
Un travail titanesque et délicat
Le ministre de la Santé, Agnès Buzyn, semble parfaitement consciente de ce sentiment d’épuisement et de la nécessité d’une véritable refonte du système. A plusieurs reprises ces derniers mois, elle s’est en effet exprimée dans ce sens. « Il faut arrêter d’obliger les hôpitaux à penser comme une entreprise qui doit faire du chiffre » lançait-elle fin octobre invitée de l’émission le Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro. La semaine dernière sur Europe 1, elle se montrait plus précise (sans cependant pouvoir l’être suffisamment). Elle soulignait ainsi l’urgence « d’inventer un nouveau modèle de financement de l’hôpital » afin qu’il ne s’agisse plus « uniquement » d’un « financement qui pousse à une activité démesurée (…). Il faut qu’on valorise la compétence particulière des hôpitaux, l’enseignement, la recherche, la capacité à faire de la bonne médecine, la qualité des soins » insistait celle dont une grande partie de la carrière s’est déroulée à l’hôpital public. Néanmoins, le ministre invitait à comprendre qu’il s’agit d’une réforme technique très complexe. Mais, pour l’heure, les pistes sont restreintes. « Quand je suis arrivé dans mon ministère, aucun modèle alternatif n’avait été travaillé » a-t-elle en effet fait valoir. « Or le système de financement actuel a été construit sur plusieurs années, vous imaginez donc l’ampleur de la tâche ». Parmi les écueils à éviter, le retour au système précédent est inenvisageable. De l’aveu même de ceux qui dénoncent régulièrement les effets pervers et l’absurdité de la T2A, cette dernière a en effet cependant eu le mérite, pour la première fois, « d’introduire de la médecine dans la tarification hospitalière » comme nous le confiait le professeur Alfred Spira (conseiller de Benoît Hamon) pendant la campagne présidentielle. Il serait sans doute dangereux de rompre totalement avec cette philosophie.Urgence
S’ils ne minimisent pas l’étendue de la mission, les soignants hospitaliers considèrent aujourd’hui que l’état actuel de nombre d’hôpitaux impose des réponses rapides. C’est le sens d’une pétition publiée aujourd’hui par Libération initiée par les professeurs André Grimaldi, Jean-Paul Vernant et le docteur Anne Gervais, déjà signée par plus d’un millier de professionnels de santé qui au-delà des appartenances politiques et syndicales partagent le même constat, la même inquiétude. Le texte dénonce tout d’abord la « nouvelle cure de rigueur budgétaire de 1,6 milliard (…) imposé à l’hôpital ». Un tel contexte contraint les hôpitaux à « augmenter sans cesse leur activité tout en réduisant le nombre de leurs personnels. Ce "toujours plus avec toujours moins" entraîne une dégradation des conditions de travail, provoquant épuisement et démotivation des soignants et en conséquence, une baisse de la qualité des soins » décrivent les signataires. Aussi, ces derniers listent cinq priorités à l’attention du gouvernement. D’abord, restreindre la T2A « aux soins standardisés et programmés ». Puis, « assurer une stabilité des tarifs correspondant aux coûts réels ».Concernant les soins non programmés, ils devront être financés de manière globale grâce notamment à une « dotation annuelle en fonction de l’activité ». Concernant le nombre de personnels, les auteurs de la tribune invitent à « maintenir dans chaque unité de soin un taux de soignants présents permettant de garantir la sécurité des patients et la qualité des soins. A chaque fois que ces conditions ne sont pas remplies, il faut pouvoir réduire l’activité sans que cela n’entraîne de suppression automatique de personnels ». Enfin, le texte estime que les regroupements doivent répondre avec pertinence aux besoins de santé des territoires concernés.
Quasi-unanimité
Si les prescriptions ne sont guère surprenantes, la dynamique de ce mouvement témoigne du point de non-retour atteint aujourd’hui dans les établissements hospitaliers et de la volonté des soignants d’être des acteurs à part entière de la réforme. De fait, beaucoup d’entre eux, comme le signale André Grimaldi peuvent être force de propositions pour faire évoluer la situation. Il faut dire que le diagnostic est quasiment unanime. On le retrouve par exemple ces derniers jours sous la plume du chirurgien Guy Vallancien qui considère à propos de l’activité chirurgicale que « tant que les professionnels et les établissements de soins où ils exercent seront payés à l’acte ou au séjour, l’inflation de prescriptions sans utilité réelle perdurera, voire s’amplifiera ». Quant au point de vue des directeurs hospitaliers, il épouse souvent celui des professionnels de santé. A Lorient, cité, par Ouest-France, le directeur général du Groupe hospitalier Bretagne Sud (GHBS) constate : « Le modèle de financement de l’hôpital est à bout de souffle. Il y a donc urgence à le réformer ». Il remarque encore que la tarification à l’activité n’est pas adaptée « dans sa forme actuelle, à la complexité de l’activité médicale ».Plus que jamais, le plan d’Agnès Buzyn est espéré.
Aurélie Haroche