
Le profil de celui qui croit en un complot autour des vaccins
Si rarement un représentant des pouvoirs publics aura si frontalement nommé cet aspect majeur de l’hostilité aux vaccins, les résultats de l’enquête réalisée par l’IFOP pour la Fondation Jean Jaurès (auprès de 1 000 personnes par le biais d’un questionnaire auto-administré) confirment que les thèses complotistes ont une influence importante en ce qui concerne la vaccination. Il apparaît en effet que 55 % des Français sont en accord avec l’affirmation selon laquelle « le ministère de la Santé est de mèche avec l’industrie pharmaceutique pour cacher au grand public la réalité sur la nocivité des vaccins » (17 % tout à fait d'accord et 38 % plutôt d'accord). Ainsi, même si le libellé de la question ne signifie pas, stricto-sensu, qu’une majorité de Français est convaincue que les vaccins ont un rapport bénéfice-risque défavorable, il existe une défiance importante quant à la pertinence des recommandations des pouvoirs publics en la matière. C’est de toutes les "thèses" sur lesquelles les sondés ont été interrogés (de l’assassinat de Kennedy [!] jusqu’au caractère non sphérique de la Terre en passant par l’existence d’un Nouvel Ordre Mondial) celle qui rencontre la plus large adhésion, et la seule, avec l’implication de la CIA dans la mort de John F. Kennedy, celle qui suscite un accord chez une majorité de sujets. On constate que l’adhésion est la plus marquée parmi les professions intermédiaires (62 %) et chez les détenteurs d’un CAP et BEP (64 %), quand elle est la plus faible chez les cadres et les professions intellectuelles supérieures (48 %) et les titulaires d’un diplôme du second ou troisième cycle des études supérieures (42 %). On retrouve également des différences marquées en fonction des appartenances politiques : ceux qui se déclarent proches de Debout la France (69 %), du Front National (70 %) de la France insoumise et d’Écologie les Verts (63 %) sont les plus prompts à adhérer à ce discours. Cette sur représentation des extrêmes politiques se retrouve face à la plupart des autres thèses.Sida : près d’un tiers des sondés convaincus par la création du virus en laboratoire
Les vaccins ne sont pas la seule problématique sanitaire qui soit touchée par la tentation du complot. Les enquêteurs ont également évalué auprès des sondés l’idée selon laquelle « le virus du Sida a été créé en laboratoire et testé sur la population africaine avant de se répandre à travers le monde » : 32 % sont en accord avec cette thèse ! Cette dernière séduit notamment les ouvriers (44 %), bien plus largement que les cadres et les professions intellectuelles supérieures (26 %). Ici encore, les titulaires d’un CAP et d’un BEP (45 %) sont bien plus enclins à y prêter foi que ceux disposant des plus hauts niveaux d’étude (17 %). On retrouve en outre la même partition politique, avec des extrêmes de tous bords bien plus sensibles à une telle idée que les autres électeurs.De nombreux éléments favorables à l’émergence de théories complotistes sont ici en présence : la complexité des mécanismes viraux mal appréhendée par la population et le sentiment d’étrangeté vis-à-vis de la maladie contribuent à nourrir des thèses fantaisistes. En outre, l’idée d’une entité supérieure manipulatrice est toujours potentiellement attrayante : elle permet de construire une représentation simpliste du monde, en se donnant le sentiment d’être plus informé que les autres.
Problème de santé publique
Recevant ces résultats édifiants, le journaliste Thomas Huchon, du site Spicee, spécialisé dans la démystification des théories du complot, observe sur Europe 1 concernant la forte adhésion à l’idée d’une conspiration pour cacher la nocivité des vaccins que « Cela devient un problème de santé publique ». Plus généralement, le spécialiste considère que le salut réside sans doute dans l’éducation, ce que suggèrent il est vrai certains résultats concernant les personnes les plus enclines à faire leurs les idées les plus incongrues. Néanmoins, le poids des convictions politiques (et parfois religieuses) ne doit pas également être minimisé ; même si en la matière on ne sait si le fait d'adhérer aux idées d'un groupe facilite l'accord avec ces thèses ou si c’est l’adhésion aux dites thèses qui oriente vers un groupe politique en particulier.Éducation : un vaccin efficace ?
D’une manière globale, les résultats de l’enquête de la Fondation
Jaurès signalent que « le complotisme est un phénomène social
majeur ». De fait, « Seul un Français sur cinq y semble
hermétique », en ne prêtant foi à aucune des thèses
complotistes les plus fréquemment relayées dans les médias et sur
la toile. On constate par ailleurs que « les jeunes sont
nettement plus perméables aux théories du complot, sauf certaines
d’entre elles, portant par exemple sur le réchauffement climatique
ou l’immigration ». De telles observations ne manquent pas d’être inquiétantes, sauf à espérer que l’éducation puisse effectivement, comme certains l'estiment, être un vaccin prometteur contre les théories du complot.
Résultats détaillés de l’enquête de l’Institut Jaurés : https://jean-jaures.org/sites/default/files/redac/commun/productions/2018/0108/115158_-_rapport_02.01.2017.pdf
Aurélie Haroche