
Paris, le lundi 7 novembre 2016 – Pour la deuxième fois en moins de trois mois, les infirmières sont appelées à battre le pavé demain. Mais ce 8 novembre, la mobilisation doit être plus large, avec un appel repris par dix-huit organisations et syndicats infirmiers, soutenu par les praticiens hospitaliers par la voix d’Avenir hospitalier et auxquels se sont associées les quatre centrales générales, la CGT, SUD, FO et la CFTC. Le monde hospitalier comme le monde libéral sont concernés par cette grève et cette manifestation dont le premier objectif est de dénoncer la dégradation constante des conditions de travail, mais aussi un manque de reconnaissance et d'exprimer une sourde inquiétude pour l’avenir.
Des revalorisations en trompe l’œil
En dépit de cette large cohésion dans l’appel, les mots d’ordre sont dispersés. Du côté des infirmières, sous le slogan « Soigne et tais-toi », outre les difficiles conditions de travail liées aux pénuries d’effectif et à la polyvalence imposée, on s’insurge également contre l’absence de reconnaissance de la pénibilité du travail et le refus systématique de les inclure dans les concertations autour des sujets de santé publique.
Les infirmières s’élèvent également contre la transposition d’une directive européenne qui pourrait conduire à permettre à des professionnels dont les diplômes ne sont pas équivalents à celui qui prévaut en France à effectuer des missions qui relèvent dans notre pays de la compétence exclusive des infirmières. Dès lors, les revendications sont nombreuses et concernent tout autant la sécurité, les conditions d’exercice (avec des demandes qui concernent parfois spécifiquement chaque spécialité), l’amélioration de la formation et le rôle des infirmières libérales (dont le développement des missions est aujourd’hui freiné par la mainmise de l’Hospitalisation à domicile, HAD, bien que souvent plus coûteuse). La question de la rémunération est également mise en avant. L’augmentation de 280 euros brut/an présentée par Marisol Touraine comme une réponse au malaise des infirmières est considérée comme totalement insuffisante. « N’est-ce pas un mensonge par omission Madame Touraine ? Pourquoi n’avez-vous pas évoqué la conversion des primes en points d’indices expliquant cette pseudo revalorisation mais qui ne traduira pas de majoration de nos revenus mensuels ? » répond la Coordination nationale infirmière (CNI). De son côté, le Syndicat national des professionnels infirmiers estimait déjà en août que « le compte n’y est pas, au regard des pertes subies depuis 6 ans ! ». « Avec ce dégel du point d’indice, en juillet prochain, le salaire d’une infirmière en hôpital public augmentera de 9 € par mois en début de carrière, et de 15 € par mois en fin carrière » avait-il calculé.
Mots d’ordre politiques du côté des centrales syndicales
Du côté des grandes centrales syndicales, les revendications sont plus politiques. On exige par exemple du côté de la CGT la : « Suppression de la taxe sur les salaires (13,6 % du montant des salaires (…) ; les salaires représentent 66 % du budget des établissements publics de santé. Cela permettrait de créer 75 000 emplois dans les hôpitaux publics » écrit la CGT. Au-delà, la CGT, FO et Sud réclament à l’unisson l’abrogation de la loi Hôpital patient santé territoire (HPST) et de la loi de Santé, l’arrêt des fermetures de lit et des suppressions de postes ou encore la disparition des ordres professionnels. Rien de moins ! La CFTC, quant à elle, sans s’associer à de telles demandes, partage le même constat d’établissements de soins toujours plus en difficulté et dont les problèmes budgétaires rejaillissent sur la vie des salariés.
« L’hôpital ne protège plus »
Au-delà de l’ensemble de ces revendications techniques et politiques, le mouvement veut mettre à jour un malaise profond, qui frappe d’abord les infirmières, car les premières touchées par la polyvalence imposée mais aussi par l’insatisfaction et l’impatience des malades, mais qui concerne également aujourd’hui l’ensemble des professionnels de santé. « L’hôpital ne protège plus. Ses murs ne protègent plus des secousses de la vie du dehors. Je le sens, quand on discute avec des médecins, ce n’est pas tant sur leur vie professionnelle qu’ils manifestent de l’anxiété - et pour cause, ils sont fonctionnaires -, mais c’est sur leur vie de famille, sur les inquiétudes pour leurs enfants, C’est nouveau. Même eux, médecins hospitaliers avec un statut social fort, sont inquiets pour l’avenir. De près ou de loin, ce sont près d’un million de personnes qui travaillent dans la santé. Beaucoup aident leurs proches, qui ont des difficultés sociales. C’est nouveau, et cela fragilise » remarque ainsi un directeur de CHU de province dans les colonnes de Libération.
