
Paris, le jeudi 1er juin 2017 – Coup de tonnerre le 23 mars 2015. A la différence de la majorité des agences scientifiques dans le monde, l’agence du cancer de l’Organisation mondiale de la Santé (CIRC) décide de classer le glyphosate, l’agent principal du Roundup, l’herbicide vedette de Monsanto, parmi les substances « cancérogènes probables » pour l’homme. Les experts appuient ce choix sur l’existence de « preuves limitées » d’un risque accru de développer un lymphome non hodgkinien chez les sujets exposés durablement au glyphosate. Pourtant, quelques mois plus tard, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) ne s’inscrivent pas dans cette ligne et refusent de considérer à leur tour que la substance controversée doive être classée comme cancérogène. Ces avis ont eu une influence significative sur le choix de la Commission européenne, au terme de discussions controversées, de prolonger l’autorisation du Roundup pour dix ans.
Des augmentations significatives de cancer ignorées ?
Cependant, face à l’extrême sensibilité du dossier et aux attaques répétées suspectant de nombreux conflits d’intérêt au sein des agences européennes, des eurodéputés et des ONG ont obtenu que les données confidentielles, transmises par Monsanto, sur lesquelles l’EFSA et l’ECHA se sont basées pour formuler leurs recommandations rassurantes puissent être plus largement diffusées Ainsi, trois études ont pu être soumises à l’expertise de scientifiques.
Christophe Portier, toxicologue et biostatisticien, ancien directeur de plusieurs institutions de recherche fédérale américains est l’un d’eux. Comme le révèle le Monde ce dernier vient de livrer ses conclusions au président de la Commission européenne Jean-Claude Junker et ces dernières sont plutôt embarrassantes. « Autant l’EFSA que l’ECHA ont échoué à identifier tous les cas statistiquement significatifs d’augmentation d’incidence de cancers, dans les études menées sur les rongeurs » expliquer Christophe Portier. « J’ai trouvé huit cas d’augmentation d’incidence significative de différentes tumeurs qui n’apparaissent dans aucune des publications ou des évaluations officielles présentées par l’EFSA et l’ECHA. Certaines de ces tumeurs étaient également présentes dans plusieurs autres travaux, renforçant la cohérence des résultats entre études » précise Christophe Portier. Ce dernier considère qu’à la lueur des conclusions qu’il a pu tirer, une nouvelle analyse des agences s’impose. La Commission a promis que le dossier allait être transmis à l’EFSA et à l’ECHA et la première a déjà assuré qu’elle répondrait « en temps voulu » aux observations du toxicologue.
Des pressions appuyées sur les chercheurs et experts du CIRC et d’autres instituts publics
Derrière l’apparente cordialité, ces observations du chercheur renforcent encore un peu plus un climat troublé et passionnel qui empêche depuis des années la Commission européenne d’adopter sur le sort de différentes substances chimiques des décisions consensuelles. Par ailleurs comme le signale le Monde qui consacre un long reportage à ce sujet, cette lettre de Christophe Portier coïncide avec la publication aux Etats-Unis des résultats des "Monsanto papers". Ces derniers mettent en évidence la stratégie d’intimidation qui aurait été déployée par la firme américaine au lendemain du choix du CIRC de classer le glyphosate parmi les substances cancérigènes. Bien que l’observateur dépêché par Monsanto lors de la réunion du CIRC, l’épidémiologiste Tom Sorahan (Birmingham) ait lui-même reconnu un parfait respect des procédures, Monsanto a adressé à l’ensemble des experts siégeant au sein de l’institution une lettre les sommant de livrer l’ensemble de leurs fichiers liés à l’élaboration de la monographie. « Si vous refusez, nous vous demandons expressément de prendre immédiatement toutes les mesures raisonnables en votre pouvoir afin de préserver tous ces fichiers intacts en attendant une requête formelle ordonnée par un tribunal américain ». Plusieurs scientifiques se sont récriés face à ces méthodes volontairement intimidantes.
Parallèlement, plusieurs experts entretenant des liens avec l’American Chemistry Council (ACC) qui défend l’industrie chimique aux Etats-Unis ont commencé, sous couvert par exemple d’enquêtes journalistes, à traquer d’éventuels liens entre le CIRC et des laboratoires publics conduisant et finançant des recherches sur le glyphosate. Là encore les méthodes n’étaient pas toujours cordiales. « Nous avons déjà été attaqués par le passé, nous avons déjà subi des campagnes de dénigrement mais nous sommes cette fois la cible d’une campagne orchestrée, d’une ampleur et d’une durée inédites » témoigne dans Le Monde, le directeur du CIRC, Christopher Wild.
Aurélie Haroche