Crise des opioïdes aux Etats-Unis : 1 % des praticiens en prescrivent la moitié
L’augmentation du nombre des prescriptions d’opioïdes aux
États-Unis, entre 1999 et 2010 (il avait alors quadruplé), a mené à
une véritable crise sanitaire. Cette « crise des opioïdes »
a conduit à la mise en place de stratégies destinées à réduire les
prescriptions inappropriées de médicaments de cette classe. Ces
stratégies sont générales (guidelines, formations des
prescripteurs, modifications de conditions de prescriptions, etc.)
ou ciblées sur les plus « gros » prescripteurs. Certains états ont
par exemple adopté des lois régulant drastiquement les
prescriptions. Les interventions ciblées ne nécessitent pas, quant
à elles, de lois nouvelles.
Il est souvent difficile de juger si une prescription d’opioïde est
justifiée ou non. La prise en charge de la douleur est complexe et
il peut exister de légitimes raisons à des prescriptions allant
au-delà des recommandations. Des stratégies globales de réduction
peuvent donc avoir des conséquences négatives. Avant d’envisager de
telles mesures, il est donc indispensable d’avoir une idée plus
précise de la géographie et de la démographie des
prescriptions.
Des praticiens prudents en grande majorité
Le British Medical Journal publie les résultats d’une
étude observationnelle rétrospective réalisée à partir des données
d’une assurance privée couvrant la totalité des États. L’objectif
était d’établir une sorte de cartographie des prescriptions.
L’étude concerne environ 670 000 prescripteurs, ayant délivré, de
2003 à 2017, 8,9 millions d’ordonnances d’opioïdes à 3,9 millions
de patients.
Elle a le mérite de clarifier les données. Il apparaît en effet
qu’en 2017, 49 % du total des doses d’opioïdes et 27 % de toutes
les prescriptions émanent de seulement 1 % des praticiens. En
termes absolus, ce « top 1 % » des praticiens prescrit en
moyenne 780 000 mg d’équivalent morphine, soit près de 1 000 fois
plus que le 1 % moyen. Plus de 2 ordonnances sur 5 rédigées par ces
praticiens du « top 1 % » sont de plus de 50 mg d’équivalent
morphine par jour, et 4 sur 5 pour une durée dépassant 7 jours. En
revanche, les ordonnances rédigées par les 99 % autres praticiens
ne dépassent pas les 50 mg d’équivalent morphine par jour pour 86 %
d’entre elles ni une durée de 7 jours pour 71 %. Notons que les
mêmes habitudes de prescriptions se répètent au fil du temps chez
les « top 1 % », et aussi que, d’année en année, les
patients pour lesquels elles sont rédigées, ne varient pas.
Cibler les interventions sur les plus gros
prescripteurs
Pour les auteurs, ces résultats suggèrent que la priorité
devrait être donnée aux interventions ciblant les plus gros
prescripteurs. Trois raisons à cela. La première est que la très
grande majorité des praticiens est prudente dans ses prescriptions
d’opioïdes. Imposer des contraintes supplémentaires pourrait avoir
des conséquences néfastes sur la prise en charge de la douleur.
Ensuite, la constitution du top 1 % est stable dans le temps, ce
qui suggère que les interventions ciblant ce groupe peuvent
produire des résultats durables. Enfin, ce top 1 % concerne un
nombre « disproportionné » de patients recevant des doses très
élevées d’opioïdes, et cibler les prescripteurs permettrait de
toucher efficacement ces patients à hauts risques.
Enfin, pour les auteurs, la permanence dans le temps des patients
forts consommateurs d’opiacés suggère la nécessité d’améliorer
aussi la prise en charge de ces patients complexes, plutôt que
d’établir des seuils rigides de prescription.
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