Exclusif : seul un tiers des professionnels souhaite le maintien de l’AME en l'état
Paris, le mardi 5 novembre 2019 – Soigner les patients d’où
qu’ils viennent et sans se préoccuper de leur niveau de ressources.
Fidèles au serment qu’ils ont prononcé, les médecins français sont
nombreux à être satisfaits de pouvoir vivre et exercer dans un pays
ayant mis en place des dispositifs qui permettent le respect des
préceptes d’Hippocrate, à travers (par exemple) de l’Aide médicale
d’État (AME). Cependant, parallèlement, face à certaines situations
limites dont ils sont directement les témoins où dont ils ont eu
écho, et alors que le système de santé souffre de difficultés
financières, certains praticiens seraient de plus en plus nombreux
à émettre des réserves sur l'AME. Ainsi, alors que de nombreux
hôpitaux accueillent des patients ne relevant pas encore
officiellement de l’AME, ce qui interdit tout espoir de
remboursement « leur séjour constitue une dette irrécouvrable, à
la charge de l’hôpital » expliquait il y a quelques semaines
dans le Figaro le cadre d’un établissement parisien. « Lorsqu’on
sait qu’il nous manque des centaines d’infirmiers (…) ce gâchis est
rageant » constatait un chirurgien dans le même
article.
Sondage réalisé sur JIM du 22 septembre au 7
octobre 2019
Des positions très contrastées
Ces dilemmes, tant éthiques qu’économiques, expliquent sans
doute les résultats du sondage réalisé sur notre site du 22
septembre au 6 octobre. Cette enquête met en évidence que seul un
peu plus d’un tiers des professionnels de santé (32 % sur 529) est
favorable au maintien de l’AME sous sa forme actuelle. Ainsi, la
majorité des personnes ayant participé au sondage soutiendraient
une réforme de ce dispositif, qu’il s’agisse d’une limitation du
panier de soins (14 %), d’une suppression hors urgences, maladies
contagieuses et grossesse (28 %), voire même d’une suppression hors
urgences (24 %), tandis que 3 % n’ont pas souhaité se prononcer (ce
qui peut signifier qu’ils plébisciteraient une autre évolution,
voire une suppression pure et simple qui n'est signalons le
proposée par aucun parti politique).
Contre-productif d’un point de vue économique
Soucieux de répondre à ces attentes qui ne s’expriment pas
uniquement chez les professionnels de santé et en dépit des
nombreux problèmes éthiques soulevés, le gouvernement a décidé de
s’engager dans une réforme de l’accès aux soins des étrangers en
situation irrégulière. Le ministre de la Santé s’est cependant
plusieurs fois opposé à une limitation de l’AME, notamment du
panier de soins, soulignant les effets potentiellement
contre-productifs d’une telle mesure. Comme le rappelaient dans Le
Monde plusieurs démographes, sociologues et épidémiologistes, de
nombreux travaux, de l’enquête Parcours en ce qui concerne le VIH à
la cohorte PreCARE dédiée aux risques de morbidité maternelle et
périnatale, « ont clairement établi que l’accès à une couverture
maladie est un des déterminants majeurs de l’accès aux soins pour
ces personnes, soumises à des risques de santé importants en raison
de leurs parcours de migration et de leurs conditions de vie sur le
territoire ». Les recherches signalent également que « l’AME
est fondamentale pour la réduction des risques et des coûts de
santé publique. L’accès aux soins primaires pour tous est
"coût-efficace" pour le système de santé : elle favorise le
diagnostic et la prise en charge précoce des maladies, notamment
infectieuses, comme la tuberculose, le VIH ou l’hépatite B, ainsi
que des pathologies de la grossesse susceptibles d’évoluer vers des
maladies graves responsables de prématurité et de handicap pour les
enfants à naître ». C’est ce discours que le ministre de la
Santé Agnès Buzyn a tenu la semaine dernière devant la commission
des affaires sociales de l’Assemblée nationale, rappelant également
que « seulement 12 % des personnes qui y ont droit demandent
l’AME la première année ». Aussi, est-elle farouchement hostile
à toute réduction concernant les soins urgents, à l’augmentation de
la participation financière ou encore à une limitation des paniers
de soins.
