
Paris, le jeudi 20 juillet 2017 – Depuis trois ans et demi, les membres de la famille de Vincent Lambert se livrent une âpre bataille judiciaire, en ne négligeant aucun des recours existant. Chacun utilise la justice (sans jamais accepter de se ranger à son avis lorsqu’il lui est défavorable) pour mettre en scène sa position face au sort de cet homme d’une quarantaine d’années qui, depuis septembre 2008, est dans un état végétatif sans aucun espoir d’amélioration. Les décisions successives ont confirmé l’extrême délicatesse des questions liées à l’accompagnement de la fin de vie, mais ont également permis d’offrir des éclairages sur des dispositions qui, lors de la première décision du Conseil d’Etat sur cette affaire en 2014, étaient encore mal connues.
Une procédure jugée légale par le Conseil d’Etat et la Cour européenne
Ainsi, alors que le premier arrêt du Conseil d’Etat en 2014 avait contribué (entre autres) à rappeler que l’alimentation et l’hydratation devaient être considérés comme des soins (et pouvaient de se fait être interrompus en cas d’acharnement thérapeutique avéré), le verdict rendu hier permet de mieux préciser le degré de liberté du médecin vis-à-vis d’une décision d’arrêt des soins. On s’en souvient, la procédure collégiale lancée en 2013, et qui avait abouti au choix du médecin de l’époque, Eric Kariger, d’arrêter la prise en charge, a été considérée comme légale (en dépit de l’opposition d’une partie de la famille) par le Conseil d’Etat en juin 2014 et la Cour Européenne en juin 2015. Au lendemain de cette seconde décision, le nouveau médecin en charge de Vincent Lambert, le docteur Daniéla Simon lance une nouvelle procédure collégiale. Mais elle choisit finalement de l’interrompre, sine die, évoquant le manque de sérénité autour du patient, indispensable à la bonne réalisation de la procédure.
Chaque médecin est maître de sa décision
Le neveu de Vincent Lambert a formé un recours contre ce choix de Daniéla Simon. Son argument : la décision d’arrêt des soins, confirmée par la Cour européenne, a créé un « droit » pour Vincent Lambert, droit qui oblige l’équipe médicale. Mais le Conseil d’Etat ne partage pas cette analyse. « La décision du 11 janvier 2014 de mettre fin à l’alimentation et l’hydratation artificielles de M. Vincent Lambert ne peut plus recevoir application dès lors que le médecin qui l’a prise n’est plus en charge du patient ». Ainsi, ni une direction hospitalière, ni la justice ne peuvent contraindre un praticien « d’exécuter » la décision d’un prédécesseur, même si celle-ci a été « validée » par les tribunaux. Cette précision du Conseil d’Etat est essentielle pour les médecins : elle confirme en effet leur indépendance vis-à-vis de leurs confrères, mais aussi des autorités administratives. Elle rappelle par ailleurs le pouvoir majeur du médecin dans ces décisions d’arrêt des soins ; un pouvoir exercé de manière solitaire. Aujourd’hui, le médecin en charge de Vincent Lambert ayant une nouvelle fois changé, il lui appartient de se « prononcer sur l’engagement d’une procédure d’examen de l’arrêt des traitements de l’intéressé ».
Seul un motif médical valable permet d’interrompre une procédure collégiale en vue de l’arrêt des soins
Parallèlement, cependant, la Cour d’appel de Nancy avait estimé que l’absence de sérénité autour de Vincent Lambert ne saurait être considérée comme une raison suffisante pour interrompre, et encore moins sans aucune date limite, la procédure collégiale. Cette appréciation rendait illégale la suspension décidée par l’équipe de Daniéla Simon ; ce qu’avait contesté les parents de Vincent Lambert. Mais le Conseil d’Etat a confirmé la position des juges de Nancy : une procédure collégiale ne saurait être remise en cause pour de tels motifs. Ici, le Conseil d’Etat protège les patients de changements d’avis non fondés du médecin et d’une certaine forme d’arbitraire. Ainsi, la décision finale du Conseil d’Etat, en rejetant les différents pourvois, semble tout à la fois vouloir protéger l’indépendance des médecins et le droit des patients.
Cercle vicieux sans fin
L’arrêt représente cependant une déception pour ceux qui au sein de la famille de Vincent Lambert souhaitent qu’ils puissent mourir dans la dignité et notamment son neveu, François Lambert. « Cet arrêt n’est évidemment pas satisfaisant, il se rapproche du déni de justice, de mon point de vue », écrit-il ajoutant encore : «
Cette indépendance n’est qu’un cadeau empoisonné puisqu’elle fait passer un arrêt de traitement pour un caprice (…), qu’elle constitue une prime au harcèlement (…) et met les médecins à la merci de leur administration » affirme-t-il alors qu’il est probable au contraire que cette indépendance protège en partie les praticiens.
Désormais, il appartient donc au nouveau médecin de Vincent Lambert de se prononcer. Mais connaissant les inévitables poursuites judiciaires auxquelles il s’exposera, il n’est pas impossible qu’il prenne le temps de la réflexion.
Aurélie Haroche