La dépression péri-natale est un trouble dépressif survenant
durant la grossesse ou après la naissance. Elle affecte plus d’une
femme sur sept et constitue une des pathologies les plus souvent
observées durant cette période. Elle peut avoir des conséquences
graves, tant chez la mère que chez l’enfant. De nombreux facteurs
de risque ont été décrits : histoire personnelle ou familiale de
syndrome dépressif, violences physiques ou sexuelles, événements de
vie stressants, grossesse non programmée et/ou non désirée, diabète
préalable ou gestationnel, complications durant la grossesse telles
qu’accouchement avant terme ou perte fœtale. Peuvent également
intervenir un bas statut socio-économique, une perte de support
social ou financier, une parentalité durant l’adolescence.
Le dépistage des femmes à risque est difficile
Il n’existe pas toutefois, à ce jour, d’outil prédictif
fiable pour un dépistage précoce des femmes les plus fragiles qui
pourraient alors bénéficier de mesures préventives. Une approche
pragmatique et l’analyse de la littérature médicale tendent
cependant à faire proposer des interventions de conseil ciblant les
femmes présentant des antécédents ou des troubles dépressifs, des
facteurs de risque socio-économiques, des troubles mentaux à type
de symptomatologie anxieuse ou ayant subi des événements de vie
très éprouvants. Les interventions de conseil incluent
essentiellement des thérapies cognitivo-comportementales (TCC) et
interpersonnelles. Les premières sont centrées sur le fait que des
changements positifs de l’humeur et le comportement sont à même de
combattre les pensées, les opinions et les attitudes négatives et à
augmenter, a contrario, les pensées et activités positives. Elles
incluent l’éducation de la patiente, la fixation d’objectifs, la
façon d’identifier et de combattre les pensées et les comportements
malsains. Les thérapies interpersonnelles sont axées sur la prise
en charge des problèmes relationnels contribuant aux désordres
psychologiques. Elles utilisent, dans ce but, des questions
exploratoires, des jeux de rôle, d’analyse de décision et de
communication. Les interventions possibles sont variables dans leur
forme et leur intensité et dans les populations ciblées.
Place à la thérapie cognitivo comportementale et
interpersonnelle
La majorité des traitements retenus est débutée durant le
2e trimestre de grossesse. Une session
thérapeutique peut comporter 4 à 20 réunions, avec une moyenne de
8, s’étalant sur 4 à 70 semaines. Ces dernières peuvent se tenir en
groupe ou en individuel, les intervenants pouvant être des
psychologues, des sages-femmes, des infirmières ou d’autres
professionnels de santé. Un des exemples en est le programme «
Mothers and Babies » qui associe 6 à 12 réunions de 1 à 2
heures durant la grossesse, suivies de 2 à 5 dans le post partum.
Il comporte des séances de thérapie comportementale axées sur les
effets physiologiques du stress, sur la façon de combattre les
anomalies cognitives et les pensées automatiques, sur l’importance
des relations sociales et de l’attachement positif mère-enfant et
sur les stratégies familiales garantissant un développement
sécurisant du nouveau-né. Un autre exemple est le programme ROSE
(Reach Out, Strand Strong, Essential for New Mothers) qui
est une approche interpersonnelle associant 4 à 5 réunions de
groupe pré natales, puis un entretien individuel dans le post
partum.
A côté de ces actions cognitivo-comportementales et
interpersonnelles, d’autres peuvent aussi se révéler bénéfiques
telles l’activité physique, l’éducation du sommeil du nouveau-né,
l’amélioration des systèmes de santé ou de l’accès aux soins des
spécialistes mais les preuves les concernant sont faibles ou
inexistantes, tout comme l’analyse du rapport bénéfices/ risques
des anti dépresseurs. En dernier lieu, l’apport de sélénium ou de
vitamine D pourrait être utile.
Ne pas confondre avec le baby blues
Au total, la dépression périnatale associe une perte d’intérêt
et de vitalité, une humeur dépressive durant au moins 2 semaines de
suite, des troubles du sommeil et de l’alimentation, des
difficultés de concentration, des sentiments d’inutilité et des
idées suicidaires récurrentes. Ce syndrome ne doit pas être
confondu avec le « Baby Blues », moins sévère, avec troubles
transitoires de l’humeur, qui disparait en régle générale, dans les
10 jours suivant la délivrance. Aux USA, la prévalence de la
dépression périnatale varierait de 8,9 à 37 %, fonction de l’âge,
de l’origine ethnique et d’autres facteurs socio-démographiques.
