Glyphosate : l'étude qu'il faut avoir lu

L'étude épidémiologique prospective sur les risques de néoplasies liés à l'utilisation de glyphosate chez plus de 50 000 agriculteurs américains publiée il y a quelques jours par le Journal of the National Cancer Institute a déjà été longuement évoquée par le JIM dans ses rubriques Pro & Société et JIM +. Elle a été l'objet de nombreux commentaires sur notre site. Elle devrait peser dans la décision des autorités européennes sur le maintien ou non de l'autorisation d'utilisation de cet herbicide. 

Pour vous aider à vous forger une opinion sur cette question qui fait régulièrement la une des médias, nous avons choisi de publier aujourd'hui une analyse critique plus fouillée de cet article sous la plume du professeur d'hématologie Gérard Sébahoun.  



Le glyphosate est l’herbicide/pesticide le plus utilisé dans le monde, aussi bien en usage domestique que professionnel dans l’agriculture. C’est un produit génotoxique et, en 2015, il est classé comme « probablement cancérigène » chez l’homme par l’Agence Internationale pour la Recherche sur le Cancer (IARC), qui avait noté une association positive avec la survenue de lymphomes dans certaines études épidémiologiques.

Une évaluation faite en 2005 aux États-Unis par l’Agricultural Health Study (AHS) ne trouvait pas d’association statistiquement significative entre l’utilisation du glyphosate et un cancer de quelque site que ce soit, mais un risque un peu plus élevé (non statistiquement significatif) de myélome chez les sujets les plus exposés.
L’étude de l’AHS est ici actualisée et porte sur 7290 cas de cancers dans une cohorte de 57310 sujets légalement autorisés à l’usage de pesticides, inclus entre 1993 et 1997, provenant de 2 états agricoles des USA. Les informations sont recueillies à l’inclusion et par des questionnaires de suivi entre 1999 et 2005. L’incidence de cancers était vérifiée par les registres du cancer de ces états et la mortalité par les registres de mortalité. Le nombre de jours par an et le nombre d’années d’utilisation de chaque pesticide utilisé étaient colligés et un score d’intensité était évalué à partir d’un algorithme prenant en compte le fait que le pesticide est mélangé ou non, l’utilisation d’un équipement protecteur, le mode d’usage. Une durée d’exposition pondérée est définie par le temps d’exposition multiplié par le score d’intensité.

Pas plus de risque de cancer...

Sur 54251 participants, 44932 (82,8%) rapportaient une utilisation du glyphosate à l’inclusion (75,6%) ou pendant le suivi. Parmi eux le temps médian d’exposition était de 48 jours par an pendant 8,5 ans.

7290 cancers ont été diagnostiqués pendant la période de suivi. Les risques étaient ajustés selon l’âge, le tabagisme, le nombre de verres de boisson alcoolisée par mois, les antécédents familiaux de cancer, l’origine géographique, l’exposition à des solvants professionnels, à des radiations. Les sujets qui ont eu un temps d’exposition supérieur à la médiane étaient plus jeunes, plus souvent des hommes, avaient un niveau éducatif plus élevé, une consommation d’alcool plus importante, plus d'antécédents familiaux de cancer.

Il n’est pas trouvé d’association entre durée d’exposition pondérée par l’intensité de l’exposition au glyphosate et risque total de cancer, ni avec un cancer d’un site particulier (ORL, colo-rectal, pancréas, poumon, mélanome, prostate, testicule, vessie, rein), ni avec le risque de cancers hématopoïétiques,  ni avec le risque de lymphome d'un type particulier de lymphome ou de myélome.

... mais possible risque de LAM

Bien que non statistiquement significatif, les auteurs ont constaté  un risque augmenté de leucémie aiguë myéloïde (LAM) parmi les sujets ayant la plus importante durée-intensité d’exposition par rapport à ceux n’ayant jamais utilisé de glyphosate (p=0,11). Si on considère une exposition au risque décalée de 5 ou 20 ans, le risque de cancers hématopoïétiques reste identique. On ne retrouve pas de risque plus élevé chez les 25 % ayant eu l’exposition la plus élevée en durée-intensité pour les lymphomes. On retrouve pour les LAM un risque un peu plus élevé chez les 25 % les plus exposés exposé avec un décalage de 5 ans (p=0,07) et 20 ans (p=0,04). Une analyse évaluant l’impact de l’inclusion ou non des sujets déjà exposés au risque à l’inclusion par rapport à ceux non exposés au risque à l’inclusion et pendant le suivi ne montre pas de différence.

