Euthanasie et suicide médicalement assisté, état des lieux

Euthanasie et suicide médicalement assisté (SMA) continuent de susciter bien des débats tant sur les plans éthique et moral que de la législation, les positions en ce qui concerne cette dernière variant selon les pays.  Dans un article récent du JAMA, E J Emanuel revient sur ces différents aspects après avoir consulté la littérature médicale parue à ce sujet entre 1947 et 2016 mais aussi examiné les résultats des enquêtes auprès du grand public et des praticiens.

La définition de l’euthanasie et du suicide médicalement assisté (SMA) diffère selon les pays et reste controversée. L’euthanasie active, ou simplement euthanasie, tend à entraîner activement et intentionnellement la fin de vie d’une personne par des moyens médicaux, le plus souvent l’injection d’un relaxant neuromusculaire. En Hollande et en Belgique, elle est limitée aux seuls volontaires, c’est à dire à des patients mentalement indemnes et ayant demandé explicitement leur fin de vie. Elle diffère de l’euthanasie non ou involontaire qui, dans la plupart des pays européens, n’est pas qualifiée d’euthanasie mais de fin de vie sans demande explicite du malade, en proscrivant le terme d’euthanasie passive. Aux USA et dans nombre d’autres pays, les traitements pouvant entraîner la fin de vie sont considérés comme éthiques et légaux quand ils sont pratiqués en accord avec le patient et son entourage.

De la Suisse aux USA

Dès 1942, la Suisse a été le premier pays à décriminaliser l’assistance au suicide dans la mesure où il n’y avait pas d’intérêts personnels en jeu tels que captation d’un héritage. En 1980, cette disposition s’est transformée en autorisation légale, y compris pour les non-résidents. Dès 1950, les Pays Bas ont toléré certaines pratiques, puis, en 2002, la Hollande et la Belgique, suivies en 2009 par le Luxembourg, ont autorisé l’euthanasie et le SMA. Aux USA, l’euthanasie reste, à ce jour, illégale mais, depuis 1997, 5 états US, l’Oregon, l’état de Washington, le Montana, le Vermont et la Californie ont légalisé le SMA. Au Canada,la légalisation de l’euthanasie a été effective en 2016, précédée par le Québec en 2014. A l’inverse, la situation reste confuse dans plusieurs pays, dont l’Allemagne où le code de bonne conduite de la principale association de médecins interdit explicitement la pratique de l’euthanasie et du SMA.

A partir de 18 ans dans la plupart des pays

Dans les contrées où ces pratiques sont autorisées, l’âge légal est variable, en règle de 18 ans au moins. Aux Pays Bas, il est possible toutefois d’envisager ces gestes dès l’âge de 12 ans et, depuis 2007, chez des nouveau-nés atteints de malformations sévères. En Belgique, il n’y a pas d’âge fixé dès l’instant que le malade a une capacité de discernement. De plus, aux USA, les candidats potentiels au SMA doivent avoirune espérance de vie égale au plus à 6 mois mais pas nécessairement présenter des douleurs insoutenables. Les procédures sont très différentes selon les pays. Aux USA, dans les 5 états, une période de 15 jours et 2 demandes orales du patient sont exigées, la dernière devant précéder le passage à l’acte d’au moins 48 heures. En Hollande et au Luxembourg il n’existe pas de période fixe intermédiaire. Aucune juridiction n’impose d’évaluation psychiatrique obligatoire.

Ce que pense le grand public…

L’attitude du grand public vis-à-vis de l’euthanasie et du SMA est très diverse. Aux USA, l’institut Gallup faisait état d’une acceptation en hausse, passant de 37 % d’avis favorables en 1947 à 53 % au début des années 70 pour atteindre près des 2/3 de la population US vers 1990. Ces pourcentages sont, toutefois, à prendre avec précaution, éminemment variables selon la formulation des questions posées lors des sondages. De plus, de nombreux aspects restent problématiques. Ainsi, aux USA, le grand public est plus favorable à l’euthanasie qu’au SMA et il existe des différences notables selon les types de population, les Blancs, les sujets jeunes et non religieux étant le plus favorables à ces pratiques. En Europe de l’Ouest, l’adhésion est croissante, contrairement à l’Europe de l’Est, généralement hostile pour des raisons religieuses.

…diffère de l’opinion des médecins

Les enquêtes concernant les praticiens sont aussi limitées. Une étude réalisée en 2014 auprès de 21 531 praticiens de 7 pays a révélé une acceptation maximale aux USA, avec 54 % d’opinions favorables vs 47 % en Allemagne et au Royaume Uni, 42 % en Italie, 36 % en Espagne et seulement 30 % en France en faveur de l’autorisation du SMA. Aux USA, contrairement à la population générale, les médecins sont plus favorables au SMA qu’à l’euthanasie. Il en va de même en Europe et en Australie. Au Royaume Uni, une enquête menée auprès de plus de 13 000 praticiens UK a révélé qu’une grande majorité était opposé à une législation sur l’euthanasie et le SMA. Par opposition, en Hollande et en Belgique, plus de 80 % pensent qu’il existe des circonstances où il paraît possible de recourir à ces pratiques.

