La pneumonie grippale est une source majeure de morbidité et de
mortalité. Au cours de la saison grippale 2017-2018, près d'un
million de personnes ont été hospitalisées et 80 000 personnes sont
décédées rien qu'aux États-Unis. En ces temps d’inquiétude mondiale
en raison du nouveau coronavirus chinois et de sa déferlante
attendue, fourbissons nos protocoles et tordons éventuellement le
cou à quelques habitudes thérapeutiques. Il a été démontré que les
corticostéroïdes réduisent la morbidité et la mortalité dans les
cas de pneumonie bactérienne d'origine communautaire, mais il n'est
pas certain qu'un avantage similaire puisse être obtenu pour la
pneumonie grippale.
Quid du bénéfice de la corticothérapie chez les patients
présentant une pneumonie grippale ?
Afin de répondre à cette question, les auteurs de cet article ont
effectué des recherches dans PubMed, EMBASE, MEDLINE, le
Cochrane Central Register of Controlled Trials et les bases
de données du Web of Science pour des études publiées entre 1946 et
janvier 2019, sans limitation de type ou de langue de publication.
Deux chercheurs ont examiné indépendamment tous les titres et
résumés des études comparant les corticostéroïdes à un groupe
témoin chez des patients atteints de pneumonie grippale, évaluant
la mortalité, la durée du séjour en soins intensifs, les jours de
ventilation mécanique et les taux d'infection secondaire. Les
études ont été exclues si elles portaient sur des patients âgés de
moins de 18 ans ou si elles avaient été publiées en tant qu'études,
examens ou rapports de cas non contrôlés. Les enquêteurs ont
contacté les auteurs des articles originaux pour toute information
manquante. Les biais ont été évalués à l'aide de l'échelle de
Newcastle-Ottawa, les désaccords étant résolus par consensus. Des
analyses de sous-groupes ont été effectuées en fonction des types
de virus. Le biais de publication a été évalué à l'aide d'un
diagramme en entonnoir.
Dix études (5 études rétrospectives et 5 études prospectives)
englobant 6 548 patients répondaient aux critères d'inclusion avec
2 564 patients ayant reçu des corticostéroïdes et 3 984 n'en ayant
pas eu. Huit études (n = 4 414 patients) ne comprenaient que des
patients atteints de la grippe de type A(H1N1), une étude (n = 288
patients) ne comprenait que des patients atteints de grippe de type
A(H7N9) et une étude (n = 1 846 patients) ne comprenait que des
patients atteints de grippe de type A, B ou C. L'âge moyen des
participants variait de 33 à 53 ans et 41 % à 69 % des patients
étaient des hommes.
De moins bons résultats sous corticothérapie
Dans l'ensemble, l'utilisation de corticostéroïdes a été
associée à une augmentation de la mortalité, à un taux plus élevé
d'infections secondaires et à une durée de séjour plus longue dans
les unités de soins intensifs. Toutes les études ont été jugées de
grande qualité (définie comme un score > 6 sur l'échelle de
Newcastle-Ottawa) et le diagramme en entonnoir n'a montré aucun
signe de biais de publication.
Ces résultats défavorables dans le groupe corticostéroïdes peuvent
être dus à une immunosuppression entraînant une virémie prolongée,
à des taux accrus d'infections secondaires (y compris la pneumonie
bactérienne) ou à des effets indésirables liés aux corticostéroïdes
(par exemple, hyperglycémie, rétention de liquide,
dysrythmies).
De nombreuses limitations mais un message : les
corticoïdes, ce n’est pas automatique
Cette étude comporte les limitations inhérentes à ce genre de
revue de la littérature : caractère rétrospectif des études,
hétérogénéité clinique importante en ce qui concerne l'âge, les
comorbidités ; différences dans le type des corticoïdes utilisés,
dans la dose et la durée entre les études ; majorité des études
n'évaluant que la souche H1N1 avec une seule étude évaluant
plusieurs souches de virus de la grippe ; absence d’essai contrôlé
randomisé ; possibilité que les patients les plus malades aient
reçu des corticostéroïdes, ce qui a pu conduire aux mauvais
résultats dans ce groupe ; peu de données sur les taux
d'utilisation concomitante des antiviraux.
Enfin, cette étude n'a pas évalué spécifiquement ces effets chez
les patients souffrant de troubles respiratoires chroniques (ex :
asthme, BPCO), de sorte que les stéroïdes doivent toujours être
administrés, le cas échéant, en fonction du trouble respiratoire
sous-jacent du patient.
D'après la revue "Prescrire": "Effets secondaires d’un traitement corticoïde de cinq jours (adulte ou enfant)(Celestène, Solupred, Solumédrol, Prednisone, Prednisolone) : Pendant un mois : - le risque d’hospitalisation pour maladie infectieuse grave est multiplié par 5. - le risque de phlébite ou d’embolie pulmonaire est multiplié par 3. - le risque de fracture osseuse est multiplié par 2. - le risque de suicide ou tentative de suicide est multiplié par 7. Puis le risque diminue progressivement pour revenir à la normale trois mois après le traitement." Il est temps de démystifier les corticoïdes qui n'ont AUCUNE INDICATION dans les infections ORL, domaine dans lequel ils sont largement prescrits. Ce ne sont pas des "bonbons pour la gorge", ce sont des grenades!
Dr Jean-Jacques Perret
Corticoïdes et pays en voie de développement
Le 28 janvier 2020
Des chiffres édifiants de dangerosité que nous livre notre collègue ! Sans compter, lors de prescriptions plus longues, les reviviscences de tuberculose et autres. Et si nous parlons des prescriptions dans les pays en voie de développement, ou des achats spontanés en "pharmacie" pour automédication, les corticoïdes sont au premier plan et font partie de quasiment tout traitement, ainsi que n'importe quel antibiotique pour des durées totalement fantaisistes.