
Le vapotage serait donc en théorie moins dangereux que le tabagisme chronique dans ses formes classiques, mais force est de constater que le recul est insuffisant pour connaître avec précision le rapport bénéfice/risque de cette pratique récente et son impact global sur la santé publique. Dans ce contexte, le débat sur les dangers potentiels de la cigarette électronique fait rage et une étude récemment publiée dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) vient opportunément l’alimenter.
Expériences sur des souris et des cellules humaines in vitro
Il faut tout de suite préciser que les résultats émanent de tests effectués sur des animaux de laboratoire et des cellules humaines in vitro. En premier lieu, des souris ont vapoté pendant 12 semaines, la vapeur utilisée contenant des taux élevés de nicotine : en quantité, l’exposition expérimentale correspondrait à dix ans de vapotage chez l’humain, aux doses de nicotine habituellement consommées, ce qui incite à une interprétation prudente de résultats plutôt inquiétants. De fait, par rapport à un groupe de souris témoins qui ont respiré de l’air filtré, les souris vapoteuses se sont distinguées par des lésions de l’ADN au sein de cellules provenant des poumons, de la vessie ou encore du cœur. Plus précisément, des agent mutagènes bien connus ont été identifiés dans ces cellules : il s’agit notamment des 06-méthyldéoxyguanosines et γ-hydroxy-1,N2-propano-déoxyguanosines.Par ailleurs, les mécanismes de réparation cellulaires de l’ADN étaient parallèlement altérés et il allait de même pour les protéines impliquées dans ces processus au sein des cellules pulmonaires, en l’occurrence XPC et OGG1/2. La démonstration ne s’arrête pas là, car des cellules épithéliales bronchiques et urothéliales humaines cultivées et exposées in vitro à la nicotine et à un de ses dérivés cancérigènes, la nitrosamine, ont également subi des dommages. Il s’est agi notamment de taux plus élevés de mutations de l’ADN, exposant potentiellement et théoriquement à la survenue de tumeurs malignes, comparativement à des cellules témoins.
Tout est poison, rien n’est poison, c’est la dose qui fait le poison
Les auteurs de cette étude expérimentale concluent que « chez les fumeurs de cigarette électronique, comparativement aux non-fumeurs, le risque de développer un cancer du poumon ou de la vessie, voire une maladie cardiaque, pourrait être plus élevé, soulignant ainsi que ces résultats ne peuvent nourrir que des hypothèses ». De facto, la vapeur inhalée du fait de la présence de nicotine et de nitrosamines (ou autres toxiques) serait à même de provoquer des lésions de l’ADN et d’altérer les mécanismes de réparation de ces dernières. Pour démontrer la toxicité ou les dangers d’une pratique, la démarche expérimentale utilisée par les auteurs est une étape nécessaire, mais, compte tenu de la complexité des pathologies humaines, notamment de la cancérogenèse chez le sujet vivant, elle n’est en aucun cas suffisante pour être concluante. La démonstration ou plutôt l’expérimentation s’appuie sur les effets délétères des nitrosamines en termes de cancérogenèse, mais il n’y a là rien de nouveau, car ces substances sont considérées de longue date comme telles par l’OMS. Les nitrosamines abondent dans la fumée de tabac et dans certaines gommes à mâcher riches en nicotine, où leurs concentrations atteignent parfois dix fois celles du liquide de vapotage. Dans toute cette approche, n’apparaît pas clairement la notion de dose. Or, comme l’écrivait le philosophe et alchimiste Paracelse : « tout est poison, rien n’est poison, c’est la dose qui fait le poison ».Les faits expérimentaux sont une chose établie dans un modèle ou un contexte précis, in vitro ou in vivo. Ils doivent être répliqués pour être admis, mais même dans ce cas, il y a loin de la souris et de la culture cellulaire à l’humain vapoteur, en sachant que la dose et les conditions d’exposition aux poisons et toxiques contribuent largement à cet éloignement qui a toujours existé depuis l’avènement de la biologie et de la pathologie expérimentale. Il s’agit là des fondamentaux de la recherche biologique et clinique qui s’appuie en partie sur les résultats de laboratoire, quand cela est nécessaire, ce qui est effectivement le cas pour le vapotage actuellement dans le collimateur de nombreuses parties prenantes, pour des raisons diverses et variées.
La moindre des choses est de préciser la composition du liquide des cigarettes électroniques
Les études qui permettent de conclure à la réalité des effets toxiques de cette pratique sont loin d’être convaincantes, alors que le vapotage pourrait constituer une alternative au tabagisme chronique dont les méfaits ne sont plus à démontrer. A long terme, il n’est pas établi que le vapotage mette à l’abri du tabagisme : chez l’adulte, ce serait un moyen pour freiner sur le tabac, mais chez le sujet jeune, rien n’est moins sûr, car ce serait une étape vers le tabagisme, au travers de l’addiction induite par la nicotine présente dans la cigarette électronique. En bref, la situation est confuse et en termes de santé publique, aucune donnée ne permet de conclure à l’impact bénéfique de cette pratique, notamment sur le long terme, en sachant que, dans certains pays, le vapotage flambe : c’est le cas aux États-Unis, chez les adolescents en particulier. Par ailleurs, ¾ des vapoteurs adultes en France sont aussi des fumeurs. Bref, pas de petit nuage rose en perspective.Cet état des lieux laisse rêveur, indépendamment de la publication des résultats expérimentaux des PNAS. Tout ce que l’on peut suggérer, c’est de voir la cigarette électronique non comme une panacée, mais comme un moyen pour échapper au tabac, dont l’efficacité et les risques sont encore quelque peu imprécis, mais probablement exagérés, jusqu’à preuve du contraire. Il est clair que la composition du liquide vendu aux fins de vapotage doit être connue, c’est la moindre des choses, mais dans nombre de cas, c’est l’opacité au moins relative qui domine surtout avec les produits commandés sur Internet. La cigarette électronique est un pis-aller dans le contexte actuel et… dans l’attente d’études qui emporteront vraiment la conviction sur son véritable rapport bénéfice/risque, à tous les stades de son utilisation.
La polémique a tout lieu de se poursuivre…un certain temps, car c’est bien à des études épidémiologiques qu’il faudra recourir, par exemple de type cas-témoins pour progresser, idéalement à des études longitudinales pour conclure…dans la mesure du possible. En attendant, prière de ne pas fumer et de ne pas mâcher n’importe quoi pour échapper à la cigarette non électronique qui reste tout de même l’ennemi public numéro un.
Dr Philippe Tellier