Dans cette étude prospective actualisée concernant un grand nombre d’utilisateurs de glyphosate, on ne retrouve donc aucune association avec le risque total de cancers, de cancers hématopoïétiques, incluant lymphome et myélome. Cependant la comparaison de la fraction des sujets la plus exposée au glyphosate avec celle non exposée montre une augmentation du risque de LAM.

Comme d’autres hémopathies, la LAM est le résultat de multiples facteurs génétiques et environnementaux. L'exposition aux pesticides est connue depuis longtemps comme associée à la survenue d’une leucémie. En 2007, une méta-analyse avait montré qu’une  exposition aux pesticides était statistiquement liée au risque de LAM, sans qu’une exposition à un composé chimique particulier ait été évaluée. L'étude de G Andreotti et coll. est la première qui rapporte une association possible entre glyphosate et risque de LAM. 

Pr Gérard Sébahoun

Références
Andreotti G et coll : Glyphosate Use and Cancer Incidence in the Agricultural Health Study. J Natl Cancer Inst. 2017, publication avancée en ligne le 9 novembre. (doi: 10.1093/jnci/djx233.
https://doi.org/10.1093/jnci/djx233)

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Vos réactions (4)

  • Excès de langage

    Le 27 novembre 2017

    Je ne pense pas qu'on puisse parler d'un risque de LAM dan le cadre d'une analyse retrospective multicritères. L'incidence spécifique de LAM dans le groupe exposé n'était pas un critère principal d'évaluation ; l'observation d'un surrisque n'est qu'une analyse post hoc, permettant de générer une hypothèse qu'il resterait à valider de manière prospective.

    Dr Pierre Rimbaud

  • "La certitude est le meilleur allié de l'obscurantisme"

    Le 28 novembre 2017

    Il est convenable de prendre avec réserve les articles témoignant des risques que fait courir le glyphosate. Il est déraisonnable de ne pas faire preuve de la même réserve vis à vis des articles qui innocentent le produit...Toutefois,
    Des documents de Monsanto, longtemps confidentiels, mettant en évidence les effets toxiques de la molécule sur des animaux de laboratoire, ont pu être récemment mis à jour aux USA. Comme quoi les travaux effectués par les scientifiques de cette entreprise étaient a priori sérieux mais sont restés secrets pour des raisons commerciales évidentes.

    Autre problème, jamais ou quasiment jamais abordé : l'effet cocktail. Il est bien connu en pharmacologie, mais pratiquement personne ne s'en occupe en toxicologie et en particulier dans les domaines sensibles, on le comprend car c'est une entreprise tout à fait redoutable. Il me paraît essentiel de ne pas négliger cet aspect de la pharmacocinétique qui est largement négligé par presque tous les intervenants.

    On rappelle à titre d'exemple, que l'agent orange totalement dévastateur au Vietnam consistait en une association de deux pesticides utilisés un peu partout, y compris en France : le 2,4,5 T (acide 2,4,5 trichlorophénoxyacétique) et le 2,4 D (acide 2,4 dichlorophénoxyacétique).

    Nous descendons des bactéries primitives, et il est naturel de se demander si une molécule qui détruit des organismes "indésirables" ne peut pas avoir quelque effet sur nous.

    Enfin, n'oublions pas que nous ne sommes pas égaux devant les capacités physiologiques à éliminer les toxiques; rappelons-nous des acétyleurs rapides et des acétyleurs lents.

    Bref, l'emballement est un mauvais conseiller, mais la prudence dans l'usage autant que dans le commentaire devrait nous laisser le temps de la réflexion.

    Dr Francis Perrey

  • Que devient l'indépendance des chercheurs ?

    Le 28 novembre 2017

    Sauf erreur de ma part, Monsanto a commercialisé le maïs Monsanto 810 "round'up ready" à partir d'une étude sur 25 rats suivis pendant trois mois, résultats qu'il a toujours refusé de publier, ce qui n'a pas empêché la commercialisation du dit maïs, sans que personne n'y trouve à redire.

    Lorsque Gilles Eric Séralini a refait ces expériences sur 2500 rats génétiquement identiques à ceux de Monsanto suivis pendant trois ans, il a mis en évidence un risque de cancer du foie que Monsanto avait choisi d'occulter. Le plus intéressant est qu'à ce moment là il a reçu une volée de bois vert par des "experts" qui protestaient contre le caractère non-scientifique, non démonstratif des ses travaux : "que 2500 rats, ridicule!" et la presse médicale a donné un large écho à ces indignations qui rappelaient celles qui avaient suivi les travaux d'Irène Frachon.

    Monsanto a le bras long et ce chercheur a bien fait état des obstructions et menaces qui ont accompagné la publication de ces résultats; dès lors, s'il y a risque implicite, menace sous-jacente, que devient l'indépendance des chercheurs ?

    Dr Jean-Jacques Perret

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