
Paris, le mercredi 9 décembre 2015 – Le sous titre du site internet de l’association Vin et Société se donne comme pour credo : « s’engager ». En entrant sur le portail, on découvre ce que cette volonté recouvre : « se mobiliser pour le vin, s’engager au sein de la société, éclairer l’opinion ». La conjugaison de ces mots d’ordre a donné lieu à une campagne de publicité présente depuis lundi dans une grande partie de la presse et sur internet qui se décline en quatre visuels et dont les vedettes sont des petits grains de raisin. S’affichant devant des verres à pied dont on devine qu’ils ne sont pas emplis d’eau ou de jus de fruit, les grains de raisin déclinent un slogan à double sens : « Aimer le vin, c’est aussi avoir un grain de raison ».
Œuvre de prévention pour palier les manques des pouvoirs publics
Evidemment, l’objectif déclaré des promoteurs de cette campagne n’est pas d’affirmer que ceux qui aiment le vin sont dans la raison, mais bien sûr qu’il faut garder raison quand on aime le vin. Les responsables de l’association Vin et Société font en effet valoir que les Français sont encore majoritairement ignorants quant aux recommandations concernant la consommation d’alcool, comme l’ont de fait mis en évidence de nombreuses études. Ils soulignent d’ailleurs que la prévention dans ce domaine fait figure de parent pauvre. Aussi, Vin et société, a choisi de palier cette lacune et de rappeler les « repères de consommation », soit deux verres quotidien « maximum » pour une femme, trois verres pour un homme, quatre verres au plus en une même occasion et au moins un jour par semaine sans alcool.
Copier, mais pas parfaitement coller
Ces différents « repères » sont ceux que l’on retrouve sur la première page du site officiel Alcool Info service.fr. Cependant, en préambule de ces « recommandations », sur Alcool Info service.fr, il est souligné : « Il n’est pas possible d’établir une frontière nette entre, d’un côté, une consommation d’alcool qui serait sans risque pour la santé et de l’autre, une consommation dangereuse ou excessive ». Cette mise en garde bien sûr ne figure nullement sur les affiches de Vin et Société, dont la présentation pourrait laisser croire qu’en deçà de ces seuils, le danger est inexistant, et qu’il n’y aurait aucune « raison » de ne pas se laisser aller à son amour pour le vin.
Pas besoin d’attendre l’assouplissement de la loi Evin
Deux jours après son lancement, la campagne a provoqué chez les spécialistes d’addictologie et au sein des autorités sanitaires un véritable tollé. La Haute autorité de santé (HAS) s’est ainsi indignée contre une présentation qui tend à transformer comme « acceptable », une consommation qui présente des risques ; les seuils n’étant donnés que pour déterminer les niveaux au-delà duquel le danger est certain. Le président du Programme national nutrition santé (PNNS), le professeur Serge Hercberg indique que les repères cités par la campagne sont « obsolètes » (bien qu’on les trouve, nous l’avons dit, signalé sur la première page du site Alcool info service). Il fait référence, ainsi que l’Institut national du cancer (INCA), aux rapports publiés ces dernières années par ce dernier et notamment celui de 2007 qui affirmait clairement : « La littérature scientifique montre que le risque de cancers augmente avec la dose d’éthanol apportée par les boissons alcoolisées, sans effet de seuil. Autrement dit, même une consommation dite modérée (inférieure à 3 verres/jour chez l’homme et à 2 verres/jour chez la femme) augmente le risque ».
Chez les addictologues, l’indignation est également partagée. Elle l’est d’autant plus que beaucoup redoutent que l’assouplissement de la loi Evin, qui semble se profiler à l’horizon par le biais d’un amendement au projet de loi de santé soutenu par des élus tant de gauche et de droite et contre lequel le gouvernement paraît bien impuissant, ne facilite ce type de communication où la frontière entre promotion et « information » est habilement brouillée.
Déboires en vue.
Aurélie Haroche