Concours : un mal français

Paris, le samedi 12 décembre 2015 – Sur les réseaux sociaux, la plaisanterie était récurrente. Et si le fiasco du test des examens classant nationaux informatisés (ECNi) cette semaine était une façon déguisée de supprimer le vieux concours de l’internat. Au-delà de la blague de carabin, tentant de masquer sa colère et son dépit derrière un brin d’humour, une réflexion plus sérieuse pourrait s’engager sur le bien fondé de ce concours. Docteur en immunologie et étudiant en médecine, Raphaël Bernard Valnet propose de s’intéresser à cette question, en revenant sur les exemples étrangers, en mettant en évidence les effets pervers d’une culture du concours et en évoquant les bénéfices d’une sélection sur dossier.

Eclairante, cette réflexion ne revient cependant pas sur ce qui fonde cette prédilection française pour le concours : le sentiment qu’il garantit une égalité de traitement qui serait plus difficile à assurer par d’autres voies, même si cette opinion n’est pas forcément parfaitement fondée.

Par  Raphaël Bernard-Valnet*

Cette semaine les tests à grande échelle de la nouvelle modalité de l’examen classant national (ECN, anciennement concours de l’internat), sur tablette, ont été un échec retentissant. Les 9000 étudiants en médecine convoqués ont vu plusieurs épreuves annulées pour des raisons techniques. Ce fiasco pousse à remettre en question l’existence d’un tel concours pour l’orientation des étudiants en médecine.
La France est le pays du concours par excellence. Ils sanctionnent l’entrée dans de nombreuses formations et professions : grandes écoles, médecine, magistrature, administration. Néanmoins, on peut se demander si ce mode de recrutement est toujours le meilleur.
En médecine, lorsqu’on parle de concours, le grand public pense à la sélection drastique permettant d’accéder aux études médicales après une première année d’étude en santé. Ce concours initial est aujourd’hui décrié et des expériences menées dans différentes universités visent à trouver des alternatives à ce mode de recrutement. Cependant, ceux qui ont passé cet écueil savent qu’un autre couperet les attend : l’ECN.

Un examen ou un concours ?

Le premier choc quand on évoque l’ECN est tout d’abord sémantique. Comment un examen peut il être classant ? En effet, par définition un examen vise uniquement à vérifier l’acquisition de connaissances. Le concours vise quant à lui à départager des candidats. C’est dans cette ambiguïté que repose la première faiblesse de l’ECN. On parle ici bien d’un examen et il ne parvient pas discriminer les candidats. Ainsi dans le "ventre mou" du classement, plus de 80 candidats ont parfois la même note avec les conséquences que l’on peut imaginer sur la procédure de choix. La récente réforme de cet examen a été ambitieuse, avec notamment le passage complet à un support numérique. Néanmoins, le changement était certainement trop grand et en définitive son impact semble limité. Les objectifs pédagogiques initialement annoncés ont été progressivement abandonnés. Là où on sélectionnait hier des étudiants sur des mots-clés, on les sélectionnera demain uniquement sur des QCM.

Bachotage et sacrifices

L’ECN est devenu une épreuve testant majoritairement la capacité des étudiants à l’apprentissage. Néanmoins les trois ans de travail acharné qu’il requiert ont aujourd’hui un impact direct sur la vie de nos facultés et parfois sur l’assiduité des étudiants en stages. Il est ainsi contre-intuitif de penser qu’en médecine, discipline basée sur le compagnonnage, de nombreux étudiants préfèrent rester chez eux à travailler dans leurs livres que d’aller apprendre leur pratique future à l’hôpital. Vous vous dites certainement que ce sont quelques exceptions : n’en soyez pas si sûr ! Dans la même veine, la vie de nos facultés est partiellement sclérosée avec une majorité d’externes ne prenant plus part aux initiatives étudiantes pour se concentrer sur ce concours.

Vers une remise en question ?

Aujourd’hui une remise en question de l’ECN n’est pas à l’ordre du jour. On estime toujours que ce concours permet la plus grande équité malgré l’écart flagrant entre les différentes facultés. Les médecins, surtout une fois qu’ils l’ont passé, voient cet examen comme le moyen le moins imparfait de sélectionner les candidats à l’internat.

On peut néanmoins regarder ce qui se fait ailleurs. Les Etats-Unis et la Suisse ont choisi une sélection sur dossier. Ce mode de recrutement permet de prendre en compte les compétences académiques d’un candidat mais également ses compétences cliniques et sa capacité à s’impliquer dans différents projets (humanitaire, recherche, vie associative, …). 

Changement de paradigme

L’ECN, tel qu’il est, a vécu. Il est nécessaire que la communauté médicale en prenne conscience et qu’un débat en réunisse tous les acteurs : hospitalo-universitaires, internes et étudiants. Nous nous devons de réfléchir à des modes de sélection bannissant le bachotage et redonnant à l’apprentissage de la médecine ses lettres de noblesse. La disparition du concours ne creusera pas les inégalités, cela a été démontré à maintes reprises. Il pourra néanmoins ouvrir de nombreuses perspectives pour améliorer l’apprentissage, par ailleurs excellent, de la médecine en France.

