
Paris, le jeudi 31 décembre 2015 – Rarement autant qu’en 2015, les professionnels de santé ont, à l’instar de l’ensemble des citoyens, d’abord été plus marqués par les événements qui secouaient la France et le monde, que par les évolutions les concernant plus directement (bien qu’elles furent elles aussi importantes, nous l’évoquions hier).
L’année a été émaillée de traumatismes face auxquels médecins, infirmières et pharmaciens étaient en première ligne pour soigner mais aussi épauler une population inquiète et meurtrie. Dès les attentats contre Charlie Hebdo, en janvier, ils ont manifesté ce sens des responsabilités, à travers la prise en charge des blessés, mais également l’accompagnement des souffrances psychologiques. Et déjà en janvier, le corps médical était frappé en son cœur avec la mort dans la salle de rédaction de Charlie Hebdo de la psychiatre Elsa Cayat. Onze mois plus tard, c’est la généraliste Stella Verry qui tombait sous les balles des kamikazes à une terrasse de café.
Derrière une efficacité certaine, des points à améliorer
Tant en janvier qu’en novembre, l’efficacité des secours et des soins a été louée. En novembre notamment, face à un afflux de blessés par balles sans précédent dans la capitale depuis la seconde guerre mondiale, l’organisation des hôpitaux de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris est apparue sans faille. Cependant, derrière ce satisfecit global, quelques éléments à améliorer ont pu être pointés. Des interrogations ont notamment été soulevées concernant le déploiement des cellules d’urgence médico-psychologiques : en janvier, à l’Hôtel Dieu, les services installés ont été rapidement dépassés, tandis qu’en novembre, la multiplication des sites, au contraire, a contribué à rendre peu lisible l’offre de soins proposée. Quelques critiques ont également percé concernant les faibles moyens dont disposaient les camions de secours arrivés sur place le 13 novembre : le matériel s’est très rapidement révélé insuffisant pour répondre à la gravité et au nombre des blessures. Enfin, ces événements conduisent aujourd’hui à s’interroger sur la sécurité des centres hospitaliers alors que quelques jours après les attentats de novembre était révélé le vol de combinaisons de protection à l’hôpital Necker. En janvier, c’était le faible mais néanmoins non nul risque de "radicalisation" chez certains personnels qui était évoqué, avec notamment la révélation qu’un étudiant à l’Institut de formation en soins infirmier (IFSI) de la Pitié Salpêtrière avait été condamné (avant cette reconversion) à six ans de prison pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, dans une affaire où était également impliquée Chérif Kouachi.
Des migrants abandonnés à Calais
Les professionnels de santé ont également été sensibilisés à la cause des migrants, dont l’arrivée sur les plages européennes a été plus que jamais cette année à la une de l’actualité. Sans relâche, tout au long de l’année, avant même que la photographie d’un petit garçon mort échoué sur une plage de Turquie n’émeuve le monde entier, Médecins du Monde (MDM) a tenté de mobiliser l’état pour que soient améliorées les conditions de vie déplorables des migrants installés à Calais. Cet automne, les ministères de l’Intérieur et de la Santé ont fini par répondre à ses sollicitations et à mettre en place différentes mesures pour renforcer notamment la qualité de l’hygiène au sein de la jungle calaisienne.
Avant que la planète n’étouffe…
Sous l’impact du réchauffement climatique les migrants pourraient d'ailleurs être de plus en plus nombreux dans les années à venir. L’année 2015 a fait du changement climatique une préoccupation centrale marquée par l’organisation de la COP21. Avant cette réunion majeure, plusieurs institutions et notamment l’Organisation mondiale de la Santé ont tenté de sensibiliser les professionnels de santé à cette cause. Un appel a notamment été lancé en faveur d’une intervention d’urgence pour protéger la santé face aux modifications climatiques. Plus immédiatement la pollution industrielle et automobile a en elle-même un impact majeur sur la santé humaine et cette année, de nouveau, Pékin en a été un triste exemple, avec une multiplication des pics de pollution qui ont affecté des dizaines de millions de personnes dont certaines déjà atteintes de difficultés respiratoires.
… la France et l’Europe suffoquaient déjà
Etait-ce une manifestation du réchauffement climatique : la canicule a sévi de manière importante cet été sur la France et sur une grande partie de l’Europe, mobilisant là encore les professionnels de santé. Les dispositifs de surveillance mis en place il y a dix ans après la meurtrière vague de chaleur de 2003 et la décision prise par le gouvernement de suspendre les fermetures estivales habituelles de lits ont permis de limiter l’impact de la crise. Ainsi, 3 300 décès supplémentaires ont été déplorés, soit un excès de 6,5 % entre le 29 juin et le 9 août au cours desquels trois épisodes de canicule ont été observés, contre 15 000 décès du 4 au 18 août 2003, soit une hausse de 55 % par rapport à la moyenne.
Une grippe meurtrière
Si les conséquences de la canicule sur la mortalité ont donc pu être limitées, la France avait été déjà été confrontée quelques mois auparavant à une situation de surmortalité, liée notamment à une épidémie de grippe plus sévère qu’habituellement. Ainsi, « la mortalité hivernale, toutes causes confondues » a été supérieure de « 19 % à la mortalité hivernale attendue (…) soit un excès estimé à 10 200 décès » indiquait au printemps l’Institut national de veille sanitaire. Cette épidémie a été marquée par la prédominance des virus A/H3N2 contre lesquels la vaccination s’est cette année révélée peu efficace.
Vaccin : la grande confusion
Ce "défaut" du vaccin n’a pu que contribuer à renforcer les polémiques autour de la vaccination qui ont été plus vigoureuses cette année qu’à l’accoutumée. La pétition lancée par le professeur Henri Joyeux dénonçant l’impossibilité pour les parents de se cantonner aux vaccinations obligatoires contre le tétanos, la poliomyélite et la dipthérie en l’absence de vaccin trivalent disponible (et face à la pénurie des vaccins quadrivalents, voire pentavalents), mais qui en filigrane remettait en cause le principe même de la vaccination a mis en évidence la force des discours anti-vaccination. Si dans les faits, les Français et plus encore les médecins continuent très majoritairement à accorder leur confiance à la vaccination, certaines idées reçues et potentiellement délétères tendent en effet à prendre une place de plus en plus importante. Ainsi, une enquête publiée cet été a révélé que 53,1 % des médecins généralistes sont totalement d’accord avec l’idée que les nourrissons sont protégés contre un nombre trop important de maladies. Face à cette situation et alors que l’année 2015 a vu mourir en Espagne un enfant touché par la diphtérie tandis qu’en France un petit garçon passait deux mois à l’hôpital victime du tétanos, la réponse des autorités n’est peut-être pas parfaitement suffisante. En dépit de la réaffirmation par le Conseil constitutionnel ce printemps que le caractère obligatoire de certaines vaccinations n’est pas contraire à la Constitution et la sanction prononcée par l’Ordre contre un médecin soupçonné d’avoir produit un faux certificat de vaccination, le gouvernement a annoncé cet été le l'ouverture d’un grand débat.
Celui-ci cependant n’a pas encore été réellement lancé. L’année 2016 verra donc sans doute ce sujet de nouveau occuper une place médiatique importante, avec on l’espère une résonnance moins polémique et inquiétante qu’en 2015.
Aurélie Haroche