
Paris, le jeudi 29 juin 2017 – Au lendemain de la présentation des conclusions de la concertation sur la vaccination, qui recommandaient l’élargissement, au moins temporaire, de l’obligation vaccinale, un grand nombre d’organisations de médecins avaient salué cette orientation et l’avaient soutenue. Nous avions également constaté que l’extension de l’obligation vaccinale, en associant à la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite, la coqueluche, l’HIB, l’hépatite B, la rougeole, les oreillons et la rubéole, était plébiscitée par une majorité de professionnels de santé (52 %) selon un sondage réalisé sur notre site au début du mois de mars.
Des syndicats prêts à faire feu
L’annonce par le nouveau ministre de la Santé, Agnès Buzyn, de sa volonté de suivre la recommandation de la concertation a été également saluée par plusieurs associations. Les syndicats ont notamment tenu à assurer le gouvernement de son soutien. « La CSMF approuve la volonté d’Agnès Buzyn (…). Les controverses sur la vaccination ont été alimentées par des contre-vérités sans fondement scientifique rigoureux, mais aussi par les incohérences des pouvoirs publics au fil des années. La CSMF encourage donc la ministre de la Santé à adopter une position ferme et à mettre en œuvre une politique vaccinale ambitieuse pour rétablir la confiance des Français dans les vaccins » peut-on lire dans un communiqué récent de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). Parallèlement, à l’occasion de son assemblée générale, il y a quelques jours, MG France a indiqué que ses adhérents participeraient sans réserve à la campagne pédagogique qui pourrait précéder l’entrée en vigueur de l’extension de l’obligation vaccinale.
Principe de prévention
Aujourd’hui, deux cent médecins et professionnels de santé libéraux et hospitaliers confirment l’adhésion d’une grande partie du corps médical à la mesure proposée par le ministre. Ces deux cent praticiens, parmi lesquels François Chast, chef de la pharmacie clinique de l’Hôtel Dieu, François Bricaire, chef du service de maladies infectieuses et tropicales de la Pitié-Salpêtrière ou l’ancien ministre de la Santé Jean-François Mattei rappellent que la vaccination ne relève pas seulement « d’un choix personnel n’ayant de bénéfices que pour la personne » mais qu’elle « vise » également « la protection de la population, en particulier enfants, personnes âgées ou fragiles ». Les signataires insistent en outre : « Il est urgent de combattre les discours des lobbys antiscientifiques et antivaccination qui jouent sur la peur. Ils ne démontrent rien et s’appuient sur quelques très rares effets secondaires pour discréditer les vaccins qui sauvent des millions de vie ».
Cependant, au-delà de ces constatations, ces praticiens ne discutent guère le bien fondé de l’obligation, sa pertinence en termes d’efficacité. Ils se contentent de poser comme principe : « Le principe de précaution doit ici se traduire par l’application du principe de prévention ».
Pour les vaccins, contre l’obligation
Pourtant, au sein de ce concert volontariste d’adhésion sans nuance, certaines voix tentent de se faire entendre, non pas pour remettre en cause l’efficacité, l’utilité et la nécessité des vaccins mais pour suggérer le risque d’un caractère contre-productif d’une telle mesure. Nous avions déjà évoqué ces voix dissidentes s’étant exprimées sur différents blogs de médecins il y a quelques jours. A ces prises de position, s’est ajoutée cette semaine une tribune publiée dans Le Monde par le docteur Luc Perrino qui estime que l’extension vaccinale apparaît « contre-productive » et s’oppose à la volonté affichée du gouvernement « de donner la priorité à l’éducation, seule capable de promouvoir une société libre et responsable ». La réflexion de Luc Perino n’est pas isolée. Le Collège national des généralistes enseignants (CNGE) vient d’adopter une position similaire. Ses constatations sont semblables à celles de ceux qui prônent l’obligation : la situation paradoxale créée par la concomitance de vaccins obligatoires et de vaccins recommandés a conduit à « une incompréhension de certains médecins et parents, ce qui consolide le climat de méfiance et favorise l’hésitation vaccinale, renforcée par la pénurie de certaines spécialités vaccinales ». Pour autant, le CNGE juge que face à cette situation, l’obligation est « une réponse simpliste et inadaptée ».
Contraire à la liberté de choix des patients
Le CNGE rappelle tout d’abord que l'obligation ne se fonde sur aucune preuve tangible de son efficacité : « Il n’y a aucun élément scientifique pour attester que cette mesure aboutisse à une meilleure protection notamment pour les enfants » écrit-il avant d’ajouter : « L’obligation ne permet en rien de restaurer la confiance qui était l’objectif initial de la concertation citoyenne. Les pays d’Europe occidentale sans obligation vaccinale ont des couvertures DTP équivalentes à celle de la France ». Le CNGE invite par ailleurs à considérer qu’en dépit d’un discours de défiance, dont il ne nie nullement l’existence, la vaccination dispose néanmoins encore d’un socle très solide de confiance. « Les médecins généralistes français sont très majoritairement favorables aux vaccinations recommandées et respectent le calendrier vaccinal. Les patients font très majoritairement confiance aux conseils vaccinaux de leur médecin généraliste ». Surtout, ils notent que l’obligation relève d’une démarche qui s’oppose aux « notions d’approche ou de démarche centrée patient, par ailleurs promues par la HAS, et avec les principes éthiques d’autonomie. La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades a consacré le caractère prioritaire du choix du patient éclairé et conseillé par le médecin ». Enfin, les généralistes enseignants considèrent comme d’autres que la méthode est contre-productive et potentiellement dangereuse pour les professionnels de santé. « Il est à craindre que son caractère autoritaire renforce la défiance et la suspicion d’une partie croissante de la population. Elle risque d’exposer les médecins généralistes et d’autres professionnels à des demandes nombreuses et non fondées d’exemption, voire de soi-disant contre-indications » analysent-ils. Aussi, plutôt qu’une extension de l’obligation, le CNGE plaide pour la mise en place d’une nouvelle campagne de sensibilisation. Il invite également les pouvoirs publics à préférer une approche au cas par cas de chaque vaccin plutôt que de se référer au concept global de vaccination, en raison des spécificités de chaque vaccin (et d’un profil bénéfice/risque différent). Le CNGE insiste encore sur la nécessité d’une « organisation cohérente de la politique vaccinale ».
Ainsi, on le voit, derrière le plébiscite de façade, certains, tout en partageant le même souci de faire progresser la couverture vaccinale (et la confiance en les vaccins) s’interrogent sur la pertinence de la mesure proposée, à l’instar de certaines instances associées à la concertation. Retour à la case départ ? A voir.
Aurélie Haroche