
Les enfants qui naissent à la limite de la viabilité posent un dilemme : faut-il les réanimer ou ne leur donner que des soins palliatifs ? Pour un centre périnatal comportant une unité de grossesses à haut risque et une unité de soins intensifs néonatals, il est important de faire de temps à autre un bilan de la prise en charge de ces enfants, et d’actualiser la conduite à tenir devant l’extrême prématurité. C’est à ce travail que s’est livré un centre périnatal de Portland [CPNP], aux USA (1).
Le déclencheur du travail a été la publication en 2014 d’une synthèse sur les naissances à la limite de la viabilité rédigée par un groupe d’experts pluridisciplinaire (2).
Le centre a ouvert en 1996. De 1996 à 2013, il y est né 606 nouveau-nés vivants et non malformés, de 22 à 26 sem. d’âge gestationnel. Pendant cette période, les directives obstétrico-pédiatriques récusaient la corticothérapie anténatale, la césarienne d’indication fœtale et la réanimation des nouveau-nés à 22 sem., et elles subordonnaient l’emploi de ces moyens à une demande explicite de soins intensifs néonatals par les parents à 23, 24 et 25 sem., tout en précisant que la majorité des médecins y étaient favorables à 25 sem.
Le « counseling » des parents par les médecins avait pour but d’arriver dans tous les cas à une décision partagée.
Une décision partagée avec les parents
Globalement, la plupart des femmes enceintes et des familles ont choisi les soins intensifs néonatals pour leurs extrêmes prématurés, mais une proportion non négligeable à opté pour les soins palliatifs à des âges gestationnels où d’autres centres n’hésitent pas à réanimer. Si le pourcentage d’enfants réanimés, c’est à dire ventilés au masque, mis en PPC nasale ou intubés en salle de naissance, était de 0 % à 22 sem. (0/54), il augmentait rapidement avec chaque semaine de plus, atteignant 37 % à 23 sem. (29/78), 73 % à 24 sem. (79/108), 96 % à 25 sem. (147/153), et 100 % à 26 sem. (203/203). De 22 à 24 sem., il était significativement inférieur au pourcentage correspondant des centres périnataux du Vermont Oxford Network, au cours de la période 2011-2013 (p < 0,001 pour les comparaisons à 22, 23 et 24 sem.). Pour les auteurs, le relatif excès de soins palliatifs à Portland est le produit d’une décision véritablement partagée avec les parents.
L’attitude des médecins vis-à-vis de l’extrême prématurité semble avoir été homogène et stable de 1996 à 2013. Le pourcentage d’enfants réanimés à un âge gestationnel donné n’a pas varié d’une année sur l’autre.
Les parents semblent avoir majoritairement apprécié le processus du conseil et leur participation à la décision. Trois décisions ont été contestées à posteriori et ont fait l’objet de plaintes.
Au CPNP, les directives obstétrico-pédiatriques et le counseling des parents sont inspirées par l’idée d’un pluralisme des valeurs à la limite de la viabilité. Les nouvelles directives, rédigées en 2015, décrivent mieux la flexibilité des soins de 23 à 25 sem. : sur le versant obstétrical, une option intermédiaire entre l’abstention et le traitement actif est introduite à 23 et 24 sem., et les taux de séquelles neuro-développementales sévères sont énoncés pour chaque terme. Le counseling est un dialogue d’égal à égal avec une famille informée, ayant pour but de déterminer sa préférence à ces termes.
Sans discuter le cadre éthique dans lequel s’inscrivent les auteurs, on peut considérer que leur démarche constitue un exemple à imiter.
Dr Jean-Marc Retbi