vie » (ce qui, du reste, n’a jamais été réellement contesté).
Une vidéo a suffi à remettre en cause les décisions des
magistrats français et européens, mais aussi les diagnostics
des médecins successifs qui se sont penchés sur l’état de santé de
Vincent Lambert.
Dans leurs éditions matinales, les chaines d’informations n’ont pas
hésité à diffuser en boucle cette vidéo et l'accompagnant
d’interviews de personnalités, certains évoquant une tentative de «
manipulation », et d’autres « une vidéo
troublante ». Depuis, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel
(CSA) a annoncé l’ouverture d’une enquête à la suite de la
diffusion des images par les différentes chaines d’information en
continu.
En effet, au-delà du débat sur la question de la poursuite ou non des soins de Vincent Lambert, la question posée est de savoir si le droit à la dignité du patient Vincent Lambert n’a pas été bafoué par ceux qui ont pris et diffusé la vidéo.
Le droit à la vie privée du patient est protégé y compris à l’hôpital
Les termes de l’article 9 du Code civil laissent peu de place à l’ambiguïté : « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Pour la jurisprudence, le droit à la vie privée s’applique naturellement pour le patient au sein de l’hôpital.
Ainsi, dans un arrêt en date du 10 juin 1987, la Première chambre civile de la Cour de cassation a jugé que la photographie d’une personne, prise à son insu à l’hôpital et dans un fauteuil roulant, portait atteinte au droit à l’image et à la vie privée de la patiente. Pour la jurisprudence, la chambre d’hôpital constitue pour le patient « un domicile protégé en tant que tel par la loi ».
En tant que tel, le personnel de santé se doit également de respecter le droit à la vie privé des patients. Ainsi, l’article L.1110-4 du Code de la Santé Publique prévoit que « toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée ». Ainsi, c’est dans ce contexte qu’un médecin qui avait publié sur son site internet des photographies identifiables d’une patiente sans son consentement a pu être interdit d’exercice pendant trois ans (Décision du Conseil de l’ordre des médecins du 2 décembre 2008).
Il appartient au directeur de l’établissement de santé, dans le
cadre de ses pouvoirs de police, de veiller au respect du droit à
la vie privée du patient, ce dernier pouvant expulser ou interdire
de visite les personnes perturbant la tranquillité des malades (R.
1112-47 du Code de la Santé Publique).
En conséquence, il apparait que la captation et la diffusion de
l’image de Vincent Lambert (filmé dans sa chambre d’hôpital sans
qu’il ait pu manifester son consentement…) constitue une atteinte
majeure à son droit à la vie privée, atteinte qui peut être punie
d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende en vertu de
l’article L.226-1 du Code Pénal.
Une diffusion par les médias qui porterait atteinte à la dignité humaine
Qu’en est-il pour les médias qui ont fait le choix de diffuser
ces images de Vincent Lambert ?
En principe, le droit à l’information implique le libre choix par
les médias des images qui contribuent à un débat d’intérêt général.
Toutefois, pour la jurisprudence, le choix des images ne peut
porter atteinte au respect de la dignité de la personne
humaine.
Par un arrêt fondateur en date du 20 décembre 2000, la Cour de Cassation avait estimé concernant la diffusion de photos du Préfet Claude Erignac assassiné que « la photographie publiée représentant distinctement le corps et le visage du préfet assassiné (…) était attentatoire à la dignité de la personne humaine » et qu’en conséquence, « une telle publication était illicite ».
Le respect dû à la dignité de la personne humaine ne se limite pas au corps sans vie. Dans un arrêt du 1er juillet 2010, la Cour de cassation a indiqué que la diffusion de l’image d’Ilan Halimi prise par ses geôliers devait être jugée comme étant contraire à la dignité humaine dans une hypothèse où la publication était avant tout motivée par la « recherche du sensationnel » et non par les « nécessités de l’information ».
Dans notre affaire, la diffusion des images prises à l'insu de V Lambert et en violation de son droit à la vie privée, porte manifestement atteinte à la dignité de la personne humaine.
En effet, le simple récit et la description des souffrances
endurées, aussi bien par le patient que par ses proches, permettait
au public de prendre position sur le débat, sans pour autant rendre
nécessaire la publication de l’image d’un homme considérablement
diminué et qui n’est plus maître de son destin.
Sans doute que le CSA, qui s’est saisi de l’affaire, profitera de
l’occasion pour renforcer son contrôle concernant la diffusion des
images des patients en milieu hospitalier.
Mais qui peut défendre le droit à l'image de V Lambert ?
Reste la question de savoir qui a qualité pour défendre le droit à l’image et au respect de la vie privée d’un homme incapable et qui n’a fait l’objet d’aucune mesure de tutelle ou de curatelle. En théorie, l’article L.226-6 du Code Pénal permet aux ayants-droit de la victime d’exercer des poursuites en lieu et place du majeur incapable. Or, dans le cas de Vincent Lambert, ses ayant-droits, parents et épouse, sont précisément ceux qui se disputent sur son sort. Le conflit sur le destin de Vincent Lambert pourrait désormais se prolonger devant d'autres juridictions civiles et pénales.
NDLR: A réception de cet article nous avons décidé de retirer de notre texte "Vincent Lambert : une vidéo dérangeante" la captation d'écran tirée de la vidéo en cause qui l'illustrait. Même si la question de savoir qui protège les droits à l'image de ce malade n'était pas tranchée...La rédaction
Charles Haroche - Avocat à la Cour (Paris) – charlesharoche@gmail.com