
Paris, le samedi 3 octobre 2015 – A la faveur de révélations scandaleuses (évocation de la pratique du "point du mari", réalisation de touchers vaginaux sur des patientes endormies sans consentement de ces dernières), la question des "maltraitances gynécologiques" a fait l’objet de très nombreux témoignages sur les réseaux sociaux. Ces derniers ont notamment été recueillis à travers le hashtag #PayeTonUtérus et sur le trumblr Je n’ai pas consenti.
Les récits rapportés sont extrêmement divers, ainsi que la "gravité" des événements évoqués. Pèle mêle sont relayées des réflexions quelque peu réactionnaires sur la sexualité (jugements culpabilisateurs à la découverte d’un diagnostic de mycose ou autre IST), des anecdotes confirmant des réflexes sexistes (observation sur la taille des seins par exemple) ou encore des mentions d’une non reconnaissance de la douleur ou du traumatisme psychologique. Des prises en charge méconnaissant sans nul doute le respect de la patiente sont ainsi décrites. A ces évocations sont associés les récits de consultations ayant abouti par exemple au refus de la pose d’un stérilet (refus qui rappelons le peut être motivé par des considérations médicales et qui pouvait il y a peu encore s’appuyer sur des recommandations officielles). Il est certain que ces témoignages peuvent difficilement être tous appréhendés à travers le même filtre. Ils sont tous néanmoins considérés comme la mise en évidence d’une "maltraitance" (terme qui est préféré, peut-être pas de façon toujours pertinente, à "irrespect").
Des extraits bien choisis
Ce mardi 29 septembre, France Culture présentait dans son émission Sur les docks un florilège de ces témoignages recueillis sur le net, souvent glaçant et édifiant. Ces derniers étaient accompagnés des décryptages de plusieurs "spécialistes", dont le docteur Martin Winckler, la juriste Marie-Hélène Lahaye (auteur d’un blog remarqué Marie accouche là), la directrice d’hôpital Clara de Bort, le président du Syndicat national des gynécologues obstétriciens français (SYNGOF) Jean Marty et la gynécologue Elisabeth Paganelli. La prestation de ces derniers n’a semble-t-il pas été de nature à "sauver" la gynécologie, à amoindrir l’effet provoqué par l’énumération de ces messages dressant un portrait très peu engageant (pour ne pas dire pire) de cette spécialité et des praticiens qui l’exercent. Plusieurs blogs n’ont en effet pas tardé à épingler les réactions de ces praticiens, qui semblaient refuser de répondre aux "accusations" qui leur étaient présentées. La sage femme responsable du blog Dix lunes dénonce ainsi : « A tout seigneur tout honneur, commençons par le Dr Marty. Il débute brillamment : "La maltraitance vis-à-vis des femmes, pour moi c’est soit du domaine du fantasme soit effectivement des faits divers parce que y en a un ou deux qui ont violé mais ça ça existe dans tous les domaines". (…) Pourtant, à deux reprises, son inconscient le trahit. Evoquant le vécu des touchers vaginaux : "Ça dépend d’une appréciation individuelle de cet examen. La plupart des femmes ne posent pas de problèmes par rapport à ça". A propos des examens sur des patientes sous anesthésie : "Y avait aucune raison d’aller expliquer à une femme qui dormait qu’on allait en profiter pour apprendre aux étudiants à faire des examen" » cite la blogueuse qui poursuit : « Le Dr Paganelli brille, elle, par ses interventions… décalées. Elle ose un premier : "Les dames qui me disent je viens pour un examen gynéco et un frottis et elles ont leur règles et elles m’en mettent partout". (…) Elle caricature ensuite : "On leur donnera une fiche d’information par la secrétaire. Est-ce que vous acceptez que je fais (sic) le TV, est ce que vous acceptez que je prends (re-sic) la tension, est ce que vous acceptez que je vous pèse parce que moi moi j’ai des obèses elles veulent pas être pesées" » épingle cruellement Dix Lunes sans reconnaître que le jeu du montage a pu donner des gynécologues interviewés une image peut-être un peu déformée (et sans envisager que Jean Marty se référait à une acception très classique du terme "maltraitance").
