
L’environnement visuel quotidien d’un fumeur peut l’inciter à
fumer et à mettre en péril ses tentatives de sevrage. Il est vrai
que chaque fumeur a ses endroits de prédilection pour s’adonner à
son addiction. Il y a un cadre optimal pour cela, un décor, une
ambiance avec des objets ou des images, source d’inspiration,
indépendamment des cigarettes, des briquets ou de tous les autres
instruments requis par la pratique du tabagisme. L’activation du
cortex insulaire sous l’effet de tels stimuli visuels est ainsi
susceptible de déclencher la prise d’une cigarette. L’exposition
réitérée à ces environnements plus ou moins spécifiques est donc à
éviter chez les fumeurs et, d’une façon générale, en cas
d’addiction. Téléphones mobiles, appareils photos et caméras
permettent désormais de filmer tous les environnements, y compris
ceux qui incitent à fumer. Le recueil de ces images en temps réel
et leur confrontation à une base d’images déjà étiquetées
pourraient indiquer à un fumeur qu’il est en danger de succomber à
son addiction au moyen d’un signal ad hoc.
Le concept JITAI et les nouvelles technologies
Cette démarche s’inscrit dans un concept anglosaxon intitulé
JITAI (just-in-time adaptive intervention) et utilisé avec
succès dans le sevrage tabagique. L’apprentissage profond ou deep
learning est une forme d’intelligence artificielle (IA) où la
machine, en fait un réseau de neurones, est apte à apprendre par
elle-même, sans qu’il y ait besoin de la programmer à cette fin.
Les progrès accomplis dans cette technique permettent d’analyser
les images de l’environnement et de les intégrer dans un protocole
du type JITAI. Les réseaux neuronaux, dits convolutifs, les plus
efficients – ceux qui ont besoin d’un minimum de paramètres pour
fonctionner - sont, à cet égard, précieux car ils permettent un
traitement rapide des images de l’environnement quotidien
via un smartphone : leur analyse en temps réel donne accès à
des variables prédictives du risque de céder compulsivement à
l’attrait de la cigarette. Pour illustrer ce propos, il a été
demandé à 169 fumeurs américains de photographier les
environnements quotidiens où il leur est donné de fumer, en prenant
soin d’exclure tous les objets visibles à caractère incitatif,
qu’il s’agisse de cigarettes, de briquets ou de cendriers. La
seconde partie de leur mission a consisté à photographier les
endroits quotidiens où il ne leur arrivait jamais de
fumer.
Les 4 902 photos ainsi prises ont été utilisées pour
alimenter les réseaux neuronaux de deep learning et leur
permettre d’associer les images à la probabilité de fumer. Les
valeurs obtenues ont permis d’évaluer le potentiel incitatif
d’environnements nouveaux et l’incidence de ces estimations sur les
comportements individuels. Les photos ont été réparties en deux
groupes selon qu’elles étaient (n = 2 457) ou non (n = 2 445)
associées à la consommation de cigarettes. Les performances de l’IA
ont été déterminées par rapport à l’avis de quatre experts du
sevrage tabagique.
Des photos bien utiles
Sur les 169 participants, 106 (62,7 %) étaient originaires de
Durham (femmes : 50 % ; âge moyen : 41,4 ± 12 ans et 63 (37,3 %) de
Pittsburgh (femmes : 51,7 % ; âge moyen : 35,2 ± 13,8 ans). La
majorité des photos a été prise à Durham, soit 3 386 et les 1 516
autres à Pittsburg (24,1 ± 0,5 par participant). Le modèle final
combinant IA et régression logistique multiple a permis de séparer
les images propices à l’acte de fumer des autres de manière très
satisfaisante, l’AUC étant en effet estimée à 0,840 ± 0,024 et
l’exactitude à 76,5 ± 1,6 %.
Un modèle n’utilisant que les images des participants de
Durham pour s’entraîner a correctement classé les images prises à
Pittsburg et inversement, ce qui plaide en faveur d’une
généralisation réussie d’une région géographique à l’autre. Un seul
expert a été significativement plus performant que la machine. Par
ailleurs, une excellente corrélation a été établie entre les
prédictions du modèle et les déclarations des fumeurs sur les lieux
les incitant le plus à fumer (ρ = 0,894 ; p= 0,003).
Dr Philippe Tellier