
Clusters
Les chercheurs se heurtent régulièrement à des cas groupés de maladies ou de malformations face auxquelles ils ne peuvent avec certitude distinguer le rôle du hasard, d’un même agent extérieur ou d’une étiologie génétique. Ainsi, ces dernières années, trois "clusters" d’agénésies des membres supérieurs isolées ont été mis en évidence dans différentes localités françaises : trois enfants nés entre 2007 et 2008 dans une même commune de Loire Atlantique, trois autres cas nés entre 2012 et 2014 dans le Morbihan et enfin sept autres nés entre 2009 et 2014 dans un rayon de 17 kilomètres dans l’Ain.Entre un taux normal et 56 fois plus élevé que le nombre attendu !
Les premières divergences d’interprétation peuvent concerner l’écart entre ces données et le nombre de cas attendu. Ainsi, dans l’Ain, l’épidémiologiste Véronique Goulet (programme Santé périnatale de SPF) considère que les chiffres ne sont pas supérieurs aux nombres attendus. Pourtant, Emmanuelle Amar, directrice générale du registre des malformations de Rhône-Alpes (Remera), qui a repéré ce "cluster", assure pour sa part que le taux de malformation est 56 fois plus élevé que la normale. La diversité des méthodes d’analyse expliquerait ces différences marquées.Des registres peut-être imparfaits mais nécessaires
Si de telles divergences signalent très probablement la nécessité d’une harmonisation des protocoles, appliqués notamment par les registres de recensement des malformations, elles ne sauraient signifier l’inutilité de ces registres. Ces derniers, développés au lendemain de la révélation du scandale de la thalidomide, ont au contraire témoigné à plusieurs reprises de leur importance pour la fiabilité de la veille sanitaire. Leurs données ont ainsi notamment pu contribuer à la confirmation du lien entre exposition au valproate de sodium et risque accru de spina bifida et à l’évaluation du nombre d’enfants concernés.Quid du recensement des malformations en Rhône-Alpes ?
Pourtant, ces registres sont des structures parfois fragiles. Le Remera dépend en effet d’une association régie par la loi de 1901 dont les fonds proviennent de la région Auvergne-Rhône-Alpes, de SPF et de l’INSERM. Or, ces trois entités viennent de décider de suspendre leurs subventions signant la mort du Remera. L’INSERM et SPF expliquent la fin de leur participation par la mauvaise qualité des travaux du Remera.Faut-il comprendre qu’une nouvelle expertise sera mise en place pour remplacer la mission essentielle du Remera ou SPF estime-t-il que les cinq autres registres français suffisent pour assurer la veille ?* Mystère sur ce point : les protestations diverses lancées tant par des médecins des Hospices civils de Lyon que par l’ancien député (PS) Gérard-Bapt auprès de la Direction générale de la Santé (DGS) signalées par le Monde n’ont connu pour l’heure aucune réponse.
Lanceuse d’alerte ?
Pour certains observateurs, dont le journaliste du Monde,
Stéphane Foucart, il ne fait aucun doute que les divergences
d’interprétation entre Emmanuelle Amar et les autres experts de
SPF, concernant entre autres les cas groupés d’agénésie des membres
supérieurs de l’Ain et au-delà la personnalité d’Emmanuelle Amar
sont à l’origine de cette situation. Le journaliste scientifique
veut en effet croire qu’il s’agit ici d’empêcher une "lanceuse
d’alerte" de poursuivre son travail. Des échanges de mails cités
par le Monde signaleraient le mécontentement des autorités face à
la médiatisation par Emmanuelle Amar des cas de l’Ain. Le reportage
diffusé hier soir par France 2, jouant sur l’émotion en présentant
notamment le cas du jeune Ryan né sans main droite il y a huit ans,
ne devrait guère contribuer à réchauffer les rapports entre la
scientifique et SPF et l’Inserm. Mais peut-être conduira-t-il le
ministère de la Santé à sortir de son silence et à s’exprimer sur
l’avenir du recensement des malformations congénitales en
Rhône-Alpes et au-delà en France, tant le domaine semble nécessiter
une refonte.
Concernant les enfants de l'Ain, les investigations
complémentaires n'ont pas permis pour l'heure d'identifier de cause
commune potentielle (mais la piste de certaines substances
utilisées dans l'agriculture est étudiée).
*Le JIM a interrogé SPF sur ce point et attend sa
réponse.
Aurélie Haroche