Souffrance des soignants : le tabou va-t-il enfin être levé ?

Paris, le jeudi 15 septembre 2016 – Les infirmières ont été nombreuses à se mobiliser pour répondre à l’appel de la Coordination nationale infirmière (CNI) qui à l’occasion d’une journée de grève souhaitait dénoncer la dégradation des conditions de travail dans les hôpitaux, dégradation qui fait le lit d’une souffrance professionnelle toujours accrue. Si elles étaient à leur poste, beaucoup arboraient un brassard noir et certaines ont participé à des opérations de "happening" tel le rassemblement silencieux programmé à Martigues. Si l’origine de ce mouvement on trouve le suicide cet été de cinq infirmières, dont plusieurs avaient dénoncé leurs conditions de travail avant de passer à l’acte, ce sont des pratiques managériales considérées comme "maltraitantes" qui étaient plus largement ciblées. Ces dernières semblent en effet faire totalement fi du bien être des salariés.

Une carte des établissements à risque

La lutte contre un management déshumanisé et au-delà contre le harcèlement dont sont victimes certains professionnels de santé est depuis plusieurs mois l’ambition de l’Association Jean-Louis Mégnien, qui s’est officiellement constituée au mois de juin. L’organisation a tenu le 10 septembre dernier (« qui coïncidait symboliquement avec la journée mondiale de prévention du suicide » notent ses représentants) sa première assemblée générale. Cette rencontre a notamment été l’occasion d’annoncer la prochaine diffusion d’une « carte des hôpitaux signalant des situations présumées de harcèlement ». Un tel document ne sera sans doute pas sans soulever des critiques, concernant son élaboration et l’objectivité parfaite de ses informations. Néanmoins, il devrait permettre d’offrir une vue d’ensemble sur la fréquence des situations à risque. « Nous ne sommes pas dans une logique de diffamation, nous voulons alerter le plus possible le public et les autorités » explique dans les colonnes du Quotidien du médecin, le professeur Philippe Halimi. L’établissement de cette cartographie s’appuiera entre autres sur les « signalements » reçus par l’établissement, dont la plupart émanent de praticiens hospitaliers mais également d’autres professionnels, dont des infirmières. Ces dossiers « témoignent de l’ampleur et de la gravité des phénomènes de maltraitance dont sont victimes les médecins hospitaliers et les autres personnels, alors même que leur valeur professionnelle n’est nullement en cause » relève l’Association dans un communiqué diffusé aujourd’hui. Dans ces histoires, toutes singulières, on retrouve cependant régulièrement les mêmes mécanismes : des « suspensions d’activité arbitraires, sans contrôle, ni limite de temps ; des rapports uniquement à charge (…), des "propositions" dégradantes et humiliantes pour le médecin mis en recherche d’affectation ; des procédures d’insuffisance professionnelle totalement injustifiées » et le non respect fréquent par les directions hospitalières des décisions de justice leur imposant la réintroduction du praticien.

Avancées timides

Cette nouvelle dénonciation permettra-t-elle de faire évoluer la situation ? Le ministre de la Santé, dont la discrétion sur ces sujets est largement regrettée (notamment à propos du suicide des infirmières) a cependant promis de dévoiler cet automne un nouveau plan concernant la prévention des risques psychosociaux dans les établissements de santé. Dans certains hôpitaux, une prise de conscience paraît également émerger. Le CHU de Rangueil est ainsi régulièrement critiqué pour son absence supposée de prise en considération de la souffrance des soignants. Alors que trois de ses professionnels de santé se sont suicidés (dont un au sein de l’établissement) cet été, Julien Terrié, manipulateur radio et secrétaire du CHSCT central des hôpitaux de Toulouse constate, cité par Libération : « Au CHU, il n’y a rien, on ne fait rien, le personnel n’a qu’à s’adapter, c’est le seul leitmotiv que l’on entend depuis des mois, voire des années (…). Il n’y a aucune politique de prévention » insiste-t-il. Pourtant, face à la succession des drames, la direction du CHU a annoncé la réalisation d’une expertise sur la prévention des risques. Des signes, timides, d’une prise de conscience des autorités qui font écho à une médiatisation soutenue tout au long de l’année, contribuant à lever un tabou prégnant sur les souffrances professionnelles, particulièrement pesantes chez les internes en médecine. Mais des avancées trop insuffisantes encore. C’est un véritable renversement des pouvoirs qui doit s’imposer pour beaucoup. Il faut que « la peur change de camp » avait ainsi lancé lors de la création de l’association Jean-Louis Megnien en juin dernier, le professeur Bernard Granger.

Aurélie Haroche

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