Remonter à la source

Paris, le samedi 3 mars 2018 – Les héritiers des Vikings ont dû probablement avoir un instant de réticence en recevant sa demande d’être intégré à leur groupe. L’homme détonne, mais sa détermination finit par convaincre. Et toute période belliqueuse impose de se défaire de certains réflexes archaïques. Les héritiers des Vikings n’auront pas été déçus. Le soldat aura été fidèle et efficace dans ces batailles menées auprès des armées napoléoniennes. Ce n’était pas seulement sa silhouette particulière, ses cheveux noirs et crépus qui faisaient alors sa notoriété mais avant tout sa force et son courage. Pour Hans Jonatan ces combats étaient les premiers instants de liberté. Mais il dut malheureusement se résoudre à accepter que cette liberté ne lui serait pas longtemps accordée en dehors des champs de bataille et que la reconnaissance dont il avait pu bénéficier face aux armées ennemis n’aurait que peu de poids face à la détermination des juges et aux réflexes archaïques. Il faudra alors fuir.

Fruit d’un amour défendu

La vie d’Hans Jonatan est ainsi une fuite incessante. Il voit le jour en 1784 sur l’île antillaise de Sainte-Croix, devenue en 1733 une colonie danoise, après qu’elle a été rachetée à la France. C’est dans une plantation située sur la colline de la Constitution que sa mère Emilia Regina lui donne naissance. Un mystère plane sur cette arrivée au monde. Beaucoup chuchotent qu’Hans, dont les traits évoquent une telle généalogie, n’est pas le fils d’Andreas, le compagnon d’Emilia dont elle aura une fille Anna-Maria. L’enfant serait le fils du propriétaire danois de la plantation, Heinrich Schimmelmann et de son esclave. 

La guerre plutôt que l'esclavage

Est-ce pour cette raison qu’au moment de quitter Sainte-Croix, quand la plantation s’avéra moins intéressante économiquement, Heinrich Schimmelmann décida d’emmener avec lui Emilia Regina et plus tard d’organiser le voyage du fils de cette dernière ? Les informations collectées, notamment par l’auteur islandais Gisli Palsson, n’ont pas permis de le confirmer avec certitude. Ce qui est certain c’est que Hans refusa d’être considéré comme la propriété de la veuve d’Heinrich quand celui-ci mourut et choisit, âgé de dix-sept ans, de s’enfuir. C’est à cette époque, en 1802, qu’il rejoint la marine danoise engagée dans les guerres napoléoniennes. Et qu’il se convainc qu’il n’acceptera plus jamais de redevenir l’esclave d’un autre homme.

Interdit au Danemark, mais pas dans ses colonies

Son engagement militaire ne lui permet cependant pas d’échapper à des poursuites judiciaires. Les discussions juridiques sont alors longues et complexes. Son avocat parvint notamment à faire admettre au tribunal qu’Hans ne pouvait être considéré comme un esclave au Danemark où cette pratique était interdite. Si cette argumentation sut trouver un écho favorable, elle n’empêcha pas le juge d’imposer qu’Hans soit renvoyé aux Antilles, où une législation d’exception concernant la traite était en vigueur. Les perspectives d’Hans semblaient bien sombres : un bateau devait le renvoyer jusqu’aux plantations afin qu’il y soit asservi comme avant lui sa mère et ses oncles. Hans Jonatan se révolte : il échappe à la vigilance de ses geôliers et s’évade. Ce sera l’exil, en Islande. Sur cette terre nouvelle, Hans Jonatan découvre une société très différente de la noblesse danoise étriquée. Il parvient notamment sans difficulté à être intégré parmi les Islandais dont la plupart vivent avec simplicité. Il fait notamment la connaissance de Katrin Antoniusdottir qu’il épouse et qui met au monde trois enfants, dont deux ont survécu jusqu’à l’âge adulte. Après avoir été fermier et guide pour le cartographe norvégien Hans Frisak, Hans Jonatan meurt en 1827.

Jurassic Park

Sa vie d’aventures et son émancipation avaient déjà fasciné un grand nombre d’historiens et de sociologues. Mais aujourd’hui, Hans Jonatan est aussi devenu un symbole de la génétique du 21ème siècle. Il est en effet le premier homme dont une partie du génome a pu être reconstituée sans recours à aucune de ses cellules : aucun fragment d’os, de peau ou de cheveu n’a été nécessaire. Cet exploit a été rendue possible d’une part par la spécificité d’Hans Jonatan. L’extrême rareté de composantes génétiques africaines dans une population islandaise marquée par sa grande homogénéité ont en effet été un élément important. Surtout, la base deCode qui recense virtuellement tous les islandais nés aux 20ème et 21ème siècles (et 95 % de ceux nés depuis 1700) et qui détaille toutes leurs relations familiales a offert un matériau de base unique. Elle a permis d’identifier 788 descendants d’Hans Jonatan. Une puce à polymorphisme nucléotidique a été utilisée chez 182 d’entre eux afin d’isoler les variations génétiques de leurs empreintes biologiques. Les différentes analyses conduites ont finalement permis de reconstituer 38 % du génome de sa mère (et donc 19 % du sein). Ces résultats inédits ont conduit à déterminer qu’Emilia ou ses parents avaient probablement été achetés comme esclave sur la côte ouest Africaine entre 1760 et 1790. Ces conditions particulières ont contribué, relativement "facilement", à « reconstruire le génome d’un ancêtre mort il y a presque 200 ans » constatent les chercheurs. « C’est un peu comme se retrouver dans Jurassic Park » s’est enthousiasmé le professeur Karsten Kristiansen de l’Université de Copenhague en découvrant ces résultats. Voilà de quoi effectivement étoffer encore un peu plus la légende de l’esclave révolté.

Aurélie Haroche

Référence
Anuradha Jagadeesan et coll : Reconstructing an African haploid genome from the 18th century », Nature Genetics, volume 50, pages199–205 (2018) doi:10.1038/s41588-017-0031-6

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