Des DRH débordées
Les chiffres dessinant cette lourde tendance commencent à affluer. Outre, le nombre de suicides, difficile à interpréter, le fort taux d’absentéisme, qui est de 10 % doit interroger. « Le turnover augmente aussi entre les services. Les gens sont cuits, donc ils vont voir ailleurs si l’herbe y est plus verte. Cela atteste d’une dégradation des conditions de travail. Il faut aussi regarder l’évolution de la productivité hospitalière, qui n’a fait que croître, alors que les effectifs ont souvent baissé. Là aussi, c’est une preuve de l’intensification de la charge de travail » observe le sociologue Frédéric Pierru également dans Libération. Accaparées par la gestion des masses salariales, les Directions des ressources humaines (DRH), même si elles commencent à faire remonter des informations sur la souffrance au travail, n’ont pas toujours les moyens nécessaires pour y faire face, comme l’admettait récemment elle-même la Fédération hospitalière de France (FHF).
Vite fait, mal fait
Face à ce marasme, quelques dizaines d’euros de plus par mois ne permettront pas d’éteindre le mouvement naissant. « Le malaise des hôpitaux n’est pas, à mon sens, lié à des problèmes de rémunération. Même en augmentant le salaire, on va garder une insatisfaction délétère si on ne s’attaque pas aux problèmes de fond. Quels sont-ils ? Ils sont liés à un rythme de travail croissant, avec une impression ressentie de course à l’échalote dans des conditions de plus en plus acrobatiques et au final le sentiment d’un travail imparfait. A nombre constant, on fait de plus en plus de choses » constate dans Libération, Anne Gervais, infectiologue à l’hôpital Bichat (AP-HP). L’ensemble des témoignages évoquent cette même perte de sens, la déception de ne plus pouvoir effectuer son travail que « vite fait mal fait », comme le constate également le sociologie Frédéric Pierru. « Alors que les rythmes de travail s’intensifient, il importe aussi de se préoccuper du bonheur au travail des soignants. Sinon, on perd le sens du travail, la motivation, les patients deviennent des choses. La performance n’est pas légitime si elle ne s’accompagne pas d’une action sur la qualité du travail. Evitons de soigner les indicateurs plutôt que les patients » poursuit Anne Gervais.
Les organisations d’infirmiers appelant à la grève sont
Les syndicats d’infirmiers salariés : CNI, SNICS, SNIES,
SNPI
Les syndicats de libéraux FNI, Convergence Infirmière, FNI, SNIIL
et SNIPUERLIB
Les organisations professionnelles IADE (ANEIA, CEEIADE, SNIA),
IBODE (AEEIBO, UNAIBODE) et Puéricultrice (ANPDE), l’association
UNIDEL et la FNESI pour les étudiant.e.s en soins
infirmiers.
AEEIBO : Association des Enseignants et des Ecoles d’infirmiers de
Bloc Opératoire
ANEIA : Association Nationale des Etudiants Infirmiers
Anesthésistes
ANPDE : Association Nationale des Puéricultrices (eurs) Diplômé(e)s
et Etudiants
CEEIADE : Comité d’Entente des Ecoles d’Infirmiers Anesthésistes
Diplômés d’Etat
CNI : Coordination Nationale Infirmière
Convergence Infirmière
FNESI : Fédération Nationale des Etudiants en Soins
Infirmiers
FNI : Fédération Nationale des Infirmiers
SNIA : Syndicat National des Infirmiers Anesthésistes
SNICS : Syndicat des Infirmier(e)s Conseiller(e)s de
Santé
SNIES : Syndicat National des infirmiers et infirmières éducateurs
de la santé
SNIIL : Syndicat National des Infirmières et Infirmiers
Libéraux
SNPI : Syndicat National des Professionnels Infirmiers
SNIPUERLIB : Syndicat National des Infirmières Puéricultrices
Libérales
UNAIBODE : Union Nationale des Associations d’Infirmiers de Bloc
Opératoire Diplômés d’Etat
UNIDEL : Union Nationale des Infirmiers Diplômés d’Etat
Libéraux.
Aurélie Haroche