Coup de théâtre : le tiers payant perdant devant le Conseil constitutionnel

Paris, le vendredi 22 janvier 2016 – On ne l’attendait pas nécessairement sur ce terrain : le Conseil constitutionnel a en partie retoqué hier soir les dispositions mettant en place le tiers payant généralisé. On le sait, ce dernier, selon la loi devait être mis en place en deux temps. A partir du 1er juillet 2016, le tiers payant pourra être proposé aux patients bénéficiant d’une prise en charge à 100 % (femmes enceintes, patients en affection longue durée) ; possibilité qui se muera en droit à la fin 2016. Ce premier volet a été validé par le Conseil Constitutionnel. Cependant, à partir du 1er janvier 2017 le tiers payant devait pouvoir concerner tous les Français et être même érigé en droit à partir du 30 novembre 2017. Les complémentaires santé devaient donc dès lors être impliquées dans le système. Si la dispense d’avance de frais de la part prise en charge par la Sécurité sociale ne représente pas de difficulté constitutionnel pour lui, le Conseil a jugé contraires à la Constitution « les dispositions (…) qui rendent obligatoire, à compter du 1er janvier 2017, le dispositif du tiers payant pour les organismes d’assurance maladie complémentaires, au motif que le législateur n’a pas suffisamment encadré ce dispositif et a ainsi méconnue l’étendue de sa propre compétence ». Le Conseil Constitutionnel estime en effet que le texte du ministre de la Santé manque de précisions et n’offre pas de garanties suffisantes. Concernant la part remboursée par l’Assurance maladie, le texte de la loi est détaillé : délai, versement d’une pénalité en l’absence de respect de ce dernier et obligation de présenter un suivi du paiement sont prévus. A contrario, concernant les complémentaires, c’est le flou : la loi se borne à « édicter une obligation (…) de paiement (…) sans assortir cette obligation des garanties assurant la protection des droits et obligations respectifs du professionnel de santé et de l’organisation d’assurance maladie complémentaire ». Dès lors, tout en refusant de reprendre à son compte les autres arguments développés par les élus l’ayant saisi contre le tiers payant (concernant par exemple le risque qu’il représenterait pour le libre choix de son praticien par le patient), le Conseil constitutionnel a retoqué cette disposition.

Victoire pour les syndicats

Pour les syndicats, bien sûr, même partielle, cette censure est une victoire. « Cela nous avait inquiétés de voir que le gouvernement ne mettait pas dans la loi les mêmes contraintes aux régimes complémentaires qu’au régime obligatoire » relève Claude Leicher, président de MG France cité par le Monde, tandis que Jean-Paul Ortiz patron de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) se félicite : « C’est une victoire pour les médecins libéraux ». De fait, la place croissante prise par les mutuelles représente l’une des inquiétudes majeures des praticiens libéraux, qui redoutent que ces dernières n’imposent de plus en plus de conditions et restreignent peu à peu leur liberté. Par ailleurs, le système gagne en simplicité, notamment pour les médecins en secteur 2 : ils n’auront pas à multiplier les calculs pour déterminer le taux de remboursement dont bénéficient leurs patients.

Une nouvelle loi peu probable

Le ministre de la Santé n’a pas voulu voir dans cette censure un échec. Elle observe néanmoins que la décision du Conseil modifie en partie l’étape prévue le 30 novembre 2017. A cette date : « le tiers payant devient un droit pour tous les Français, pour la partie remboursée par la sécurité sociale. Les professionnels de santé pourront en plus proposer le tiers payant pour la partie remboursée par les complémentaires santé. Celles-ci auront l’obligation de le proposer aux assurés dans le cadre des contrats responsables (plus de 90% des contrats) », indique le ministère de la Santé. N’en faisant pas mention dans son communiqué publié hier, il est peu probable que le gouvernement décide de se lancer dans l’élaboration d’une nouvelle loi corrigeant les insuffisances du premier texte, d’autant plus que les difficultés techniques demeurent. Sauf à employer une procédure très accélérée, l’adoption du texte coïnciderait en effet avec le campagne pour l’élection présidentielle, soit une période où il sera sans doute opportun d’avoir scellé la réconciliation (également peu probable) avec les professionnels de santé.

Dernière heure

Après la décision du Conseil constitutionnel Marisol Touraine a annoncé il y a quelques minutes, comme nous le pressentions plus haut, qu'elle ne voyait pas la nécessité de légiférer à nouveau. Le tiers payant généralisé ne concernera donc pas la part de la consultation prise en charge par les mutuelles.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (13)

  • Le conseil constitutionnel à la botte des médecins...?

    Le 22 janvier 2016

    Oui, s'il faut en croire les assureurs privés

    http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2016/01/22/97002-20160122FILWWW00160-tiers-payant-les-mutuelles-taclent-les-medecins.php

    Dr YD

  • On s'éloigne du NHS

    Le 22 janvier 2016

    Je suis heureux de constater que toutes les structures françaises ne convergent pas vers le NHS à l'anglaise, visant à la destruction de la médecine spécialisée libérale de proximité.
    En effet, le dogmatisme rend aveugle à la performance et il est clair que (bien encadré et purgé) la spécialité libérale fait une ombre collectivement intolérable à la spécialité hospitalière, surtout (?) sur le rapport qualité/prix.

    Dr Bernard Maroy

  • Utopie

    Le 22 janvier 2016

    Vous auriez pu être plus complets en rajoutant que Mme Touraine avait dit qu'elle était certaine que même sans la loi les professionnels de santé proposeraient spontanément d'eux-mêmes la prise en charge mutuelle... inconscience ? naïveté ? déni de réalité ? humour caustique ? Allez savoir...

    olivier Godefroy

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