
Paris, le vendredi 4 mars 2016 – Il avait 27 ans. Il était brillant (classé parmi les trente premiers à l’issue du concours de PCEM1, et 104ème aux ECN). Interne en chirurgie, il venait de débuter parallèlement un master 2, comme cela est recommandé aux étudiants qui souhaitent mener une carrière hospitalo-universitaire. Il était sportif, il semblait très entouré. Pourtant, un jour de février, il s’est jeté du haut d’une falaise, dans les environs de Marseille où il vivait et travaillait.
Silence
L’information révélée par le Quotidien du médecin est entourée d’un certain mystère et suscite une importante vague d’émotions chez les étudiants en médecine, notamment à Marseille. Du côté, des responsables administratifs et syndicaux, on se contente de confirmer qu’une enquête interne a été ouverte au sein de l’hôpital de la Timone où il effectuait son stage, sans plus de commentaires. Même le Syndicat autonome des Internes des hôpitaux de Marseille (SAIHM) préfère se montrer discret.
La peur de perdre
Pas de dénonciation des conditions de travail infernales, donc, ou d'autres pressions. Cependant, dans une lettre qu’il souhaitait voir lue à ses externes à l’occasion de son absence pour assister à l’enterrement de son ami, un proche, également interne, dévoile quelques éléments sur les circonstances du décès du jeune homme. Dans cette missive, diffusée sur les réseaux sociaux, est évoqué le possible refus de reconnaître la difficulté d’assumer frontalement toutes ses activités, toutes ses responsabilités : l’internat en chirurgie, le master 2, l’ambition des supérieurs. Aussi, l’auteur de la lettre, demeuré anonyme exhorte les externes à ne pas avoir peur de tomber, de rater, de renoncer. « Alors apprenez à perdre : faites de la boxe et faites-vous tabasser, faites de l'escalade et tombez, passez les ECN et ratez-les. Et surtout n'ayez pas peur », écrit-il. Puis, tout soulignant le caractère passionnant et dévorant de la vocation d’interne, l’auteur invite les carabins à ne pas restreindre leur vie à cet unique horizon. « Ayez une vie en dehors de l'hôpital, mariez-vous, ayez des enfants, voyagez, arrêtez médecine et recommencez, devenez boulanger, jardinier, barman à partir du moment que ça vous rend heureux ».
Une prise de conscience timide du risque auquel sont exposés les internes
Dans cette lettre, en filigrane, est dessiné le piège qui happe certains internes : dans la course à l’excellence, ils refusent de reconnaître leur faiblesse, leur besoin de soutien. Ils minimisent les signaux qui devraient les alerter quand à leur souffrance psychique. Ce mécanisme qui se retrouve dans l’ensemble du corps médical, et qui a déjà été signalé dans le cadre de la prévention et de la lutte contre l’épuisement professionnel, débute probablement dès l’internat, voire l’externat. Peu, à peu, comme l’évoque dans les colonnes d’Egora Leslie Grichy, interne en psychiatrie et vice présidente du Syndicat des internes des hôpitaux de Paris (SIHP), des dispositifs sont mis en place pour offrir une écoute à ceux qui souhaiteraient évoquer leurs difficultés. Cette prise de conscience reste taboue, quand aux Etats-Unis, elle s’est imposée depuis plusieurs années. A l’image de ce qui s’observe en ce qui concerne l’appréhension de la souffrance psychique en général.
Aurélie Haroche