
La modélisation mathématique des maladies infectieuses est là pour faire face à cette demande en proposant plusieurs scénarios actuels et futurs applicables à la Chine, mais aussi au reste du monde, en partant du nombre de cas exportés de Wuhan vers d’autres cités limitrophes ou plus distantes, désormais soumises à des mesures de quarantaine.
C’est mathématique…
Le modèle a été alimenté par les données recueillies entre le 31 décembre 2019 et le 28 janvier 2020, concernant le nombre de cas disséminés à l’échelon international (en tenant compte du début des symptômes et de leur durée en jours entre le 25 décembre 2019 et le 19 janvier 2020). Ces cas ont permis de procéder par inférence pour déterminer le nombre d’infections survenues à Wuhan entre le 1er décembre 2019 et le 25 janvier 2020. Le nombre de cas exportés vers les cités chinoises voisines a été ensuite estimé. Ce modèle permet aussi de prévoir la diffusion nationale et globale de l’infection à 2019-nCoV en tenant compte de l’effet de la quarantaine imposée à Wuhan et dans les cités environnantes à partir du 23 et du 24 janvier 2020. Pour évaluer la circulation des personnes, les données concernant les réservations mensuelles de vols nationaux et internationaux ont été obtenues auprès de l’Official Aviation Guide. Pour ce qui est des déplacements individuels dans plus de 300 cités chinoises, les données ont été recueillies au sein de la Tencent database.Les cas confirmés ont été dénombrés à partir des rapports publiés par le Chinese Center for Disease Control and Prevention. Les intervalles des estimations sérielles ont été déterminés à partir des études qui ont porté au début des années 2000 sur le SRAS lié à un autre coronavirus, le SARS-CoV. Le modèle classique du type SEIRM (susceptible-exposed-infectious-recovered metapopulation) a permis de simuler l’épidémie au sein des grandes cités chinoises. Le taux basique de reproduction qui définit le nombre de cas contaminés par un individu infecté a été calculé selon la méthode de Monte Carlo par chaînes de Markov et présenté sous la forme d’une moyenne assortie de son intervalle de crédibilité à 95 % (ICr 95 %).
Les possibilités d’une pandémie
Dans le scénario de base, le taux basique de reproduction a été estimé à 2,68 (ICr 95 % 2,47-2,86) et le nombre "réel" d’individus infectés à Wuhan au 25 janvier 2020 à 75 815 (ICr 95 % 37 304–130 330). Le temps de doublement de l’épidémie, pour sa part, a été calculé à 6,4 jours (ICr 5,8–7,1). Dans ce scénario, le nombre de cas importés à partir de Wuhan dans les cités de Chongqing, Pékin, Shanghai, Guangzhou (Canton) et Shenzhen serait respectivement de 461 (ICr 227–805), 113 (57–193), 98 (49–168), 111 (56–191) et 80 (40–139). Dans l’hypothèse où la transmissibilité de 2019-nCoV est similaire dans toutes ces cités et stable dans le temps, il se pourrait bien que l’épidémie se propage de manière exponentielle dans tous ses points de chute avec un délai de 1 à 2 semaines par rapport à l’épidémie qui sévit à Wuhan.L’accès à d’autres métropoles du monde est concevable dès lors que les liaisons aériennes (ou autres) sont étroites et c’est ce qui pousse d’ailleurs certains pays à fermer leurs frontières et à contrôler voyages ou voyageurs, pour éviter l’apparition d’autres épicentres indépendants prêts à prendre le relais et à alimenter une pandémie. Les cas asymptomatiques mais contagieux pourraient contribuer à ce scénario qui ne peut être exclu à l’heure actuelle quand bien même la Chine serait totalement coupée du monde (une perspective qui relève plus de la théorie que du domaine du possible).
Éviter d’alimenter la psychose
Les mesures préventives sanitaires drastiques tant en Chine qu’ailleurs seront-elles une barrière suffisante à la propagation du virus ? La fermeture généralisée des frontières sensibles est-elle à l’ordre du jour ? Quand l’épidémie atteindra-t-elle son pic ? Des mutations du 2019-nCoV ne risquent-elles pas de modifier le profil épidémiologique de l’infection ? Autant de questions qui attendent des réponses rapides pour éviter que la psychose collective alimentée par nombre de fake news ne se propage plus vite que le coronarovirus, selon une dynamique qui n’est pas nouvelle si l’on se penche sur la longue histoire des épidémies qui ont frappé l’humanité par le passé. La psychose a des ailes et le virus pourrait lui courir après…La modélisation ici présentée a bien sûr ses limites compte tenu des paramètres multiples qui influent sur l’évolution de l’épidémie et toute prédiction s’avère de ce fait aléatoire avec une marge d’erreur d’autant plus conséquente que le phénomène est du domaine de « l’hypercomplexité ».
Dr Philippe Tellier