
Paris, le jeudi 1er décembre 2016 – En janvier dernier, le ministre de la Santé annonçait le lancement d’une grande "concertation citoyenne" sur la vaccination. L’objectif était de répondre au climat de méfiance de plus en plus prégnant en France et de mener une réflexion sur la pertinence du maintien de vaccinations obligatoires, dont beaucoup recommandaient la levée pour mettre fin à une situation acrobatique entre obligation et recommandation faisant le lit des suspicions et des critiques. Considérée tant par les partisans de la vaccination que par ses opposants comme un exercice périlleux qui ne permettrait nullement d’aboutir à une synthèse difficile entre argumentations scientifiques et exigences démocratiques, la concertation a cependant eu lieu.
Deux jurys, l’un de citoyens, le second de professionnels de santé, ont été constitués parallèlement à un groupe d’experts qui a procédé à de multiples auditions. Des enquêtes d’opinion ont été par ailleurs conduites, tandis qu’un espace participatif a permis de recueillir 10 435 contributions. Hier, l’heure des bilans a sonné avec la remise du rapport du groupe présidé par le professeur Alain Fisher (immunologie, Collège de France), avec pour vice présidente Claude Rambaud co-présidente du Collectif interassociatif sur la santé (CISS). Philosophes, médecins, juristes, responsables institutionnels composaient par ailleurs ce collège.
La loi Kouchner citée parmi les causes du climat de défiance
Ce rapport fait tout d’abord un état des lieux des conséquences de la défiance de la vaccination en France en citant notamment l’insuffisance voire la baisse de certaines couvertures vaccinales, la résurgence de différentes pathologies et la diffusion active de messages inquiets (et inquiétants) sur les réseaux sociaux. Les auteurs passent également en revue les raisons de ce climat et évoquent notamment une défiance plus marquée à l’encontre des autorités de santé et de l’industrie du médicament que dans d’autres pays (telle par exemple la Grande-Bretagne). La juxtaposition de vaccinations obligatoires et recommandées constitue également une donnée française qui favoriserait les suspicions. Les experts notent encore que « la société a reconnu et sanctuarisé le droit des citoyens à prendre en charge eux-mêmes les décisions de nature médicale les concernant (loi du 4 mars 2002 (…). Cette loi a créé un contexte utilisé par certains pour appeler de leurs vœux "la fin de la dictature vaccinale"» écrivent-ils. De manière plus consensuelle (d’aucuns pourraient leur reprocher d’avoir l’air de vouloir revenir sur cette loi) ils citent la complexité du calendrier vaccinal, le manque de formation des professionnels de santé, les ruptures d’approvisionnement et l’impact de différentes crises sanitaires (réelles ou liées à une mauvaise gestion de la crise, comme dans le cas de la vaccination contre l’hépatite B).
La levée de l’obligation : irresponsable pour l’heure
Face à cette situation, les experts formulent plusieurs recommandations, dont la plus marquante concerne le caractère obligatoire ou non de la vaccination. Différents spécialistes ont pu par le passé plaider en faveur de la levée de l’obligation, qui de fait a été peu à peu abandonnée chez nos voisins européens. Ce scénario est d’ailleurs l’option privilégiée par le jury de professionnels de santé et séduisait la moitié des membres du jury citoyens. Néanmoins, il n’est pas recommandé par le rapport final de la concertation qui invite à tenir compte des différences culturelles entre les pays nordiques et anglo-saxons et la France. Les experts notent encore que « Dans le contexte actuel, il irait à l’encontre de la responsabilité de chacun envers la collectivité ». Ils soulignent en effet que les enquêtes d’opinion alertent bien sur le risque d’un abandon du réflexe vaccinal en cas d’absence d’obligation. « En outre la suspension de l’obligation pourrait être perçue comme un désengagement des autorités de santé à l’égard de la vaccination » écrivent-ils.
Solution à la confusion entre valences obligatoires et recommandées dans le même vaccin : tout rendre obligatoire !
Aussi, le comité d’experts préconise au contraire d’élargir l’obligation vaccinale tout en affirmant que l’objectif à terme est sa levée ! Seraient alors inclus dans la liste des vaccins obligatoires : les vaccins contenus dans la préparation hexavalente, le vaccin contre le pneumocoque, le méningocoque C et le ROR ainsi que les rappels. Evidemment, une telle mesure va de paire avec une prise en charge intégrale de l’achat des vaccins (pour un coût de 110 à 120 millions d’euros par an) et la mise en place d’un régime d’indemnisation des effets indésirables. Avec une telle recommandation, le comité d’experts met fin à la controverse qui dénonçait la quasi-totale absence de vaccin trivalent qui aurait permis de satisfaire l’obligation sans être "contraint" de recevoir également des vaccinations uniquement recommandées. Quand beaucoup, notamment sur le forum participatif, exigeaient le retour de vaccins trivalents, le comité d’expert répond en élargissant la vaccination ! Les experts jugent cependant que devrait être mise en place une clause d’exemption permettant aux parents de s’opposer à la vaccination, à travers laquelle ils s’engageraient à « assumer les responsabilités civiles de leur refus incluant un risque de non-admission de l’enfant en collectivité ». Néanmoins, il s’agirait d’une liberté extrêmement surveillée puisque les experts estiment nécessaire de se réserver la possibilité de supprimer cette clause d’exemption si son utilisation était trop fréquente. Avec un tel programme, l’accusation de "dictature vaccinale" a encore de beaux jours devant elle.