Dévoiement des visas touristiques
Matignon et l’Elysée l’ont partiellement entendu, renonçant
notamment à l’idée première d’une refonte du panier de soins, même
si dans les mesures qui seront annoncées par Edouard Philippe
figurera pour quelques actes programmés (prothèses, chirurgies non
urgentes…), l’obligation d’un accord préalable de la Sécurité
sociale. S’il n’y aura pas d’entrave aux soins urgents, le
gouvernement entend cependant viser ceux qui après avoir vu leur
visa de tourisme expiré, demeurent illégalement en France et
bénéficient alors de l’AME. « Des éléments laissent penser que
certaines personnes arrivées en France avec un visa touristique
restent sur le territoire après son expiration, juste le temps
qu’il faut pour se faire soigner gratuitement, puis ils repartent
dans leur pays d’origine » explique-t-on à Matignon. Pour lutter
contre ce type de fraude, dont la quantification reste difficile,
le Premier ministre devrait annoncer la mise en place d’un délai de
carence de trois mois pour les demandeurs d’asile qui relèvent pour
leur part de la protection maladie universelle (PUMA). D’autres
dispositifs pourraient être envisagés comme le croisement des visas
de tourisme avec celui des bénéficiaires de l’AME.
Une quantification complexe à obtenir
Parallèlement à ces mesures, le ministre de la Santé pourrait
obtenir que soit renforcée la prise en charge des migrants dans les
points d’accès aux soins (PAS). Différents élus partagent ce souci.
« Il suffit d’aller voir les camps de migrants pour constater
que ce sont des gens qui n’ont rien, ça me glace de penser qu’on
puisse tous les voir comme des fraudeurs » remarque Albane
Gaillot (député LREM) dont les déclarations signalent bien la
diversité des sensibilités au sein du parti majoritaire. Ces
mesures compensatrices suscitent déjà l’ironie des
associations.
Un collectif composé entre autres de Médecins du Monde et de
Médecins sans frontière dénonçait dans un communiqué commun publié
le 31 octobre : « Un double discours inaudible et dangereux
». Les réticences des opposants à une refonte des dispositifs
d’accès aux soins des étrangers sont d’autant plus fortes que les
preuves des dérives et des abus manquent. Certes, des témoignages
existent comme ceux recueillis par Véronique Prudhomme qui a été
onze ans à la direction financière d’un hôpital public d’Ile de
France dans son livre Vérité sur l’AME, tandis que certains signaux
constituent des alertes (telle la progression des demandes d’asile
provenant de ressortissants de pays ne présentant plus de problèmes
de sécurité majeurs alors que l’immigration régulière est en
baisse). Cependant, le rapport de l’Inspection générale des
affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale des finances
(IFG) commandé par le gouvernement admet qu’il est difficile de
démontrer l’existence de filières en se basant sur des éléments «
quantitatifs ». De la même manière, les deux inspections
remarquent que les risques de fraudes qui existent sont
insuffisants pour mettre en péril l’ensemble du système.
Actuellement nous soignons les personnes déjà rejetées d'un service public défaillant gravement dans certaines régions... Consultations pour Troubles post traumatiques notamment (viols, tortures, décès de proches au cours des migrations..) "honorées" grassement 39,00 € par l'AME (contre 46,40€ pour les autres). Préparons nous à les soigner gratuitement en sachant que ceux d'entre nous qui acceptent en attirent donc plus encore puisque, malgré Hippocrate, d'aucuns les envoient se faire foutre... On ne nous reprendra pas, en tout cas, à voter pour de tels "dirigeants"...
Dr Philippe Carrière
Tout prendre en charge ?
Le 05 novembre 2019
quand je suis sollicitée pour un bilan de chirurgie bariatrique pour une jeune marocaine de 1.65 m et 90 kilos qui avoue en souriant être incapable de stopper les bonbons et qui est bénéficiaire de l'AME, eh bien oui, je m'interroge sur l'AME.
D'avance je m'oppose à ceux qui discuteront que c'est la faute du chirurgien (public) qui ne s'estime pas en droit lui seul, de récuser celui ci ou celui là pour des motifs économiques.
Dr Sophie Chodez
Distinguer ce qui relève de l'AME
Le 10 novembre 2019
En réponse au Dr Chodez, ce qui pose problème c'est la prise en charge de ce genre de "pathologie", pas l'AME. La réflexion devrait porter sur ce qu'on prend en charge ou non d'une façon générale. Si cela parait anormal parce que la personne est sous AME, c'est peut-être bien parce que c'est anormal pour tous.