En 1996, 18 % des médecins anglais avaient été sollicité pour une demande de SMA et 11 % pour une euthanasie, ce taux atteignant respectivement 56 % et 38 % quand il s’agissait d’oncologues. En 2010- 2011, une autre enquête ayant porté sur 1 456 médecins hollandais avait décelé que 77 % avaient été confrontés à une demande d’euthanasie ou de SMA.

Ce n’est pas toujours à cause d’une douleur intolérable

Soixante-quinze pour cent des patients ayant recours au SMA sont atteints de cancer ; une minorité, moins de 15 % étant porteurs d’une maladie neuro dégénérative, sclérose latérale amyotrophique essentiellement. Il s’agit en règle de malades âgés, blancs et d’un bon niveau éducationnel. Une douleur incontrôlablen’est pas toujours le motif de leur demande mais plus souvent une perte majeure d’autonomie et de dignité ainsi qu’une réduction drastique de pouvoir jouir des plaisirs de la vie. En Hollande et en Belgique, l’analyse des certificats de décès témoigne que, respectivement, 2,9 % et 4,6 % de l’ensemble des décès sont le fait d’euthanasie ou de SMA, dont 70 % pour cancer. Les données émanant d’autres pays restent très limitées. En Suisse, en 2013, 1,4 % des décès étaient liés à ces pratiques et, en France, moins de 0,8 % des médecins, en 2009, avaient déclaré avoir délibérément administré une drogue pour hâter une fin de vie.

Le taux de complications liées à l’euthanasie et au SMA (régurgitation des médicaments, crises, myoclonies, délai excessivement prolongé avant la mort…) est difficile à établir. Une étude ancienne, hollandaise, de 2000, rapportait plus de problèmes avec le SMA qu’avec l’euthanasie. Un autre aspect de la "routinisation" de ces pratiques réside dans la standardisation et la spécialisation de certains médecins et de cliniques afin de tenter de prévenir au mieux les complications potentielles.

Le terme de « pente glissante » est souvent employé pour désigner des fins de vie intentionnelles de patients qui n’en avaient pas faits expressément la demande. En Belgique, ce pourcentage a eu tendance à baisser, passant de 3,2 % avant la législation à 1,7 % en 2013. Toutefois, persistent des débats concernant l’euthanasie ou le SMA chez les déments, les malades mentaux chroniques graves, voire même chez les seuls patients « fatigués » de vivre ou très vulnérables.

En résumé, dans les pays développés, on note une tendance croissante à l’acceptation de l’euthanasie et du SMA dans le grand public ces 30 dernières années, acceptation plus limitée auprès du corps médical.

De nombreux pays ont légalisé ces pratiques, dont les Pays Bas, la Belgique, le Luxembourg, la Colombie et le Canada. Le SMA est autorisé dans 5 états US et en Suisse, la motivation essentielle en étant une perte d’autonomie et de dignité plus que des douleurs mal contrôlées. Il reste difficile d’établir le taux de complications de ces 2 pratiques, taux à priori plus élevé en cas de SMA. Enfin, leur usage ne semble pas excessif.

Dr Pierre Margent

Références
Emanuel E J. Attitudes and Practices of Euthanasia and Physician- Assisted Suicide in the USA, Canada and Europe. JAMA, 2016; 316: 79-90.

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Vos réactions (8)

  • Proscrire l'expression "euthanasie passive"?

    Le 02 septembre 2016

    Peut on proscrire l'usage d'un terme qui a une signification précise? Ce serait abracadabrantesque !
    L'arrêt de soins qui sont indispensables à la survie d'un patient est bien une euthanasie puisqu'on abrège sa vie, même si l'acte est douloureux pour le médecin. Je connais deux médecins dont l'un considère avec horreur l'administration d'un médicament entrainant la mort d'un patient en souffrance et biologiquement condamné à brève échéance comme un "assassinat", alors que l'autre la perçoit comme un geste de compassion et d'humanité. Tout n'est question que culture et éthique personnelles du praticien. Quand on sait, même sans l'avouer, même en refusant de se l'avouer, que l'arrêt des soins va raccourcir la vie du patient, l'expression "euthanasie passive" est bien utile pour la distinguer de l'euthanasie active par administration d'un médicament dont la dose administrée est mortelle.

    Philippe Bisson

  • Inhabituel

    Le 02 septembre 2016

    Merci pour cette recension inhabituellement rationnelle, dans un domaine où le galimatias verbal voisine en général la confusion mentale.
    Le distinguo entre euthanasie et suicide met sur la voie de la raison, et l'analyse des faits éloigne les passions.

    Juste une remarque en matière d'euthanasie : chez des agonisants n'ayant pas exprimé auparavant de demande explicite, n'y aurait-il donc pas une "pente glissante" de chaque côté ? Choisir d'écourter l'agonie pourrait certes aller à l'encontre du souhait du mourant, mais choisir de la prolonger le pourrait tout autant.

    Pierre Rimbaud

  • Confus ?

    Le 02 septembre 2016

    Vous écrivez que "la situation reste confuse dans plusieurs pays, dont l’Allemagne où le code de bonne conduite de la principale association de médecins interdit explicitement la pratique de l’euthanasie et du SMA."

    Il me semble au contraire que la situation n'est pas confuse en Allemagne, mais parfaitement claire et limpide, on comprend du reste pourquoi 70 ans après la fin du nazisme.

    C'est plutôt ailleurs que la situation est "confuse" et inquiétante... et même cela fait froid dans le dos !

    Dr Michel de Guibert

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