Loi de santé au Sénat: la droite est-elle vraiment l’alliée des médecins libéraux ?

Paris, le mercredi 7 octobre 2015 – Le basculement à droite du Sénat il y a un an a conduit à quelques surprises parlementaires ces derniers mois. On se souvient par exemple comment après avoir âprement discuté et largement modifié la proposition de loi sur l’accompagnement de la fin de vie des députés Alain Claeys et Jean Leonetti, le Sénat l’a finalement rejetée. Il n’en fut pas de même pour le projet de loi de santé, que la Haute Assemblée a adopté hier par 185 voix contre 30. Il faut dire que, comme l’avaient annoncé plusieurs ténors appartenant au parti Les Républicains au Sénat, le texte a été profondément remanié au long des deux semaines de discussion, lui offrant un caractère mieux adapté aux préconisations de la droite. La généralisation du tiers payant, mesure phare du texte, a notamment été supprimée (provisoirement !), donnant aux médecins l’illusion d’être entendus pendant quelques semaines.

Drôles de débats à fronts renversés

Cependant, au-delà de cette amputation majeure, le Sénat a réservé quelques surprises. A plusieurs reprises, il n’a ainsi pas hésité à aller plus loin que le gouvernement lui-même, provoquant parfois l’embarras du ministre de la Santé, poussée dans ses retranchements et contrainte de développer des explications alambiquées pour écarter des mesures semblant pourtant dans la ligne de son action… et souhaitées largement par son camp. Ce fut par exemple le cas de l’encadrement des "happy hours", afin de restreindre les possibilités de vente à bas prix de boissons alcoolisées. De même, les élus du Palais du Luxembourg ont dépassé les souhaits initiaux du gouvernement en permettant que le « droit à l’oubli » pouvant être invoqué par les personnes souhaitant souscrire une assurance et ayant été atteinte d’un cancer puisse être activé 10 ans après la fin des traitements (et non au bout de 15 ans). Dans la même perspective, le Sénat a affiché une fermeté qu’a refusé de suivre le gouvernement en se prononçant pour l'interdiction des cabines à UV. On l’a de même vu poursuivre une logique orientée plus certainement à gauche (bien que portée par un élu de droite) sur les thèmes de la lutte contre les risques de conflits d’intérêt entre médecins et industriels.

IVG, salles de shoot : les sénateurs laissent faire le gouvernement

Non contents de se montrer à plusieurs reprises plus à "gauche" que le gouvernement, les sénateurs ont également provoqué la surprise en ne s’opposant pas à l’adoption de mesures emblématiques. Le ministre de la Santé se montrait pourtant sans illusion, ayant indiqué lors de l’ouverture des débats qu’elle présenterait des amendements destinés à réintroduire des mesures supprimées par la commission des affaires sociales du Sénat, mais reconnaissant cependant que « la probabilité que ces amendements soient adoptés est… relativement faible ». Ce ne fut pourtant pas le cas en ce qui concerne la suppression du délai de réflexion de sept jours pour les patientes souhaitant avorter : les Sénateurs n’ont finalement pas suivi la position de leur commission en la matière et accepté l’amendement du gouvernement. Même surprise concernant les salles de shoot, dont l’expérimentation a été confirmée par le vote des sénateurs.

Les Républicains inquiètent  certains médecins libéraux

L’adoption de ces différentes mesures a été permise par une alliance d' élus de droite et de gauche, et souvent également par une désertion des élus Les Républicains. Une désertion que les professionnels de santé très hostiles à la loi pourrait observer avec une pointe d’inquiétude, car elle trahit peut-être une certaine pusillanimité et un manque de volonté de défendre leur position. Cette tendance est d’autant plus préoccupante pour les praticiens libéraux, qui ont pu constater qu’à l’exception de leur opposition au tiers payant, les sénateurs étaient susceptibles de défendre des orientations qui suscitent généralement leur rejet. Ainsi, si une proposition de la commission sur l’aménagement des territoires, visant à imposer aux médecins un système de régulation des installations identique à celui qui prévaut pour les infirmières, a finalement été rejetée, le Sénat a bien fait adopter un amendement (porté par la droite et non soutenu par le gouvernement) qui renforce « l’obligation de négociation sur l’implantation des médecins dans les zones sous-denses et sur-denses ».