Adjuvants : un non sujet
Une telle préconisation s’appuie sur une confiance entière dans l’efficacité et l’innocuité de la vaccination. Dans son introduction, le rapport revient de fait sur les bénéfices très larges des vaccins (sans entrer dans les considérations polémiques habituelles concernant les poids respectifs de l’amélioration de l’hygiène et des vaccins dans la victoire partielle contre les maladies infectieuses) et sur ses risques limités. Les experts rappellent ainsi que « En ce qui concerne le risque de maladies auto-immunes, le seul lien causal avec la vaccination mis en évidence par les études les plus solides concerne la grippe et le risque de survenue d’un syndrome de Guillain-Barré (…). Si le risque existe, il est en tout cas très inférieur à celui observé dans le contexte de l’infection naturelle ».
Concernant les adjuvants, les experts se montrent également catégoriques. Ils rappellent tout d’abord leur caractère indispensable et le fait que la recherche de nouveaux adjuvants représente un effort très important et nécessairement long. Ils insistent encore sur le fait que : « L’analyse de l’ensemble des études disponibles ne permet pas dans l’état actuel des connaissances scientifiques, d’établir un lien causal entre l’administration de vaccins contenant des adjuvants aluminiques et des maladies auto-immunes ou inflammatoires ». Plus loin, ils font encore remarquer que le recul d’utilisation concernant les sels d’aluminium est de 100 ans. Ainsi, alors que les inquiétudes associées aux adjuvants ont fréquemment été abordées dans le cadre de la participation des internautes et que le jury citoyen fait de la réintroduction de vaccins sans aluminium l’une de ses recommandations ou préconise encore la création d’une commission d’enquête sur la question des adjuvants, le rapport final refuse de s’appesantir sur le sujet. Cette attitude lui est évidemment vigoureusement reprochée aujourd’hui par ceux qui sont convaincus de la dangerosité de ces adjuvants dont Didier Lambert président de l’association des patients atteints de myofasciite à macrophage.
Le fait que dans leurs recommandations concernant la recherche, les experts n’oublient pas la nécessité de continuer à s’intéresser à la mise au point d’autres adjuvants et à la tolérance de ceux utilisés aujourd’hui ne suffit nullement à apaiser leur colère.
Transparence et accès aux vaccins : des points cruciaux
Les autres recommandations et affirmations du comité apparaîtront plus consensuelles. Elles concernent d’abord la nécessité d’une plus grande transparence. Les auteurs saluent à cet égard l’initiative récente de l’European Medicine Agency de diffuser auprès du public « les données des essais cliniques transmises par les industries du médicament » et invitent à s’en inspirer. Ils insistent également sur l’importance de renforcer la déclaration des événements secondaires et des effets indésirables. Ils reconnaissent que leur sous-déclaration, « tout comme la sous déclaration des conséquences de la non vaccination » ajoutent-ils, est une réalité dommageable. Le comité d’experts préconise par ailleurs une action de communication forte des autorités publiques. Ils dessinent ainsi les contours d’un « site unique référent, regroupant l’ensemble des informations et savoirs sur la vaccination et doté d’un espace participatif ».
D’une manière générale, les pouvoirs publics se devraient de « réinvestir le discours sur la vaccination aujourd’hui essentiellement laissé aux opposants ».
Concernant l’accès à la vaccination, la concertation citoyenne veut donner une nouvelle place à l’école (en s’inspirant des exemples étrangers) et préconise d’utiliser la journée de formation citoyenne pour évaluer l’état de vaccination des sujets (ce qui est déjà réalisé dans certaines régions). Plusieurs préconisations visent par ailleurs la disponibilité des vaccins : la mise en place d’une politique nationale d’achats centralisés telle qu’elle existe en Grande-Bretagne est notamment jugée séduisante.
Renforcer le rôle des professionnels de santé
Enfin, plusieurs mesures intéressent directement les professionnels de santé, dont la formation devra être renforcée. Les contributions libres ont confirmé combien le parcours vaccinal est jugé complexe. Pour assouplir le système, les auteurs préconisent d’autoriser les pharmaciens à vacciner et d’élargir le rôle des infirmières et des sages-femmes en la matière. Par ailleurs, ils plaident pour la mise à disposition des vaccins chez les médecins généralistes, pédiatres et spécialistes libéraux, ainsi qu’au sein des maisons de santé. La concertation propose encore l’ajout d’un objectif vaccinal pédiatrique au sein de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP). On notera enfin l’attention accordée à l’amélioration de la prise en charge de la douleur associée à la vaccination chez les plus jeunes, à travers une utilisation plus systématique de patchs anesthésiants.
La lourde tâche du ministre de la Santé
C’est désormais au ministre de la Santé de rendre ses arbitrages.
La tâche sera délicate, tant les contestations contre ces conclusions sont déjà nombreuses et tandis que les critiques fusent. Beaucoup affirment que ces recommandations (pourtant assez surprenantes) étaient écrites d’avance et d’autres fustigent le manque de prise en considération d’éléments mis en avant par le jury citoyen ou les contributions à l’espace participatif.
Comment Marisol Touraine pourra-t-elle désormais œuvrer, à moins de six mois des élections présidentielles, sans avoir l’air de renier la concertation qu’elle a elle-même souhaitée ?
Le rapport de la concertation citoyenne
Aurélie Haroche