Incapable de comprendre l’importance du dialogue
Marie-Hélène Lahaye, elle aussi n’est pas tendre avec les interventions des docteur Marty et Paganelli et extrait à son tour quelques moments embarrassants : « Quant aux touchers vaginaux sur patientes endormies, il (Marty, ndrl) en confirme bel et bien la pratique, expliquant qu’"il n’y avait aucune raison d’aller expliquer à une femme qui dormait qu’on en profitait pour apprendre aux étudiants à faire des examens alors que la personne dormait pour une pathologie. C’était l’occasion de montrer aux étudiants cette pathologie. Et c’était pour nous absolument naturel" ». Marie-Hélène Lahaye poursuit : « Les propos de la gynécologue Paganelli sont encore plus illustrateurs de la misogynie et du mépris pour ses patientes. Elle s’insurge tour à tour contre les femmes qui ont leurs règles sur le mode "entre les dames qui me disent ‘je viens pour un examen gynéco et un frottis’ et qui finalement sont le jour de leurs règles et qu'elles m'en mettent plein partout, alors moi j'ai envie de leur dire ‘Bah excusez moi mais vous pourriez quand même me dire qu'il y a les règles, parce que là, vous en mettez partout et la suivante, elle va...’ Enfin vous voyez, il y a du non respect dans les deux sens en fait" (…) ou encore contre les patientes en surpoids qui refusent de monter sur la balance. A l’instar de la plupart des gynécologues, elle se montre incapable d’appliquer la loi Kouchner sur le consentement libre et éclairé du patient, en expliquant qu’elle demandera à sa secrétaire de préparer un papier avec une liste d’examens à cocher pour se protéger en cas de procès, alors que Martin Winckler insiste sur l’importance du dialogue et de l’écoute entre le soignant et son patient » analyse Marie-Hélène Lahaye. Enfin, la blogueuse Ovidie, elle aussi, regrette après la diffusion de l’émission que Jean Marty nie « toute cette souffrance en bloc ».
Gynécologue bashing ?
Ainsi les deux praticiens ne trouvent nullement grâce aux yeux de ces blogueuses engagées et sont, rapidement, érigés comme le symbole d’une gynécologie maltraitante et paternaliste, sexiste et irrespectueuse… et qui plus est fière d’elle ! Si les propos rapportés par les trois blogueuses ont effectivement été tenus par les deux praticiens et s’ils reflètent assez bien la teneur générale de leurs déclarations (la tentative de démonstration de l’absence de respect des patientes par Elisabeth Paganelli est on ne peut plus maladroite), on ne peut s’empêcher d’apporter quelques nuances à cette vindicte. D’abord, dans une émission toute acquise à la cause des patientes "malmenées", Jean Marty et Elisabeth Paganelli n’avaient pas la tâche facile et tenaient forcément le mauvais rôle… mauvais rôle appuyé par un montage où se superposent sans véritable lien les témoignages les plus édifiants et leurs propos souvent décalés. L’injustice radiophonique ne fit qu’aggraver leur cas : à côté de la belle voix douce de Martin Winckler et de celle des différentes intervenantes, l’accent de Jean Marty et la gouaille d’Elisabeth Paganelli créaient un contraste saisissant. Surtout, on peut se demander pourquoi France Culture a choisi de ne s’en tenir qu’à ces deux seuls praticiens : il n’y a donc en France aucun gynécologue qui soit d’accord pour reconnaître qu’il existe une tendance regrettable au paternalisme, que certains actes doivent être prohibés et que la pédagogie doit remplacer l’infantilisation autoritaire ? Une sorte de "Martin Winckler" (l’irréprochable ) de la gynécologie ! Ou au moins un gynécologue capable d’expliquer la nécessité de certains actes, de tenter d’excuser certains propos maladroits (et pas seulement en soulignant que c’est ainsi que les gynécologues ont appris leur métier comme le répète toujours Martin Winckler)… sans tomber dans la caricature. Apparemment non. Le gynécologue bashing n’était pas loin (mouvement d’autant plus facile que comme Clara de Bort l’a bien souligné au cours de l’émission, la spécificité des organes concernés suppose des attentes, apparemment pas toujours satisfaites, et une sensibilité, pas toujours comprise, particulières).
Boulet rouge
La blogueuse Ovidie pourtant dans sa conclusion appelle à la nuance « Je sais que bon nombre de médecins/gynécologues/obstétriciens ne veulent pas entendre cette souffrance mêlée de colère. Je sais qu’à leurs yeux nous ne sommes pas légitimes pour remettre en cause leur pratique, qu’ils font un métier difficile, qu’ils ont fait 10 ans d’études, qu’ils ont de l’expérience, et qu’ils trouvent insupportable qu’on vienne les perturber dans leur pratique. Oui, ils nous soignent, ils sauvent des vies, tout cela on ne le remet pas en question. Et il y a des gynéco formidables, mentionnons-le au passage. Il ne s’agit pas de tirer à boulet rouge sur l’ensemble d’une profession si nécessaire » écrit-elle.
Pourtant, parfois ça y ressemble.
Pour découvrir les résumés de l’émission de France Culture sur
les blogs, vous pouvez vous rendre sur :
http://10lunes.com/2015/09/mal-traitant/
http://marieaccouchela.blog.lemonde.fr/2015/09/29/les-maltraitances-gynecologiques-denoncees-sur-france-culture/
et
http://www.metronews.fr/blog/ovidie/2015/09/29/pour-en-finir-avec-la-maltraitance-gynecologique/.
et pour écouter l’émission diffusée par France Culture :
http://www.franceculture.fr/emission-sur-les-docks-collection-temoignages-maltraitance-gynecologique-2015-09-28
Aurélie Haroche