Agnès Buzyn : « Il faut arrêter d’obliger les hôpitaux à penser comme une entreprise »

Paris, le lundi 23 octobre 2017 – Une longue interview au Journal du Dimanche et près d’une heure de débats avec les éditorialistes du Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro : Agnès Buzyn a pu exposer largement les détails de son action ce dimanche, alors que doit débuter cette semaine l’examen du premier projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) de l’ère Macron.

Le soignant n’est pas là pour compter, ni l’argent, ni les lits

Très attendue sur la généralisation du tiers payant (à laquelle nous consacrons un article aujourd'hui), le ministre s’est également longuement exprimé sur l’hôpital. Alors que la rupture avec la logique entrepreneuriale imposée aux établissements de santé sous Nicolas Sarkozy était très attendue de l’équipe de François Hollande, qui aura quelque peu déçu sur ce point, Agnès Buzyn s’est manifestée avec force sur ce sujet. « Il faut arrêter d’obliger les hôpitaux à penser comme une entreprise qui doit faire du chiffre » a-t-elle martelé sur RTL. Un tel revirement a des conséquences sur la tarification, détaillées dans les colonnes du JDD. « Nous allons créer des modes de tarification centrés sur la pertinence des soins. Pour la chirurgie du "rétrécissement" de l'estomac chez les obèses, par exemple, on opère bien plus dans certains départements que dans d'autres. Parfois, cela devient une opération de routine et on dépense de l'argent alors qu'il existe des alternatives moins coûteuses et moins lourdes pour le patient. Les établissements se verront octroyer un bonus, un intéressement dès lors qu'ils répondront aux objectifs de qualité, de pertinence et d'efficience des soins. En outre, je veux renforcer l'incitation financière à la qualité en intégrant des indicateurs de résultat clinique. Les soignants s'y retrouveront car la course à l'activité fait perdre du sens à leur mission » a-t-elle expliqué. Qui dit fin de l’hôpital entreprise, ne signifie cependant pas moratoire sur la fermeture des lits, comme certains pourraient l’espérer. Sur ce point, le ministre de la Santé a fait valoir sur RTL que si des lits étaient fréquemment recherchés dans les hôpitaux « ce n’est pas parce qu’ils en manquent mais parce qu’on garde inutilement des malades pour faire du chiffre. (…) Notre métier de soignant c’est de bien soigner, pas d’avoir des lits en plus pour faire l’activité ».

Lutte contre la fraude et les dépenses inutiles

Ainsi, tant pour des raisons d’efficacité médicale que d’efficience économique, de nouvelles fermetures de lit ne sont pas à exclure, même si le ministre s’est refusé à donner des chiffres. Ces suppressions seraint d'ailleurs inévitables en raison de la priorité donnée à l’ambulatoire. « J’ai vu trop de gens hospitalisés pour rien » a déploré le ministre qui souhaiterait qu’en 2022 « sept patients sur dix qui entrent à l’hôpital le matin en sortent le soir, contre cinq aujourd’hui » a-t-elle précisé au JDD. Autre marge d’économie importante à l’hôpital : la mutualisation des achats, qui pourrait permettre de réaliser jusqu’à un milliard d’euros d’économies. Des gisements existent également en médecine de ville : d’une manière générale le ministre considère que « 30 % des dépenses de l’assurance-maladie ne sont pas pertinentes ». L’amélioration des finances passe également par une lutte plus rigoureuse contre la fraude. « Il faut cesser d’être laxiste avec ceux qui abusent d’un système généreux » a insisté le ministre dans le JDD.

Un comportement anormal vis-à-vis du tabac

Ces questions budgétaires ont incité le ministre à revenir sur les augmentations de taxe sur le tabac et sur les boissons sucrées discutées dans le cadre du PLFSS. Concernant les premières, le ministre a défendu son projet estimant que la « France a un comportement anormal vis-à-vis du tabac ». A propos de la hausse de la taxe sur les boissons sucrées, défendue, contre l’avis du gouvernement, par des députés En Marche, Agnès Buzyn semble peu à peu se ranger à leur avis. « Aujourd’hui, dans les magasins, l’eau en bouteille et le soda sont presque taxés de la même façon, ça n’a pas de sens » remarque-t-elle.