Cette affection majore le risque de suicide maternel et de
mutilations chez l’enfant. Les mères ont davantage de pensées
négatives et de distanciation envers leur nouveau-né. La survenue
d’une dépression périnatale majore, en outre, le risque de
naissance avant terme, de petit poids à la naissance avec âge
gestationnel réduit. L’allaitement est très rapidement arrêté.
L’enfant peut présenter, par la suite, des troubles de la cognition
ou du développement émotionnel, avec risque majeur de troubles
psychiatriques ultérieurs.
La TCC plus efficace et moins dangereuse que les
antidépresseurs
Pour sa revue, l’USPSTF (US Preventive Services Task
Force) a analysé 50 études, de qualité bonne ou moyenne, 26/50
(52 %) ciblant les femmes enceintes, 22 (44 %) autres des femmes en
post partum, les 2 dernières étant composites. L’âge moyen des
participantes était de 28,6 ans. Elles étaient le plus souvent
d’origine blanche non hispanique et présentaient des antécédents
dépressifs ; 26 % avaient des difficultés économiques. Vingt essais
(n = 4 107) ont porté sur des interventions de conseil, avec
approche cognitivo-comportementale ou interpersonnelle ; 75 % ont
été réalisés en groupe et/ou en individuel (56 %). Ces
interventions ont été associées à une réduction de 39 % de la
probabilité de survenue d’une dépression péri-natale (soit un
risque relatif moyen à 0,61 ; intervalle de confiance à 95 % [IC] :
0,47- 0,78). Le nombre nécessaire de patientes à traiter est donc
de 13,5 (IC : 9,9- 23,9). Les approches comportementales et
interpersonnelles ont donné, dans l’ensemble, des résultats
similaires en matière préventive. Leur impact a été plus marqué
chez les femmes à haut risque de dépression vs celles de
degré moindre (réduction du risque de 45 vs 21 %).
Trois études (n = 5 321) ont examiné le rôle du système de
santé (participation d’infirmières ou de sages-femmes, visites à
domicile…) avec, là encore, un impact positif (risque relatif entre
0,33 et 0,71). Trois autres se sont penchées sur l’amélioration du
sommeil du nouveau-né, avec des résultats variables. Quatre ont
porté sur une chimio prévention par sertaline (n = 22),
nortryptiline (n = 58) ou acide gras oméga 3 (n = 219). On note une
diminution de la symptomatologie dépressive sous sertaline mais
aucun effet préventif de la nortryptiline ou des oméga 3. Par
contre sont plus souvent observés des effets secondaires avec la
nortryptiline (constipation) et avec la sertaline (vertiges,
somnolence) alors même qu’aucune des interventions de conseil
n’avait été associée à des effets délétères.
Ainsi, l’USPSTF confirme, avec un degré modéré de certitude, que la
mise en œuvre d’actions de thérapie cognitivo-comportementale et
interpersonnelles sont efficaces dans la prévention de la
dépression périnatale, notamment chez les femmes à haut risque,
avec symptomatologie dépressive préexistante ou difficultés
socio-économiques, tant durant la grossesse que dans le postpartum
(recommandation de type B). Elle précise que ces interventions ont
une dangerosité potentielle très faible, voire inexistante. Elle
reconnait toutefois qu’en pratique de tous les jours, peuvent
exister des freins ou des difficultés d’accès aux services de santé
mentale.
En terme de prévention de la dépression et de la rechute dépressive, les TCC de 3ème vague présentent aussi un intérêt et sont peut-être plus motivantes pour les femmes. En effet la Préparation à la naissance et à la parentalité basée sur la Pleine Conscience (Mindfulness) associe les thématiques de stress périnatal/dépression avec pratiques de méditation en cours et à domicile, et thématiques en lien à "grossesse/accouchement/post-partum/soins et rythmes du nouveau-né". Cette articulation permet aussi des actions d'éducation à la santé en terme d'alimentation, d'activité physiques et de sommeil. Plusieurs recherches qualitatives ont montré l’intérêt de ces interventions dans la période périnatale, ce qui est encore insuffisant bien entendu. Par contre dans une population générale leur efficacité a été parfaitement démontrée. Ces interventions peuvent être données par des sages-femmes formées et sont ainsi accessibles à un plus grand nombre. C'est ce que nous proposons dans notre établissement.
Anne Gendre, Maitre d'enseignement et sage-femme, Haute école de santé de Genève