*Docteur en immunologie, Etudiant à la Faculté de médecine de Toulouse Purpan

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Vos réactions (4)

  • Un aperçu de ce que ça donne...

    Le 12 décembre 2015

    J'ai fait rire mon interne en MG en stage prat lundi avec le cas clinique d'ECN suivant :

    " - Vous êtes interne de garde en soins intensifs neuro-vasculaires et êtes appelé (à 16H) pour une douleur inguinale de survenue brutale chez une patiente -ma belle-mère- alitée et anticoagulée, dans les suites d'une dissection aortique ayant bénéficié d'une intervention de Bentall - à J9 ! Et après redressement du diagnostic par la famille regorgeant, certes, de médecins - ; faux-chenal sur l'aorte abdominale non (encore) opéré ; découverte secondaire d'une dissection carotidienne et vertébrale devant un syndrome de Claude-Bernard Horner constaté par sa fille, MG, motivant le transfert dans votre service et l'héparinothérapie.
    Quelles sont vos hypothèses ?

    - "Ben, arthrose de hanche"

    ... m'a répondu l'interne en question (à 0H30) dans la vraie vie. Il a ensuite fallu rappeler 3 fois avant d'obtenir un avis chir vasculaire, l'interne se satisfaisant d'une absence de déglobulisation pour réfuter l'indication d'une imagerie en urgence. Après TDM (à 5H), hématome du psoas confirmé et pas d'extension ilio-fémorale de la dissection, arrêt immédiat des anticoagulants...

    Mon interne a ri puis a conclu "s'il a fait neuro c'est qu'il a dû finir bien classé à l'ECN !"

    J'espère qu'il ne s'agit que de l'exception qui confirme la règle !

    Dr Florent Mailloux

  • ECN... DES... internat

    Le 13 décembre 2015

    J'ai passé le concours (DES, pas le vrai internat) comme disait les anciens (vrais?) internes à l'époque en 1988 et je suis maintenant professeur à la faculté de médecine de Montréal (CAN), ce qui me permet (un peu) de comparer les systèmes français, canadiens et US.
    Le pour du concours français est que tout le monde est logé à la même enseigne et que l'égalité semble parfaite.

    L'envers de la médaille du bachotage est qu'on n'est plus en contact avec la vraie vie médicale (moi aussi j'essayais de partir le plus tôt possible de mes stages d'externe, estimant que ça ne m'apprenait rien), et aussi qu'on peut y perdre son "bon sens" à ne voir que le côté théorique des choses: dans les livres tout est blanc ou noir, dans la vie médicale tout est gris.
    Ce que nous reprochent aussi beaucoup les Nord Américains, est qu'il n'y a aucun vrai contrôle des connaissances à la fin de la résidence en France (Principe: si tu réussis ton concours tu vas réussir ta résidence) alors qu'il y a ici un examen national à la fin de la résidence, pratique et théorique assez sophistiqué, avec 10-15% d'échecs par an, ce qui pousse les résidents (internes) à travailler (très) fort leur dernière année de résidence, et finir avec un excellent niveau global.
    Pour l'entrée en résidence au Canada (j'ai fait parti du comité d'admission ici pendant plusieurs années), chaque faculté décide de la forme, et souvent il s'agit d'un mixte des notes des examens pendant les études médicales, des notes de stages d'externes, et d'une entrevue (avec parfois lettre de motivation, voire lettres de recommandations).
    Le contre de ce système est qu'il peut paraitre moins égalitaire (fils de patrons reconnaissables, etc).
    Le pour est qu'il n'évalue pas le candidat uniquement sur les notes théoriques et la capacité d'apprentissage mais aussi sur l'attitude, la motivation, le bon sens: le médecin est un être social, qui doit pouvoir interagir correctement avec le patient, la famille et ses confrères. Je pense qu'un médecin est plus qu'une machine à cracher des connaissances théoriques (Google ou Uptodate peuvent le faire).
    Il n'y a pas de système parfait de sélection mais il doit être constamment évalué, et pas uniquement par ceux d'en haut: j'ai repassé le Canadian Board il y a quelques années (en compagnie des résidents que j'entrainais...) et j'ai été très surpris qu'on me demande à la fin de l'examen de deux jours de remplir un questionnaire de trois pages me demandant mon avis sur... cet examen et s'il correspondait à ce que j'avais appris (une façon aussi de contrôler ce qui est enseigné dans le programme de résidence d'où tu viens).

    Dr JS Billiard

  • L'accès aux études supérieures moins bien assuré

    Le 19 décembre 2015

    Très intéressant et clair exposé sur ce sujet. Sans le concours de l'internat je n'aurais probablement pas pu faire médecine et chirurgie, étant sans ressources (années 60 et 70). Mais le concours est il vraiment la solution actuelle pour faire fonctionner l'ascenseur social, assurer l'égalité et l'anonymat, donner au pays les meilleurs médecins ? Je n'en suis plus très sûr en constatant que l'accès aux études supérieures est beaucoup moins bien assuré qu'il y a 30 ou 40 ans pour les classes inférieures (ou défavorisées pour parler politiquement bien).

    Dr J.F. Naël , a.i.h.p.

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