Un processus législatif encore long

Absents et permettant à la gauche de confirmer certaines de ses mesures, n’hésitant pas à faire adopter des amendements allant au-delà des ambitions du gouvernement (et susceptibles même de contrarier les médecins libéraux), les Sénateurs ont cependant également à plusieurs reprises adopté des textes marqués bien plus à droite et parfois avec le concours de la gauche. Ce fut notamment le cas de la suppression du paquet de cigarette neutre ou de l’assouplissement de la loi Evin. Désormais, le texte doit être présenté à une commission mixte paritaire, composée de huit sénateurs et députés de gauche et six sénateurs et députés de droite. En dépit de la prééminence de la gauche, il est peu probable que la commission parvienne à un accord, comme l’ont déjà suggéré plusieurs exemples ces dernières semaines. Il reviendra donc à l’Assemblée nationale d’avoir le dernier mot, Assemblée nationale devant laquelle le gouvernement devrait en profiter pour réintroduire l’ensemble des mesures retoquées par le Sénat, le tiers payant généralisé en tête, sans beaucoup de doute.

Aurélie Haroche

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions (2)

  • Médecine libérale : une fausse qualification, en France

    Le 07 octobre 2015

    RPR/UMP n'ont jamais, vraiment, envisagé une politique libérale, en matière de santé; et ceci depuis des dizaines d'années : il faut bien chasser les électeurs, quitte à détruire cette économie de la santé, quitte à alourdir l'endettement de la France pour financer la SS, quitte à rogner sur la qualité. D'un autre coté, après le conventionnement de 1974, peu de médecins (20%) choisirent en 1984, l'ouverture donnée par Mme Barzach, ministre de la santé, en adoptant une pratique en secteur à honoraires libres, ce qui montre que 80 % n'étaient pas des libéraux, dans l’âme. Pourquoi, dans ces conditions, la Droite aurait-elle choisi d'imposer une pratique médicale plus libérale quand 80 % réclamaient les chaînes?
    Actuellement, la seule question qui se profilera pour les nouveaux ou futurs acteurs de la santé, sera de rester conventionné sous la contrainte de la SS ou de devenir vraiment libéraux. N'oublions pas que ceci, existe déjà, en Angleterre, pour rester en Europe,et pas sur Mars...Cette option est totalement oubliée par les syndicats, ce qui montre que le fruit du changement n'est pas mûr, malgré les mouvements d'humeur, pour la forme, des syndicalistes.
    Le terme "médecins libéraux" ne convient plus à la description de la médecine française, et ceci est la marque de la volonté de tous, y compris du Sénat, de droite ou...de gauche.

    Dr Christian Trape

  • Voir loin devant nous

    Le 11 octobre 2015

    Complètement en accord avec ce qu'écrit le Dr Trape.
    Notre société française est fracturée absolument partout, il n'y a plus consensus nullepart, ce qui favorise la montée en puissance d'autorités politiques, bureaucratiques, tentées d'en abuser et en abusant.
    Hier, manif contre la pseudo-réforme de la ministre de l'éducation nationale, une mobilisation (environ à Paris 8 à 10 000 manifestants), bien modeste par rapport à de très graves enjeux. Tous les contre-pouvoirs deviennent mous et chez nous aussi dans le secteur de la santé.

    Ce qui laisse prévoir des situations explosives, mais sans perspectives constructives, des révoltes ici et là seulement.

    Pourtant, nous avons tous les mêmes intérêts sur le fonds, soigner, guérir, apprendre et vivre heureux de ce que nous faisons en regardant plus loin que l'immédiat, comme font nos dirigeants.

    MF Hugot

Réagir à cet article