
Paris, le mercredi 20 septembre 2017 – Qu’ils n’aient pas peur de crier au "complot" ou qu’ils regrettent plus prudemment les désordres hormonaux ressentis par les patients, les acteurs et observateurs de l’affaire Levothyrox font tous le même constat d’un dysfonctionnement majeur de la transmission de l’information aux patients. En choisissant de ne pas s’adresser directement aux malades, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a en effet totalement méconnu la réalité des circonstances de traitement d’un grand nombre de personnes : des patients suivis au long cours, qui ne consultent que rarement leur médecin traitant et dont beaucoup sont éloignés des associations. Le ministre de la Santé, Agnès Buzyn a clairement reconnu ce matin ce défaut sur Europe 1: « Il y a vraiment eu un défaut d’information pour les malades, et je comprends leur désarroi (…). Je pense que ça ne peut pas être uniquement une information descendante, très institutionnelle. Elle n’a pas fonctionné. Les médecins et les pharmaciens n’ont pas été forcément aussi très informés, n’ont pas été les bons relais. On a nié le ressenti des malades, et c’est ça qui créé aujourd’hui cette colère que l’on ressent chez les patients » a-t-elle observé, semblant épingler au passage les professionnels de santé ce qui ne manquera pas d’être remarqué. Aussi, le ministre a-t-elle annoncé le lancement d’une « mission d’information sur l’information des malades, j’annoncerai exactement la composition de cette mission dans les semaines qui viennent ».
Discours pseudo scientifiques, hypermédiatisation, discrédit des autorités : des maux à traiter
Cette mission ne pourra faire l’impasse sur des éléments essentiels : la place des réseaux sociaux dans l’information sanitaire et sa tendance à amplifier les phénomènes de défiance. D’une manière générale, une réflexion s’impose sur le discrédit dont souffrent les autorités institutionnelles et les discours scientifiques, que l’on constate dans de très nombreux domaines. Ces phénomènes sont évoqués aujourd’hui dans les colonnes du Monde par la sociologue, Virginie Tournay, directrice de recherche au CNRS et rattachée au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). « Tous les champs d’expertise sont touchés par la dérégulation du marché de l’information qui caractérise les nouveaux médias. Cela affecte de plein fouet les institutions : toute opinion individuelle est susceptible de faire autant de bruit que des avis scientifiques. D’où un risque accru de prolifération de discours pseudo ou alter-scientifiques. Pourtant, les institutions ne mesurent pas bien le fait que cette dérégulation et cette hypermédiatisation menacent leur autorité sociale. Elles ont l’habitude de considérer que celle-ci découle de leur autorité scientifique. En réalité, aujourd’hui, puisque toute opinion vaut savoir, l’autorité scientifique et l’autorité sociale sont dissociées. Nos institutions sont redéfinies par les réseaux sociaux : il n’y a pas de lien direct entre la façon dont une institution fonctionne et le degré de confiance qu’on lui porte. Tous [les champs d’expertise] ne sont pas fragilisés à l’identique. Le médical, et plus globalement toute l’innovation biotechnologique, tout ce qui a trait à la manipulation de la -matière vivante sont beaucoup plus susceptibles d’entraîner de la suspicion et de la défiance » remarque la spécialiste, signalant la nécessité d’une réflexion profonde sur ces sujets.
Cacophonie dans les centres de pharmacovigilance
Outre des répercussions concernant la transmission de l’information et la nécessaire reconquête de leur crédibilité par les autorités institutionnelles et scientifiques, l’affaire Levothyrox aura probablement des répercussions sur notre système de pharmacovigilance. Selon le Figaro, notamment, la multiplication des signalements a entraîné un très rapide débordement des centres de pharmacovigilance ; remettant en question la pertinence des nouveaux modes de déclaration. « C’est la cacophonie. On ne gère plus rien. Des signalements d’effets indésirables sont enregistrés comme graves alors qu’ils ne le sont pas, et inversement » indique ainsi un responsable de centre de pharmacovigilance cité dans le quotidien.
Justice : des issues incertaines
Ces failles des autorités sanitaires seront au cœur des poursuites judiciaires qui s’annoncent nombreuses. Cependant, leurs chances d’aboutir au pénal sont, comme nous l’a rappelé l’affaire des pilules de troisième et quatrième génération, faibles. Une action collective au civil contre les laboratoires Merck pour « défaut d’information (…) et préjudice d’angoisse » pourrait être une voie plus "prometteuse". Elle est aujourd’hui en préparation par un collectif d’avocats toulousains, qui a lancé une plateforme destinée à recueillir les dossiers des demandeurs potentiels. Cette plateforme est ouverte jusqu’au 1er décembre.
Prise en charge des troubles thyroïdiens : des prises de conscience s’imposent
Enfin, cette crise aura très probablement des conséquences sur
la prise en charge médicale des troubles thyroïdiens. D’abord, on
le sait, l’offre des traitements mis à la disposition des patients
devrait être élargie. Hier encore, les laboratoires Biogaran ont
annoncé leur intention de relancer la production de leur générique
de la thyroxine, qui avait été abandonnée, faute d’une demande
suffisante, les patients ayant été nombreux à se plaindre de
troubles divers au moment du passage au générique. Par ailleurs,
certains praticiens, comme au début du mois de septembre l’auteur
du blog Docteur du 16 veulent croire que la crise aura le mérite de
mettre en lumière une probable tendance à la sur prescription et à
une nouvelle fois mettre en garde contre des ablations
éventuellement non impératives de la thyroïde.
Aurélie Haroche