
Paris, le samedi 28 novembre 2015 – C’est un homme qui n’hésite pas à plonger. D’ailleurs, il a à deux reprises réalisé le rêve que certains affirmaient nourrir de se jeter dans la Seine. Il ne s’agissait cependant pas d’évaluer la qualité de l’eau, mais de sauver à quarante ans d’écart deux infortunés, une femme et un policier. Il faut dire que le fleuve est une vieille connaissance du praticien, puisqu’il vit depuis de nombreuses années sur une péniche. Et le sens de l’urgence est chez lui quasiment inné.
L’adrénaline sous la blouse
Dans un monde où l’habit conserve une dimension importante,
Denis Safran ne se contente pas de porter un uniforme, mais trois :
son blouson de cuir pour ses pérégrinations dans la capitale, la
tenue des policiers des brigades de recherche et d’intervention
(BRI) identique à celle de ceux qu’il appelle « mes camarades
policiers » et la blouse blanche de chef du service de
réanimation de l’hôpital Européen Georges Pompidou (HEGP). Ces
dernières années, à ces costumes qu’il revêt avec passion, se sont
ajoutées quelques vestes distinguées de conseiller auprès du
ministère de la Défense. Mais dans ce cadre, c’est encore son amour
pour l’action qui domine, puisqu’il organise les formations des
hommes armés aux premiers secours, afin d’apprendre comment placer
un pansement de compression et limiter une hémorragie.
La blouse blanche s’est d’abord imposée, mais son rôle auprès des
BRI, qu’il assume depuis quatre ans, était déjà en germe dans le
choix de sa spécialité. « On n'est pas réanimateur par hasard.
L'adrénaline nous fait vivre » avait-il confié l’année
dernière aux journalistes de France Info. L’adrénaline, mais plus
encore, le sens de l’urgence et le désir de servir les autres dans
les situations les plus périlleuses ont guidé Denis Safran vers les
BRI.
Seul médecin à bord
Une semaine par mois, vingt-quatre sur vingt-quatre, Denis Safran, âgé aujourd’hui de 68 ans, fait corps avec les colonnes d’intervention, dont il suit exactement les mêmes entraînements : qu’il s’agisse de descendre d'un hélicoptère, de maintenir sa forme physique (à peine altérée par son amour pour le cigare) ou de se préparer aux scénarios les plus extrêmes. Suivant d’abord les hommes armés, dont il doit pouvoir assurer les soins immédiatement, Denis Safran prend également en charge, une fois la situation sous contrôle, les victimes et les auteurs des drames. Les médecins de police, tel Denis Safran, sont ainsi au moment des interventions du RAID et des brigades anti gang les seuls personnels de santé présents.
Déjà sur le front en janvier
Le 9 janvier dernier, Denis Safran accompagnait ainsi les hommes de la BRI lorsqu’ils sont intervenus dans l’Hyper Cacher du XIIème arrondissement. Il avait raconté cette intervention dans plusieurs reportages (dont certains eurent pour décor l’impressionnant bureau du professeur à l’HEGP sans doute plus proche de l’antre cinématographique d’un commissaire de police que de celui d’un praticien hospitalier) ainsi que dans un livre paru cet été, dont le titre Un toubib dans l’urgence résume bien les aspirations de Denis Safran.
Une scène de guerre
Vendredi 13 novembre au soir, Denis Safran était également au sein de la colonne de policiers entrée dans le Bataclan. Pour France Télévisions, il a décrit quelques jours après les faits tout à la fois l’horrible spectacle qui s’est offert à lui, mais a évoqué aussi les questions auxquelles il a dû faire face. Le professeur Safran était ainsi partagé entre son devoir de demeurer auprès des policiers, exposés à un risque de traumatisme très élevé et son désir impérieux de porter secours aux innombrables blessés qu’il découvrait agonisants et implorants. Il a finalement pu intervenir auprès de ces jeunes hommes et jeunes femmes. Ce soir-là comme il l’a raconté à France Télévisions, son principal instrument a été « ma paire de ciseaux spéciale » qui lui a permis de découper jean, tee-shirt et autres vêtements afin de pouvoir déterminer avec précision l’ampleur des blessures et des saignements et pouvoir procéder à un tri "militaire". « J’ai vu des milliers de blessures par balle dans ma vie, mais jamais aussi nombreuses » souligne-t-il. En quelques minutes, l’ensemble des compresses hémostatiques disponibles avaient été consommées, face à cet afflux de blessés comparable à celui d’un champ de bataille. « J’ai naïvement cru que je pourrais en soigner quelques-uns » a-t-il conté à France Télévisions, avant, face à l’épuisement si rapide de son matériel de se rendre compte que son rôle premier serait d’organiser l’évacuation, rendue difficile par le fait que les services de secours se tenaient à distance, dans une zone sécurisée. Cependant, quand on l’interroge sur l’émotion qui l’a étreint au moment de cette découverte macabre de cette scène d’exécution, il répond : « Si on a de l’émotion pendant, il faut y réfléchir et éventuellement changer d’activité ».
Pour le docteur Denis Safran, la question, sans aucun doute, ne se pose pas.
Aurélie Haroche