« Viens t’asseoir sur mes genoux »

Enfin, ses interventions du week-end dans les médias ont été l’occasion pour Agnès Buzyn de revenir sur des sujets de société qui ont pour certains marqué l’actualité et qui concernent notamment les femmes. Ainsi, pour la première fois, alors qu’elle s’était montrée discrète sur le sujet, elle s’est déclarée personnellement plutôt favorable à l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de femmes, tout en indiquant avoir longtemps dû réfléchir sur le sujet pour arrêter une position. Elle s’est a contrario déclarée résolument hostile à la gestation pour autrui (GPA) en raison de son caractère marchand. Enfin, Agnès Buzyn n’a pas éludé la question posée par le JDD concernant le harcèlement sexuel : « Comme beaucoup de femmes, j'ai eu affaire à des comportements très déplacés dans mon milieu professionnel. Des chefs de service qui me disaient : "Viens t'asseoir sur mes genoux." Des choses invraisemblables… qui faisaient rire tout le monde. La libération de la parole fait prendre conscience qu'une lutte quotidienne se joue dans l'espace public et professionnel. Une femme qui réagit face à un propos sexiste n'est jamais prise au sérieux. J'attends que les hommes se rebellent publiquement, à nos côtés » a espéré le ministre. Soulignons qu’à travers le hashtag Paye ta blouse, la question du sexisme dans le milieu médical et entre autres du harcèlement avait déjà fait l’objet d’une mise en avant médiatique.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (4)

  • Assez de mesures comptables ! De la sobriété oui !

    Le 24 octobre 2017

    Madame Buzyn peut ou veut réussir, comme celles qui l’ont précédé à ce poste, à obtenir des économies des dépenses de santé. A première vue, j’ai des doutes.

    30 % d’économies, cela semble beaucoup. Déjà, si les patients pouvaient être enclins à consulter dès le premier symptôme sérieux, il en résulterait, peut-être, moins de dépenses pour rattraper les retards dans le diagnostic des cancers et des autres affections graves.

    Madame Buzyn a travaillé 30 ans dans les hôpitaux publics à Paris, moi 50 ans à Strasbourg. Elle y a vu des anomalies. Moi aussi ! Le principal est la dépense expansive de nature administrative et les excès d’examens complémentaires et de médicaments très onéreux.

    Si le DMP est en retard, c’est pour des raisons de secret médical qui est impossible à tenir avec le web. Par contre, un DMP sur carte mémoire dans la poche du patient aurait plus de succès et pourrait diminuer les redondances d’examens.

    Comment peut-on réduire le déficit de l’Assurance Maladie par des mesures comptables ? J’ai des doutes que ces seules mesures puissent suffire. Par contre, le choix délibéré de la sobriété dans les choix des examens et des traitements onéreux est possible surtout dans les hôpitaux publics, où ce n’est de loin pas la règle.

    De là à ce que ce soit des fonctionnaires non-médecins qui viennent se mêler de la pertinence des soins ? Non ! Cette pertinence des soins et cette sobriété sont est du ressort exclusif du corps médical avec l’aide de ses sociétés savantes.

    Dr Jean Doremieux

  • Lacunes

    Le 25 octobre 2017

    Il est scandaleux qu'un ministre de la santé se permette de déclarer que dans les hôpitaux "on garde inutilement des malades pour faire du chiffre". C'est manifester un degré d'ignorance extrême de la situation réelle et en même temps insultant pour ceux qui y travaillent :

    1 - pour faire du "chiffre" comme elle dit, et compte tenu de la réglementation de la T2A, il faut au contraire raccourcir la durée de séjour.
    2 - si on garde certains patients au-delà de ce qui est médicalement nécessaire, c'est faute de structures d'aval pour les innombrables cas où le retour à domicile n'est pas immédiatement envisageable
    Madame la ministre ferait bien de combler ses lacunes...

    Dr Franck Boutault

  • L'omniprésence administrative

    Le 25 octobre 2017

    "De là à ce que ce soit des fonctionnaires non-médecins qui viennent se mêler de la pertinence des soins ? Non !" J.D.
    Précisions à ceux qui liront la réponse :
    J'ai vu épingler les cadres de santé dans la gestion qu'ils faisaient des services de soins... comme s'ils étaient "à la botte de l'administration". Etes-vous bien sûrs que tous ces surveillants de service soient cadre de santé ? L'exercice illégal de cette fonction par quelqu'un qui n'est pas soignant mais administratif n'existe pas ! Et cela existe parce qu'ils coûtent moins cher et ne s'embarrassent pas de questions comme la qualité des soins qu'ils ignorent ou la sécurité... Et l'ordre administratif est une loi à suivre !

    Autre question : Savez-vous, lorsque c'en est vraiment un, combien de service il doit "gérer" ? Peut-on gérer 2 à 3 équipes sans être sur le terrain ? Ou bien sont-ils condamnés à jouer les pompiers pour maintenir comme il le peuvent la présence auprès du malade ?
    Je n'aborderais pas la question de l'IDE faisant fonction... faut bien garder une poire pour la soif.

    C.D.

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